Face aux maladies émergentes, la mise en oeuvre du concept Une seule santé s'impose

Entre 1940 et 2008, 335 maladies émergentes dans le monde ont été identifiées, dont 60 % étaient des zoonoses, parmi lesquelles 72 % étaient dues à la faune sauvage.

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Jeanne BRUGÈRE-PICOUX1

Membre de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie vétérinaire de France

Jean-Luc ANGOT2

Président de l'Académie vétérinaire de France

Santé publique

La majorité des maladies émergentes ou résurgentes qui ont été observées en France ou dans le monde ces dernières décennies sont des zoonoses et celles-ci ont été parfois la cause de graves crises sanitaires. Nous ne serons jamais à l'abri de nouvelles maladies émergentes et la faune sauvage est souvent impliquée du fait de l'action de l'Homme qui a perturbé son écosystème. Il n'y a qu'une seule santé dans un seul monde où interviennent la médecine humaine, la médecine vétérinaire et l'environnement. La mise en oeuvre de manière opérationnelle du concept Une seule santé , à toutes les échelles, s'impose.

Dans l'ouvrage Destin des maladies infectieuses , Charles Nicolle écrivait, en 1933 :
« Il y aura donc des maladies nouvelles. C'est un fait fatal. Un autre fait, aussi fatal, est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine... Il faut aussi bien se résigner à l'ignorance des premiers cas évidents. Ils seront méconnus, confondus avec des maladies déjà existantes... Pour qu'on la reconnaisse plus vite, il faudrait que l'infection nouvelle soit d'importation exotique et douée d'un pouvoir marqué de contagiosité, telle autrefois la syphilis à son débarquement en Europe » .

L'arrivée de la Covid-19 en Europe puis dans les Amériques démontre que la vision des maladies émergentes par cet illustre médecin microbiologiste, prix Nobel en 1928, est toujours d'actualité près de 80 années plus tard.

La majorité des maladies émergentes ou résurgentes qui ont été observées en France ou dans le monde ces dernières décennies sont des zoonoses et celles-ci ont été parfois la cause de graves crises sanitaires (encéphalopathie spongiforme bovine, pandémie grippale due au virus H1N1, etc.), la pandémie due à la Covid-19 représentant une crise majeure qui ne connaît pas de précédent.

Commercial international croissant

Le commerce international croissant des animaux domestiques et sauvages (ou de denrées alimentaires d'origine animale), l'introduction accidentelle ou volontaire d'espèces animales dans des zones géographiques nouvelles, l'engouement pour de nombreuses espèces exotiques modifiant leurs écosystèmes en vue de leur commerce, voire de leur consommation, sont à l'origine de l'émergence ou de la résurgence de ces zoonoses.

Du fait de leur formation les confrontant aux maladies de plusieurs espèces animales, les vétérinaires ont des notions de pathologie comparée, de biosécurité et d'épidémiologie qui les aident souvent dans le diagnostic d'une nouvelle maladie émergente touchant une espèce.

En raison de l'existence d'un réseau sanitaire vétérinaire permettant une surveillance des maladies émergentes, ils sont aussi rapidement disponibles pour limiter la propagation de celles-ci, aidés, pour cela, par un réseau de laboratoires vétérinaires départementaux très performants et par une industrie du médicament vétérinaire efficace.

Leur action concerne aussi le contrôle sanitaire de notre alimentation. Ils ont toujours été des acteurs de terrain efficaces pour limiter la propagation des maladies, comme ce fut le cas lors des grandes campagnes de prophylaxies contre des maladies redoutables pour l'élevage et la santé publique (tuberculose, brucellose, fièvre aphteuse...). 

75 % des maladies émergentes humaines sont des zoonoses

Les vétérinaires sont en effet des acteurs à part entière de la santé publique du fait que près de 75 % des maladies émergentes humaines sont des zoonoses. 

Entre 1940 et 2008, Jones et al.3 ont identifié 335 maladies émergentes dans le monde, dont 60 % étaient des zoonoses (parmi lesquelles 72 % étaient dues à la faune sauvage). 54 % étaient dues à des bactéries ou des rickettsies, 23 % étaient des maladies vectorielles.

Nous débutons avec ce premier texte la publication d'une série d'articles (publication qui sera aussi effectuée dans le bulletin de l'Académie vétérinaire de France), qui se limitera à certains exemples de maladies émergentes qui peuvent être dues à plusieurs facteurs associés ou non : importation et/ou dissémination d'agents pathogènes par de nouveaux vecteurs, émergence ou résurgence d'agents pathogènes, le plus souvent découverts lors d'une modification de l'environnement de leur réservoir tellurique ou d'un écosystème animal (déforestation, travaux de terrassement notamment dans des zones tropicales où il existe une grande biodiversité animale, augmentation des zones éclairées liée à l'urbanisation et au développement des transports entraînant des changements d'habitats, consommation de certaines espèces animales sauvages), augmentation de la densité de la faune sauvage urbaine ou rurale réservoir d'agents zoonotiques, modification de nos relations avec l'animal (visites pédagogiques de fermes, nouveaux animaux de compagnie).

Ce premier article traitera des maladies émergentes liées à l'importation d'agents pathogènes (lire ci-après).

Médecines humaine, vétérinaire et environnementale : une seule santé

Ces exemples de maladies émergentes témoignent que nous ne serons jamais à l'abri de nouvelles maladies émergentes et que la faune sauvage est souvent impliquée du fait de l'action de l'Homme qui a perturbé son écosystème, notamment par une modification de son environnement ou sa chasse en vue de sa consommation.

La mise en évidence chez les chiroptères de coronavirus pouvant provoquer deux épidémies comme le Sras, à partir de 2002, puis la Covid-19, en 2019, doit nous amener à reconsidérer nos stratégies de prévention de ces endémies en évitant le risque de contamination par une cohabitation trop étroite avec les chauves-souris par modification de leur écosystème et leur consommation. 

Les répercussions médicales, économiques et médiatiques de la pandémie due à la Covid-19 démontrent l'importance à accorder à l'étude des coronavirus chez les chiroptères mais aussi à protéger ces espèces dont certaines sont insectivores et fort utiles dans la lutte contre les insectes. 

Il faut aussi éviter les possibilités de transfert de certains virus émergents vers l'Homme par le mélange de plusieurs espèces d'animaux sauvages ou domestiques vendus le plus souvent vivants sur les marchés asiatiques, véritables chaudrons réservoirs de virus et centres d'amplification pour les infections émergentes.

Il faut espérer que l'interdiction des marchés d'animaux vivants et plus particulièrement d'animaux sauvages sera maintenue avec rigueur en Chine. Ceci impliquera une importante modification des habitudes alimentaires dans plusieurs régions chinoises.

Maintenir un écosystème favorable

L'important est de maintenir un écosystème favorable à tous, animaux sauvages ou domestiques et l'Homme. Il n'y a qu'une seule santé dans un seul monde où interviennent la médecine humaine, la médecine vétérinaire et l'environnement.

C'est pourquoi il est nécessaire de mettre en oeuvre de manière opérationnelle le concept Une seule santé/One Health , à toutes les échelles. 

Ce concept transdisciplinaire doit être pris en considération dans la stratégie nationale pour la biodiversité, dans la stratégie de l'Union européenne en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030 et au niveau des organisations internationales compétentes, y compris celles en charge de l'environnement et de la biodiversité, avec la création d'un Haut conseil de la Santé placé auprès du Secrétariat général des Nations-Unies.

1 Professeur honoraire de l'école nationale vétérinaire d'Alfort, Académie vétérinaire de France et Académie nationale de médecine, 20 rue Edmond Nocard, 94700 Maisons Alfort. Courriel : jeanne.brugere@wanadoo.fr

2 Docteur vétérinaire, inspecteur général de santé publique vétérinaire au Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), président de l'Académie vétérinaire de France, 251, rue de Vaugirard, 75732 Paris cedex 15. Courriel : jean-luc.angot@agriculture.gouv.fr

3 Jones KE et al. - Global trends in emerging infectious diseases. Nature, 2008, 451: 990-993.

Importation d'agents pathogènes : modalités variées

Avec les maladies émergentes liées à l'importation d'agents pathogènes, nous débutons une série d'articles sur les maladies émergentes d'origine zoonotique. Seront traitées, ultérieurement, les maladies liées à l'émergence ou la résurgence d'agents pathogènes par modification d'un écosystème, celles dues à l'augmentation de la faune sauvage urbaine ou rurale et, enfin, celles liées à la modification de nos relations avec l'animal.

Les possibilités d'importation d'un nouvel agent pathogène sont variées. Ces importations peuvent être le fait d'un commerce ou de l'importation illégale d'animaux porteurs, du transport d'agents pathogènes par des oiseaux migrateurs (ou du transport par ces oiseaux de vecteurs comme la tique) ou par des vecteurs inanimés1.

Importation d'animaux de compagnie porteurs

Certaines maladies émergentes peuvent survenir avec l'importation d'animaux dont le statut sanitaire est inconnu (porteurs ou réservoirs asymptomatiques, malades en cours d'incubation, non déparasités).

Les exemples sont nombreux chez les animaux de compagnie importés : chiens enragés importés illégalement du Maroc, rats de Gambie importés aux États-Unis et porteurs du virus de la variole du singe, rats de compagnie infectés par le virus du cowpox, reptiles porteurs de salmonelles, etc.

Transport d'agents pathogènes par des oiseaux migrateurs

- Virus influenza aviaire

On connaît le risque lié à la contamination des volailles par le virus influenza aviaire hautement pathogène qui représente un véritable problème économique dans les pays touchés, d'où le nom de peste aviaire donné à cette maladie hautement contagieuse qui concerne principalement le domaine de la santé publique vétérinaire.

En effet, on peut se tromper en annonçant, à tort, un risque de pandémie humaine comme ce fut le cas de la peste aviaire (dénommée « grippe aviaire ») due à un virus influenza H5N1 hautement pathogène qui est apparu en Chine en 1996 et qui a envahi progressivement l'Asie puis le continent européen.

Il faut dire qu'après l'épidémie de grippe espagnole due à un virus H1N1 en 1917 (40 à 100 millions de morts dans le monde), la grippe asiatique en 1957 due à un virus H2N2 (1 à 4 millions de morts), puis la grippe de Hong Kong due à un virus H3N2 (1 à 2 millions de morts), l'Organisation mondiale de la santé (OMS), attendant une nouvelle pandémie, pensa, comme d'autres épidémiologistes réputés, que le virus aviaire H5N1 pouvait être un bon candidat.

C'était méconnaître la médecine vétérinaire où la peste aviaire n'était pas classée dans les zoonoses avant l'épisode de Hong Kong de 1996 avec le virus H5N1. Ce virus a pu contaminer l'Homme lors de contacts très étroits avec des volailles vivantes en Asie mais il ne s'est jamais adapté à l'espèce humaine.

De 2003 au 20 janvier 2020, il n'y a eu que 861 malades, dont 455 décès, sans transmission interhumaine ce qui ne correspond pas à la définition d'une épidémie !

Plus tard, en 2009, il y a eu une épidémie de grippe humaine A due à un virus H1N1 (dénommée à tort « grippe porcine ») qui fit 500 000 morts dans le monde. 

- Transport de tiques par les oiseaux migrateurs

Les oiseaux migrateurs peuvent aussi favoriser le transport de vecteurs de maladies tels que les tiques. Ce type de transport est particulièrement suspecté dans la diffusion en Europe d'une tique redoutable, Hyalomma marginatum , vectrice potentielle de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (des cas mortels ont été signalés en Espagne et en Turquie) et de la fièvre boutonneuse due à Rickettsia aeschlimannii (observée en Allemagne) 2 .

L'exemple de la « tique tueuse asiatique », Haemaphysalis longicornis, responsable d'une fièvre hémorragique pouvant s'accompagner d'un taux de mortalité de 50 % chez les personnes âgées de plus de 60 ans et désormais présente sur le continent américain, démontre que ce danger est bien réel3.

Transport de tiques par des vecteurs inanimés

Le cas particulier des transports d'agents pathogènes liés au commerce est bien connu avec la diffusion des moustiques tigres, notamment d'un continent à l'autre par des pneus, véritables réservoirs d'eau stagnante favorisant leur multiplication. 

Le trafic aérien a souvent été en cause pour expliquer certaines maladies exotiques importées en particulier dans l'environnement des aéroports (paludisme, fièvre jaune).

Deux maladies émergentes récentes non zoonotiques, la fièvre catarrhale ovine (FCO) et la maladie de Schmallenberg, ayant touché des ruminants dans des zones qui n'étaient pas considérées à risque en Europe septentrionale il y a moins de deux décennies, devraient faire prendre conscience des nouveaux risques de maladies émergentes.

C'est à partir de la région de Maastricht, carrefour mondial du commerce des fleurs que ces deux maladies caractérisées par des avortements et des malformations foetales, ont diffusé de manière identique, la première en 2006, la seconde en 2011, touchant la Belgique, l'Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et la France.

L'origine exotique des agents pathogènes isolés laisse fortement suspecter l'introduction d'un insecte infecté avec les fleurs puis la possibilité d'un relais avec un vecteur autochtone du genre Culicoïdes.

Cependant, ces deux exemples remarquables, à cinq années d'intervalle, n'ont pas conduit à traiter préventivement les fleurs exotiques avec un insecticide ; ce type d'accident pourrait donc survenir à nouveau pour menacer d'autres espèces dont l'espèce humaine !

Rappelons que la FCO fut la plus grande épizootie de ces trois dernières décennies et que l'on observe actuellement une recrudescence des arboviroses zoonotiques circulant en Europe (West Nile, virus Usutu, encéphalite à tiques...).

On peut d'ailleurs noter l'émergence récente en France du virus Usutu 4 ou de l'encéphalite à tiques, transmise par une morsure de tique ou par l'ingestion d'un produit laitier contaminé.

Les symptômes de cette encéphalite débutent par un syndrome grippal estival nécessitant actuellement un diagnostic différentiel avec la Covid-19 5 .

Importation du virus du Nil Occidental aux États-Unis : rôle des animaux sentinelles lors d'une zoonose émergente

La fièvre du virus du Nil occidental ou VNO (West Nile), due à un Flavivirus, était connue depuis longtemps sur de nombreux continents. Les oiseaux sauvages en sont les réservoirs essentiels.

Cette maladie a connu une émergence historique en 1999 dans un zoo du Bronx : la survenue d'une mortalité anormale chez des corneilles dans ce zoo fut d'abord considérée par le centre de référence des maladies émergentes (Center Diseases Control ou CDC) d'Atlanta comme un « problème uniquement vétérinaire », le VNO n'étant pas connu dans cette zone géographique.

Ce n'est que plus tard qu'une relation entre ce virus et des cas d'encéphalites chez l'Homme fut découverte. Depuis, la maladie a envahi les États-Unis, représentant maintenant la principale cause des encéphalites arbovirales humaines.

Chez l'Homme, de 1999 à 2019, on a dénombré 2 381 décès et plus de 25 000 formes neuro-invasives ont été observés 6 . Les circonstances de l'apparition du VNO aux États-Unis démontrent l'importance qu'il faut accorder aux « animaux sentinelles » qui, par un taux de mortalité anormale, peuvent annoncer une maladie émergente menaçant l'Homme.

Rappelons aussi qu'une autre arbovirose zoonotique, la fièvre de la vallée du Rift, pourrait menacer l'Europe en raison de la présence probable du virus dans le Maghreb et en Turquie comme le montre l'observation de sérologies positives7-8. Ce virus est actuellement particulièrement actif en Mauritanie. J.B.-P. et J.-L.A.

1 Brugère-Picoux J, Chomel B. Risques d'introduction et voies d'importation de maladies infectieuses exotiques en Europe par les animaux ou les produits d'origine animale. Bull Acad Natl Méd,2009, 193 (8):1805-18.

2 Brugère-Picoux J. Installation de la tique Hyalomma marginatum en Europe du nord, DV n° 1496 du 28 septembre 2019 page 14.

3 Ben Beard C et al. -Multistate Infestation with the Exotic Disease-Vector Tick Haemaphysalis longicornis - United States, August 2017-September 2018. CDC Weekly / November 30, 2018 / 67(47);1310-1313.

4 Brugère-Picoux J. Une zoonose émergente due au virus Usutu, DV n° 1443 du 16 juin 2018 page 14.

5 Communiqué de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie Vétérinaire de France du 12 juin 2020 : Cet été, les syndromes pseudo-grippaux ne seront pas tous des Covid-19.

6 Zientara S, Beck C et Lecollinet S. Arboviroses émergentes : fièvre West Nile, fièvre catarrhale ovine et virus Schmallenberg. Bull Acad. Natl Méd, novembre 2020, à paraître.

7 Gür S, Kale M et al, 2017. The first serological evidence for Rift Valley fever infection in the camel, goitered gazelle and Anatolian water buffaloes in Turkey. Trop Anim Health Pro, 2017, DOI10.1007/s11250-017-1359-8, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28861841.

8 EFSA. Rift Valley Fever - epidemiological update and risk of introduction into Europe. 20 janvier 2020 ( https://bit.ly/2PRk7RJ).

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1544

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