Émergence ou résurgence d'agents pathogènes par modification d'un écosystème : origine tellurique ou liée au réservoir animal

L'apparition d'encéphalites humaines dues au virus Nipah en Malaisie et à Singapour représente un excellent exemple de maladie émergente pouvant s'implanter et diffuser du fait d'une déforestation.

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Jeanne BRUGÈRE-PICOUX

Membre de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie vétérinaire de France

Jean-Luc ANGOT

Président de l'Académie vétérinaire de France

Santé publique

Avec les maladies émergentes liées à l'importation d'agents pathogènes, nous avons débuté dans notre édition précédente (DV n° 1544) une série d'articles sur les maladies émergentes d'origine zoonotique. C'est au tour cette semaine des maladies liées à l'émergence ou à la résurgence d'agents pathogènes par modification d'un écosystème. Certains agents pathogènes peuvent en effet émerger lorsque leur environnement a été modifié.

Des agents pathogènes ont pu émerger lorsque leur environnement a été modifié. L'origine peut être tellurique mais, le plus souvent, il s'agit d'un changement dans l'écosystème de leur réservoir animal. 

Maladies telluriques (résurgentes)

La fièvre charbonneuse est une maladie ancienne qui peut émerger à nouveau lorsque les spores de Bacillus anthracis, enfouies dans le sol pendant de nombreuses décennies (à l'époque où l'on enfouissait les cadavres des animaux), sont ramenées à la surface (du fait de travaux de terrassement, d'une montée de la nappe phréatique...) puis sont ingérées par des ruminants.

Cela explique les cas sporadiques observés dans de nombreux pays, dont la France.

Maladies liées à une modification d'un écosystème animal

Bien souvent, on peut remarquer qu'une maladie émergente apparaît dans une contrée où l'on a favorisé la possibilité d'un contact plus étroit avec diverses espèces animales. Ces zones à haut risque appelées « points chauds » où l'on peut observer l'émergence d'une nouvelle maladie humaine correspondent à la modification de l'écosystème d'une espèce sauvage ayant pu contaminer alors l'Homme.

Les exemples sont nombreux ces dernières années notamment avec les chauves-souris tant en Asie, avec le syndrome respiratoire aigu sévère (Sras), la Coronavirus disease 2019 ou Covid-19 et le virus Nipah, qu'au Moyen Orient, avec le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Mers), ou en Afrique, avec les fièvres hémorragiques comme l'Ebola ou la maladie de Marburg1.

Ce n'est pas la biodiversité qui est en cause dans l'apparition de ces zoonoses mais plutôt la perturbation de l'écosystème de ces chauves-souris qui a favorisé l'émergence et la transmission d'un nouvel agent pathogène à l'Homme.

Coronavirus

Les coronavirus, et plus spécifiquement des betacoronavirus, font partie des derniers virus responsables de zoonoses émergentes, comme le Sras et le Mers puis la Covid-19. 

Si l'origine zoonotique de ces maladies est connue avec pour réservoir les chauves-souris, les modalités de contamination le sont moins, notamment le rôle éventuel des hôtes intermédiaires suspectés.

Le Sras (Sars en anglais) fut responsable d'une épidémie sévère de février à mai 2003 avec un taux de mortalité de 10 %, tuant 774 personnes sur 8 096 malades surtout en Chine mais le Canada fut aussi très touché (avec 43 décès sur 251 malades). Il a fallu mettre en place d'importantes mesures de biosécurité pour stopper l'épidémie.

Quand le Sras est arrivé à la mi-novembre 2002 dans la province du Guangdong, les cas n'ont pas été officiellement notifiés par crainte d'éventuelles retombées sociales ou économiques, permettant ainsi une large diffusion du virus. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) n'a été prévenue que le 11 février 2003... 

Le Mers est apparu plus tard, en septembre 2012, et concerne principalement le Moyen-Orient, l'animal réservoir étant le dromadaire. A la fin de novembre 2019, 2 494 cas ont été confirmés dont 858 décès (soit un taux de mortalité de 34,4 %). L'Arabie Saoudite a été le pays le plus touché avec 2 102 cas dont 780 décès, soit un taux de mortalité de 37,1 %.

Alors que les premiers cas de Sras ont été observés en 2002 dans la province du Guangdong, il s'est avéré que la source géographique du virus était dans la province de Yunnan, ou dans le Sud-Ouest de la Chine, le principal réservoir animal étant vraisemblablement des chauves-souris fer à cheval (Rhinolophus sinicus).

Une surveillance a été effectuée pendant plus de cinq ans sur ces chauves-souris présentes dans une grotte de la province de Yunnan. Elle a permis de démontrer l'importante quantité de coronavirus pouvant être hébergés par ces chiroptères dont certains étaient proches du virus du Sras (Sars-CoV), d'où leur dénomination de Sars-related coronavirus (Sarsr-CoV).

Ainsi, dès 2017, des scientifiques chinois du laboratoire de Wuhan2 ont souligné l'importance de ces nouvelles informations sur l'origine et l'évolution du Sars-CoV et la nécessité de se préparer à l'émergence future de maladies comme le Sras.

En 2019, cette même équipe chinoise3 indiquait qu'« il est très probable que les futures épidémies de coronaviroses comme le Sras ou le Mers proviendront de chauves-souris et qu'il y a une probabilité accrue que cela se produise en Chine. Par conséquent, l'enquête sur les coronavirus de chauve-souris devient un problème urgent pour la détection des signes d'alerte précoce pour minimiser alors l'impact de ces futures épidémies en Chine »...

Il était surtout évident pour ces scientifiques que la Chine représentait la zone à haut risque (le point chaud) d'où partirait l'épidémie.

La prédiction de ces scientifiques chinois s'est réalisée avec l'apparition, en décembre 2019, d'une pneumonie d'origine inconnue touchant 59 personnes dans la ville chinoise de Wuhan.

Les personnes atteintes avaient surtout fréquenté le marché de fruits de mer de la ville où d'autres animaux domestiques et sauvages étaient vendus, souvent vivants.

Le 2 janvier 2020, ce marché fut immédiatement fermé sans que l'on ait recherché l'origine de la contamination parmi les espèces animales vendues. On sait maintenant que cette maladie émergente (Covid-19) est due à un coronavirus (Sars-CoV-2) où une autre chauve-souris fer à cheval ( Rhinolophus affinis ) est de nouveau incriminée en tant que réservoir.

L'étude du génome du Sars-CoV-2 confirme qu'il s'agit d'un virus proche à 96,2 % d'un coronavirus présent chez la chauve-souris (Sarsr-CoV ; RaTG13), ce virus étant plus éloigné du virus du Sras (79 %) ou de celui du Mers (50 %). 

Cependant, on ne connaît toujours pas l'origine exacte de la contamination humaine par le Sars-CoV-2 alors qu'un lien épidémiologique avec un marché d'animaux vivants sauvages ou domestiques a été établi pour expliquer l'origine du Sras en Chine [certains animaux ont pu jouer le rôle d'hôte intermédiaire, notamment la civette palmiste masquée (Paguma larvata) d'origine sauvage ou provenant de fermes d'élevage vendues vivantes sur les marchés].

Dans le cas du Sars-CoV-2, le pangolin (Manis pentadactyla et Manis javanica) est suspecté. 

Face à l'importante diffusion mondiale du Sars-CoV-2, le risque d'apparition d'un réservoir animal est souvent évoqué, notamment du fait d'une contamination animal-Homme qui a été observée dans des élevages de visons aux Pays-Bas mais aussi du fait de la contamination d'animaux de compagnie par leur propriétaire4-5.

Déforestation et virus Nipah

L'apparition d'encéphalites humaines dues au virus Nipah (Henipavirus, de la famille des Paramyxoviridae) en Malaisie et à Singapour représente un excellent exemple de maladie émergente pouvant s'implanter et diffuser du fait d'une déforestation.

Celle-ci a provoqué, à partir de 1998, le déplacement de chauves-souris frugivores du genre Pteropus vers des fermes et des abattoirs favorisant un contact avec des porcs domestiques et l'Homme, provoquant une encéphalite souvent mortelle (taux de mortalité supérieur 50 %)6.

Ce n'est que plus tard que l'on a aussi découvert la possibilité d'une origine alimentaire de cette affection redoutable, en particulier au Bangladesh, entre fin 2004 et début 2005. La contamination se faisait par un jus de palme contaminé lui-même par l'urine de ces chauves-souris frugivores7.

Extension des « gîtes à tiques »

Au contraire, la réduction du nombre d'exploitants agricoles et le remplacement de certains champs par de la forêt ou des taillis, associée à une extension des zones périurbaines, a été un facteur favorisant l'extension de certains vecteurs comme les tiques à l'origine de la maladie de Lyme, de l'ehrlichiose ou de l'encéphalite à tiques dans de nombreux pays.

D'autres facteurs, notamment climatiques avec un hiver trop doux mais aussi l'augmentation du nombre de cervidés ou de suidés, réservoirs sauvages facilitant la dissémination de ces vecteurs, ont pu favoriser la multiplication des tiques, voire leur progression dans certaines régions jusque-là indemnes.

L'inquiétude liée à l'augmentation du risque de maladies vectorielles dues aux tiques n'est pas nouvelle. Par exemple, dès 2010, une plaquette de 26 pages informant sur les maladies transmises par les tiques (borréliose de Lyme, encéphalites à tiques, rickettsioses de type Tibola ou Lar, anaplasmose humaine, tularémie, fièvre Q), réunissant notamment médecins et vétérinaires, a été réalisée par le réseau Franche-Comté sous l'égide de l'Institut national de veille sanitaire et du ministère de la Santé.

Consommation d'animaux sauvages

L'exemple des marchés chinois mettant en contact des animaux sauvages vivants et l'Homme peut expliquer l'apparition du Sras et de la Covid-19, même si les hôtes intermédiaires ayant pu être un relais dans ces contaminations ne sont pas encore connus avec précision.

Ce risque d'origine alimentaire est aussi connu en Afrique avec la consommation de la viande de brousse, notamment de singes, qui a pu favoriser une contamination par le virus du Sida.

Les prochains articles traiteront des maladies émergentes dues à l'augmentation de la faune sauvage urbaine ou rurale et, enfin, de celles liées à la modification de nos relations avec l'animal.

1 Brugère-Picoux : Covid-19 : origine de la zoonose et modes de contamination. La Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences. Revue trimestrielle n°105 (avril 2020). http://www.fondation-droit-animal.org/category/revue-trimestrielle/.

2 Hu B et al. Discovery of a rich pool of bat SARS-related coronaviruses provides new insights into the origin of SARS coronavirus. PLoS Pathogen, 2017, 13, https://doi.org/10.1371/journal.ppat.1006698.

3  Fan Y et al. Bat Coronaviruses in China. Viruses , 2019 Mar 2;11(3):210. doi: 10.3390/v11030210. PMID: 30832341; PMCID: PMC6466186.

4  Communiqué de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie vétérinaire de France du 23 juillet 2020 : Les animaux contaminés par le SARS-CoV-2 représentent-ils un risque pour l'Homme ?

5  Brugère-Picoux J. Covid-19: une étude montre une circulation significative du virus chez des chats et chiens dont le propriétaire était infecté, DV n° 1542 du 3 octobre 2020 page 12.

6  Vaillancourt JP, Brugère-Picoux J. Le virus Nipah, un exemple d'agent pathogène émergent.In: Brugère-Picoux J, Rey M. Risques d'importation et d'implantation en Europe des maladies infectieuses exotiques. Lavoisier. Paris ; 2010. p. 71-87.

7  Luby SP, Rahman M, Hossain MJ et al. (2006). Foodborne transmission of Nipah virus, Bangladesh. Emerg Infect Dis, 12 : 1888- 1894.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1545

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