Malgré l'extrême réticence de la profession, le Sénat adopte l'amendement autorisant l'ouverture d'écoles vétérinaires privées

La profession s'inquiète notamment de l'instauration d'une formation à deux vitesses.

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Michel JEANNEY

Enseignement

En dépit des nombreuses objections de la profession vétérinaire, l'amendement autorisant l'ouverture d'établissements d'enseignement supérieur privés en vue d'assurer une formation préparant au diplôme d'État de docteur vétérinaire a été adopté au Sénat. Il devrait désormais être examiné en commission mixte paritaire.

Le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 a été adopté, le 30 octobre, en première lecture au Sénat en procédure accélérée et, parmi les dispositions votées, figure l'article 22 bis autorisant l'ouverture d'établissements d'enseignement supérieur privés en vue d'assurer une formation préparant au diplôme d'Etat de docteur vétérinaire, pourvus qu'ils soient agréés par le ministre de l'Agriculture (lire DV n° 1546).

Cet article résulte de l'amendement déposé par les sénateurs Sophie Primas (LR) et François Patriat (ancien ministre et vétérinaire, LREM).

Lors des discussions en séance publique (dont le compte rendu analytique est consultable en ligne*), la lutte contre la désertification vétérinaire dans les territoires ruraux a été une nouvelle fois avancée par la sénatrice Sophie Primas, par ailleurs, administratrice de l'école privée UniLaSalle** qui a présenté un projet d'école vétérinaire privée auprès du ministère de l'Agriculture.  

« Face à la désertification vétérinaire, il faut faire feu de tout boisJe comprends votre réticence (elle répondait aux adversaires du projet NDLR), mais rappelle qu'il s'agira d'établissements à but non lucratif, d'intérêt général et agréés par le ministère de l'Agriculture », a-t-elle indiqué.

La rapporteure, Laure Darcos, a ajouté que « cet article, longuement discuté avec les professionnels (sic), a été introduit à l'initiative de Sophie Primas et François Patriat. Il apporte une solution adaptée à la pénurie de vétérinaires ».

A l'instar du SNVEL*** et de la Fédération des syndicats vétérinaires de France (DV n° 1545), qui n'ont été qu'informés du dépôt de l'amendement, cet argument n'a pas fait mouche auprès du collègue LR de Sophie Primas, notre confrère Arnaud Bazin.

Défaut de consultation

« La profession de vétérinaire vit un paradoxe : beaucoup de jeunes voulant rejoindre la filière partent se former à l'étranger ; pour autant, nous manquons de vétérinaires essentiellement en ville. Dans le milieu rural, le problème est une question d'équilibre économique, car lorsque les clientèles sont de plus en plus dispersées, les confrères passent leur temps dans leur voiture, ce qui ne rapporte pas d'argent. Les dispositions votées cet été, qui permettent aux collectivités territoriales de soutenir financièrement ce type d'exercice, me semblent bien plus adaptées qu'augmenter le nombre de places au concours ou de créer des places dans une école vétérinaire privée à but non lucratif », a-t-il ainsi expliqué.

« Une formation d'État aurait eu l'avantage d'être homogène et les praticiens de base et les étudiants auraient pu être mieux consultés. Je m'abstiendrai sur cette disposition », a-t-il conclu.

De fait, ce projet d'ouverture d'écoles vétérinaires privées (assorti du dossier déposé par l'institut UniLaSalle) rencontre une franche hostilité dans une bonne partie de la profession vétérinaire, y compris chez les étudiants vétérinaires si l'on en croit le vote opéré récemment à VetAgro Sup (lire ici).

Pour le président du SNVEL, Laurent Perrin, et celui de la Fédération des syndicats vétérinaires de France (qui accueille notamment en son sein les représentants des enseignants des écoles nationales vétérinaires), Jean-Yves Gauchot, il faudrait plutôt renforcer les moyens des établissements publics.

Ils s'interrogent notamment sur le réel contrôle qui pourra être exercé sur la qualité de l'enseignement dispensé dans ce type d'établissement, sur l'incapacité d'un tel projet à résoudre la désertification rurale et sur le risque qu'il fait courir, à terme, à la profession par l'instauration vraisemblable d'une formation à deux vitesses.

Des critères à respecter

Face à ce projet, le Conseil national de l'Ordre des vétérinaires a, lui, énoncé les critères auxquels doit répondre le diplôme délivré par un tel établissement (DV n° 1546), parmi lesquels figurent une « formation vétérinaire conforme au référentiel d'activité professionnelle et de compétences à l'issue des études vétérinaires », un « haut niveau de formation scientifique et clinique visant à garantir la qualité du service rendu », une « formation conforme aux standards européens de l'Association européenne des établissements d'enseignement vétérinaire », l'« unicité du diplôme de docteur vétérinaire en France, toutes espèces, qui exclut de facto l'accès partiel à la profession vétérinaire » et le fait que « l'établissement d'enseignement supérieur agricole privé agréé devra également être en mesure de contribuer à la capacité de recherche et d'excellence scientifique de l'enseignement vétérinaire français sans que le recrutement dudit établissement vienne affaiblir la communauté enseignante des quatre écoles nationales vétérinaires ».

Désormais adoptée au Sénat en procédure accélérée, la disposition devrait être prochainement discutée en commission mixte paritaire avant d'être définitivement entérinée.

* A l'adresse https://bit.ly/3mLJh25.

** Comme l'atteste sa déclaration d'intérêts et d'activités déposée au Sénat, disponible à l'adresse https://bit.ly/3olm4pe.

*** SNVEL : Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral.


Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1547

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