Maladies zoonotiques émergentes : un risque lié aux modifications de nos relations avec l'animal

Les salmonelloses transmises par les reptiles (plus de 90 % sont porteurs asymptomatiques de salmonelles) représentent un risque trop souvent sous-estimé, notamment en présence d'enfants.

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Jeanne BRUGÈRE-PICOUX

Membre de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie vétérinaire de France

Jean-Luc ANGOT

Président de l'Académie vétérinaire de France

Santé publique

Après les maladies émergentes liées à l'importation d'agents pathogènes (DV n° 1544), les maladies liées à l'émergence ou à la résurgence d'agents pathogènes par modification d'un écosystème (DV n° 1545) et celles dues à l'augmentation de la faune sauvage urbaine ou rurale (DV n° 1546), nous poursuivons notre série d'articles sur les maladies émergentes d'origine zoonotique avec cette semaine le dernier volet : les maladies émergentes liées aux modifications de nos relations avec l'animal. L'arrivée des nouveaux animaux de compagnie en particulier favorise celle de nouveaux agents pathogènes.

L'évolution actuelle de nos modes de vie nous a amenés à vivre plus souvent en région urbaine qu'à la campagne. Alors que la profession vétérinaire était surtout formée pour intervenir en région rurale chez les animaux de production il y a plus de 50 ans, on a pu observer une désertification progressive du milieu rural (comme chez les médecins) au profit d'une médecine urbaine des animaux de compagnie plus confortable et plus lucrative.

Si les zoonoses liées au contact trop souvent étroit entre les animaux de compagnie classiques comme le chien et le chat sont loin d'être négligeables1 , l'arrivée des nouveaux animaux de compagnie (Nac) favorise aussi celle de nouveaux agents pathogènes émergents.

Risque zoonotique lié aux nouveaux animaux de compagnie

A part le lapin, les nouveaux animaux de compagnie ne sont pas toujours recommandés pour les enfants. Les petits rongeurs comme le hamster peuvent être porteurs de tularémie ou du virus de la chorioméningite lymphocytaire. Il faut aussi noter le nombre de plus en plus élevé de mustélidés (furets) comme animaux de compagnie particulièrement sensibles au SARS-CoV-2.

Poxviroses et salmonelloses

Nous avons cité précédemment le risque de poxviroses résultant de l'importation de rats : le premier est l'épisode de l'importation de la variole du singe (Monkeypox) survenu dans les Etats du Midwest américain en 2003, avec plus de 70 cas humains identifiés (la source était des rats de Gambie, rongeurs importés d'Afrique vers les États-Unis pour être vendus comme animaux de compagnie et qui se sont avérés responsables, chez le vendeur, de l'infection de chiens de prairie, eux-mêmes vecteurs secondaires de la contamination humaine).

Le second exemple est européen : il s'agit de rats importés de Hongrie en tant que Nac (un dessin animé destiné aux enfants avait fait l'apologie de cet animal de compagnie) et qui étaient porteurs d'un autre Orthopoxvirus, le cowpox. L'Allemagne a été le premier pays à lancer l'alerte à la fin des années 2000 avant que la France ne soit touchée.

Il faut également souligner le risque réel trop souvent sous-estimé des salmonelloses transmises par les reptiles (plus de 90 % sont porteurs asymptomatiques de salmonelles) dont la possession en tant que Nac devrait être déconseillée, en particulier en présence d'enfants, d'autant qu'aucun traitement ne permet l'élimination de l'agent pathogène.

Ainsi, 3 à 5 % des cas de salmonellose humaine aux États-Unis sont associés à un contact avec des Nac et, le plus souvent, ce sont des reptiles. Ce risque a été également confirmé en France2-3.

Cas particulier d'une zoonose émergente due au virus Borna

La maladie de Borna (du nom de la ville de Borna en Allemagne) est connue depuis le 17e siècle chez les chevaux et les moutons.

L'intérêt pour la maladie de Borna s'est accru en médecine vétérinaire à partir de 1993 suite à la découverte d'autres espèces sensibles (chat, autruche, bovins, chien...) et de son extension géographique (États-Unis, Suède, Israël, Japon...), puis à la découverte, en 2015, d'un risque d'encéphalites mortelles dues à ce virus chez des propriétaires d'écureuils multicolores ou de Prévost en Allemagne (ces Nac n'étant pas autorisés en France), suivie par la confirmation, en 2018, que ce virus pouvait provoquer d'autres cas d'encéphalites mortelles chez l'Homme.

Ces observations ont démontré le rôle zoonotique qui fut longtemps controversé de ce virus4-5.

Risque zoonotique lié aux visites de fermes pédagogiques et aux petting zoos

La mode des visites de fermes pédagogiques est relativement récente en France par comparaison avec les pays anglo-saxons. C'est peut-être pourquoi nous n'avons jamais connu les épisodes dramatiques rencontrés en Amérique du Nord ou au Royaume-Uni chez de très jeunes enfants contaminés par des colibacilles entérotoxinogènes provoquant un syndrome hémolytique et urémique (SHU) particulièrement grave6 .

De même, relativement récemment, on a pu observer dans certains zoos des emplacements spécialement aménagés (appelés petting zoos par les anglo-saxons) aménagés pour permettre aux enfants d'être en contact étroit avec des animaux domestiques ou d'origine sauvage pour les caresser (chèvres, moutons, daims...).

Depuis quelques années, de nombreuses publications signalent l'importance croissante du risque de zoonose dans ces conditions et l'urgence à les prévenir par des mesures strictes de biosécurité vis-à-vis des agents suivants : Escherichia coli O157:H7, Salmonella, Coxiella burnetti, Mycobacterium tuberculosis, Campylobacter et les dermatophytes agents de teignes.

Face à ces risques émergents liés aux visites de fermes pédagogiques et aux petting zoo s, l'Académie vétérinaire de France a adopté un avis sur ce sujet le 6 novembre 2008.

1 Chomel B, Sun B. - Zoonosis in the bedroom. Emerg Infect Dis. 2011 Feb ; 17(2): 167-172. doi : 10.3201/eid1702.101070.

2 Colomb-Cotinat M., Le Hello S., Rosières X., Lailler R., Weill F.-X., Jourdan-Da Silva N. - Salmonelloses chez des jeunes enfants et exposition aux reptiles domestiques : investigation en France métropolitaine en 2012. Bull Epidémiol Hebd. 2014; (1-2):pages.

3 Angot M., Labbe F. - Duquesnoy A, Le Roux P. Co-infection rotavirus- Salmonella lié aux tortues : à propos de deux cas de zoonoses domestiques. Archives de Pédiatrie, 2017,24, 747-748.

4 Brugère-Picoux J. - Écureuil multicolore et écureuil de Prévost: risque zoonotique lié au bornavirus VSBV-1, DV n° 1383 du 23 février 2017 page 11.

5 Brugère-Picoux J. - Maladie de Borna des chevaux et du mouton: une zoonose émergente provoquant des encéphalites mortelles en Allemagne, DV n° 1513 du 25 janvier 2020 page 12.

6 Brugère-Picoux J. - Le risque de zoonose inhérent aux visites de fermes pédagogiques. Bull Soc Vét Prat de France, 2010, 94,25-33.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1547

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