Transition agroécologique des productions animales et évolution du système alimentaire Comprendre pour agir avec les éleveurs
Hélène Soubelet
Vétérinaire, directrice générale de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB).
Compte-rendu du séminaire organisé le 20 mars 2025 par la Fédération des Syndicats Vétérinaires de France (FSVF), avec pour objectif d'approfondir les travaux conduits dans le cadre du colloque « Une seule santé : en pratique ? » organisé le 17 mars 2021, pour une transition vers des systèmes alimentaires durables.
Ce séminaire, dont l'ambition est de traiter des productions animales en France, s'adressait à l'ensemble des acteurs économiques concernés, avec un focus sur le rôle des vétérinaires pour accompagner la transition agroécologique des productions animales.
Les bases scientifiques de la polycrise
Le système alimentaire est responsable de 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, de 50 % des impacts sur la biodiversité et de l'accaparement de 70 % de l'eau douce. Il cause également 11 millions de morts par an en raison des maladies métaboliques qu'il favorise.
Les coûts cachés du système alimentaire sont estimés à 162 milliards d'euros pour la France.1 Pour chaque euro consommé, un euro doit être dépensé pour réparer les dommages à la santé, l'eau, le climat et la biodiversité. Le système aggrave les cinq pressions majeures détruisant la biodiversité : changement d'usage des terres, prélèvement de biomasse, pollution, changement climatique et espèces envahissantes.
La destruction de la biodiversité entraîne la diminution de la pollinisation et de la régulation des ravageurs, causant des pertes de rendement et une baisse de qualité nutritionnelle des aliments. Les paysages dégradés affectent notre bien-être, tandis que l'instabilité climatique menace la sécurité alimentaire. La pollution agricole par les engrais et pesticides impacte la santé humaine, augmentant les risques de diabète, d'obésité et certains cancers.2
La déconnexion des consommateurs avec la production et la perte de savoir culturel constituent d'autres risques importants. Les systèmes alimentaires représentent notre relation la plus proche avec la nature et sont essentiels à notre résilience face aux aléas.
Transformer le système alimentaire
La plateforme intergouvernementale sur la biodiversité (IPBES) propose 16 solutions favorables à la production alimentaire et à d'autres enjeux humains qui peuvent être synthétisées en 8 points3 :
- Stopper la conversion d'écosystèmes intacts,
- Restaurer la santé des sols,
- Intensifier les fonctions écologiques des prairies et agrosystèmes,
- Diminuer les pollutions chimiques et plastiques,
- Réduire le gaspillage alimentaire,
- Modifier les régimes alimentaires,
- Redistribuer les soutiens publics équitablement,
- Favoriser l'inclusivité et l'égalité d'accès aux ressources.
Les quatre outils principaux de la transformation sont l'agroécologie, la réduction des pressions environnementales, le changement des régimes alimentaires et la modification des normes sociales. Pour être efficaces, ils doivent être mis en place conjointement. Par exemple, l'agroécologie seule induit une baisse de production compensable par la réduction du gaspillage.
Dans ce contexte de polycrise, un changement systémique est nécessaire, transformant simultanément les pratiques, les structures et les visions.
Changer de pratiques
Le colloque a permis de proposer des pistes pour réorienter l'élevage en France et lui donner une plus grande résilience. Il faut miser sur les prairies, relocaliser la culture de protéines et assurer le retour au sol des fumiers et lisiers. Ce système plus sobre, circulaire et local améliore l'autonomie, limite la déforestation et diversifie l'alimentation des animaux. Il faut aussi diminuer les impacts, en particulier, pour les vétérinaires, les impacts des antiparasitaires (Encadré 1).

Changer les structures économiques
Avec un milliard de personnes sous-alimentées, deux milliards en surpoids et 11 millions de morts dues aux régimes non sains, le système alimentaire actuel n'est pas désirable.
Le secteur agricole, globalisé, a vu une augmentation massive des flux de soja entre 1986 et 2009, déconnectant cultures et élevage. Les fluctuations des prix et les dérèglements climatiques génèrent des crises récurrentes.
Changer les régimes alimentaires est une solution transformatrice bénéfique pour la santé et le climat, mais difficile à mettre en oeuvre. Dans un contexte économique perçu comme défavorable, le prix reste le déterminant principal d'achat. L'étiquetage et les campagnes d'information ne touchent pas toutes les catégories : 50 % des produits frais et locaux sont achetés par des personnes de plus de
50 ans.
Agir sur l'offre est techniquement plus simple via des taxes ou la réforme de la PAC pour soutenir les revenus plutôt que la production, favoriser la diversification et rendre l'aval plus solidaire de l'amont. Des objectifs clairs en matière de revenu minimal pour les agriculteurs et de régime alimentaire moyen permettraient de soutenir la prise de risque.
Changer de vision
L'agroécologie souffre d'un rejet par les pays du Sud qui y voient une entrave à leur développement, par les agriculteurs qui l'associent aux contraintes réglementaires, et par les politiques attachés au statu quo. Pourtant, toutes les publications scientifiques la recommandent.
Les systèmes autonomes et économes montrent une meilleure efficacité économique et procurent de meilleurs revenus, mais les structures ne s'agrandissent plus et les agriculteurs ont moins de capital pour la retraite.
La transition nécessite de s'émanciper des normes agricoles dominantes et de trouver appui dans des réseaux expérimentant l'agroécologie. Elle est générée par une incohérence ou un inconfort : distance entre actions et pensées, difficultés récurrentes, ou obligations externes.
Une enquête auprès d'éleveurs a identifié leurs besoins : prix rémunérateur, maîtrise des charges, santé du troupeau et des sols, place plus importante de l'herbe, diminution du volume de travail, et diversification pour distribuer les risques. La résilience des éleveurs dépend de leur autonomie, de la viabilité économique et de la cohérence de leur projet. Le colloque a permis de partager des expériences réussies d'agroécologie (Encadré 2).

Conclusion pour la profession vétérinaire
Les vétérinaires ont pour atouts la confiance des éleveurs, la légitimité technique et politique, et leur solidarité économique avec les éleveurs. Leurs faiblesses sont le manque de compétences en analyse systémique et l'absence de modèle économique du conseil.
Dans un contexte où nous avons maintenant un constat partagé de non-durabilité des systèmes agricoles actuels, l'initiative Une seule santé peut être déployée pour créer des alliances (médecins, agronomes, ONG). Il est également possible de se saisir de l'intérêt croissant pour le développement local et une meilleure formation des éleveurs.
Les freins au changement sont nombreux : verrouillage sociotechnique des filières en particulier parce qu'il y a une potentielle non-coïncidence avec l'aval. Par ailleurs, la dépendance aux conditions du milieu, l'hétérogénéité des performances de production et des produits sont très dévalorisées par les filières. Notons aussi la pénibilité accrue dans les systèmes diversifiés, l'endettement des éleveurs, la logique de silos persistante et le faible coût de l'énergie, rendant la substitution des intrants par du travail difficile.
Face à cette multicrise, les vétérinaires peuvent participer à la transition en :
- Comprenant les enjeux globaux et leurs interconnexions,
- Adoptant une vision holistique de l'élevage au-delà de l'approche thérapeutique,
- Utilisant leur posture de « sachants » pour conseiller et accompagner les expérimentations,
- Se formant à l'écotoxicité, comprendre les effets cascades des traitements et changer de vision : non plus éradiquer, mais rester sous les seuils de perte de rentabilité.
La transition écologique est un long chemin dont ce colloque constitue une première étape.
Références bibliographiques
1. The State of Food and Agriculture 2023 Revealing the true cost of food to transform agrifood systems. FAO. 2023. https://openknowledge.fao.org/items/d8b6b6d9-4fe3-4589-8b88-cac3f9ccdf0f
2. https://etude-nutrinet-sante.fr/link/zone/43-Publications
3. IPBES (2024). McElwee PD, Harrison PA, Van Huysen TL, Alonso Roldán V, Barrios E, et al. Summary for Policymakers of the Thematic Assessment Report on the Interlinkages among Biodiversity, Water, Food and Health of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. IPBES secretariat, Bonn, Germany. DOI: https://doi.org/10.5281/zenodo.13850289
4. Martínez I, Lumaret JP, Zayas RO, Kadiri N (2017). The effects of sublethal and lethal doses of ivermectin on the reproductive physiology and larval development of the dung beetle Euoniticellus intermedius (Coleoptera: Scarabaeidae). The Canadian Entomologist, 149 (4), 461-472.
5. Claire, RH (1992). Impact du paturage cellulaire sur la dynamique des populations de nematodes parasites du tube digestif chez les ovins (Doctoral dissertation, Ecole Nationale Vétérinaire de TOULOUSE).
6. Coquil X, Dedieu B, Beguin P (2017). Professional transitions towards sustainable farming systems: The development of farmers' professional worlds. Work, 57 (3), 325-337.






