Projet de cinquième école : le SNVEL et la Fédération des syndicats vétérinaires pas convaincus

Laurent Perrin (à gauche) et Jean-Yves Gauchot sont présidents respectivement du Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL) et de la Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF) qui accueille notamment les représentants des enseignants des écoles nationales vétérinaires.

© Jacques Graf

Enseignement

Face au projet de cinquième école vétérinaire, de statut privé, qui semble se concrétiser si l'on en croit le ministère de l'Agriculture (lire ici), tant le président du Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL) que celui de la Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF, qui accueille notamment en son sein les représentants des enseignants) émettent de fortes réserves sur son adéquation aux besoins de la profession. Ils s'interrogent sur le réel contrôle qui pourra être exercé sur la qualité de l'enseignement dispensé dans ce type d'établissement, sur l'incapacité d'un tel projet à résoudre la désertification rurale et sur le risque qu'il fait courir, à terme, à la profession par l'instauration vraisemblable d'une formation à deux vitesses.

  La Dépêche Vétérinaire : La Direction générale de l'enseignement et de la recherche assure (lire ici) qu'un projet précis de création d'une école vétérinaire privée s'est manifesté auprès du ministère de l'Agriculture, porté par UniLasalle à Rouen, qui serait en capacité d'assurer un flux de formation de 120 élèves par an. La création d'une cinquième école en France est un serpent de mer, vieux de plusieurs décennies. Pensez-vous qu'un tel projet puisse, cette fois, aboutir ?

Laurent Perrin, président du Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL) : Aucune modification législative n'avait été proposée jusqu'alors pour ouvrir la possibilité de création d'une école vétérinaire privée.

Ce n'est désormais plus le cas avec l'amendement qui est proposé par les sénateurs Sophie Primas et François Patriat à la loi de programmation pluriannuelle de la recherche ( LPPR). La probabilité de voir ce projet aboutir est donc plus importante.

Jean-Yves Gauchot, président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF) : Des amendements soutenus par le gouvernement ont en effet été déposés en ce sens.

Mais, selon l'analyse de la FSVF, les attendus de ces amendements sont très critiquables. En effet, les problèmes posés par la désertification rurale et la fragilité du maillage vétérinaire dans certaines zones de désertification identifiées en France ne seront pas résolus par une augmentation de la démographie vétérinaire mais par des solutions qui se trouvent dans un nouveau modèle économique, qui reste à construire entre l'ensemble des acteurs en incluant l'Etat et les collectivités territoriales.

Ces endroits sont des zones géographiques à très faible densité d'élevage, rendant hasardeux la rentabilité et ce, d'autant que la permanence et continuité des soins (PCS) dans ces zones en tension aggrave cette difficulté.

D.V. : Êtes-vous favorable à une telle création ?

L.P. : Au-delà de l'opinion que nous pouvons avoir sur ce projet, la question reste la pertinence d'une telle création et, si le projet était la création d'une cinquième école nationale vétérinaire publique, nous poserions nous la question ?

En effet, le coeur du problème est la qualité de l'enseignement dispensé et son adéquation à la vie professionnelle dans un éventuel établissement privé. Notre préoccupation est donc le contrôle du niveau de cet enseignement et la gouvernance de cet établissement.

J.-Y.G. : Nous ne pouvons dogmatiquement y être opposés parce qu'il s'agirait d'une école vétérinaire privée, comme il en existe dans certains pays d'Europe.

Mais cela pose nécessairement, et j'y suis d'autant plus sensible que je suis la troisième génération de vétérinaires dans ma famille, la question de la création d'une voie professionnalisante à côté de la voie universitaire actuelle.

Il ne faut pas revenir au passé des empiriques avec deux professions. Je m'explique : nos écoles nationales vétérinaires (ENV) sont intégrées à l'enseignement supérieur avec lequel elles partagent, comme les universités, les statuts (enseignants-chercheurs), les attendus de promotion des personnels (thèse, habilitation à diriger des recherches, research driven ...), les salaires, les missions, etc. Nos ENV sont évaluées au niveau national par l'HCERES 1 et, au niveau européen, par un système privé associatif l'AEEEV 2 .

Si ce projet devait voir le jour, il faudra être extrêmement vigilant sur la qualité de l'enseignement et de la recherche. Dans une école vétérinaire privée, la recherche sera très limitée alors que nos ENV sont des centres de production et de transmission des connaissances.

Cette dynamique de recherche peut sembler éloignée des attentes des praticiens mais elle est fondamentale pour les besoins de l'Etat et de la société car c'est elle qui garantit une formation d'excellence.

D.V. : Un amendement à la loi dite LPPR qui se propose d'encadrer la possibilité de création d'é coles vétérinaires privées en France a en effet été présenté. S'il venait à être adopté, pensez-vous que, dans de telles conditions, les risques de dérapages, à savoir la « production » de diplômés en inadéquation avec les besoins réels de la profession », soient réels ?

L.P. : Les attendus de ces amendements mettent en avant la réponse aux « déserts vétérinaires ». La solution à cette problématique ne se résume pas à la formation de plus de vétérinaires. La preuve en est que l'augmentation forte des promotions dans les quatre écoles nationales vétérinaires (ENV), pas plus que les flux de vétérinaires formés à l'étranger dans les écoles européennes, depuis ces dernières années n'y suffit pas.

De plus, le coût moyen des formations à l'étranger oscille entre 50 000 et 100 000 euros. Il n'est pas honnête de considérer que, chargés de ces dettes, des jeunes vétérinaires formés dans une école privée d'un coût équivalent iront, plus que d'autres, travailler dans ces déserts où l'économie est incertaine.

Aujourd'hui, l'inadéquation quantitative est déjà un risque représenté par la prolifération des écoles privées, ailleurs en Europe et la libre circulation des personnes. Concernant l'inadéquation qualitative, c'est le contrôle du contenu et de la qualité de l'enseignement qui est la solution. L'application des critères de l'AEEEV devrait permettre de prévenir ce « dérapage ». Nombre d'entre eux peuvent être posés comme préalable à l'ouverture.

J.-Y.G. : Pour éviter tout dérapage, il faut une régulation et un encadrement par l'Etat afin de s'assurer que l'établissement aura la capacité de garantir que la formation dispensée et les recherches conduites par ces établissements répondront aux mêmes exigences, nationales ou européennes, que les écoles nationales vétérinaires.

Dans le projet d'amendement, il y a des gardes fous avec un dispositif d'agrément préalable et une évaluation régulière. J'y souscris sur le principe tout en attirant l'attention sur la difficulté de garantir le respect de ces engagements.

Nous serons vigilants sur le décret en Conseil d'Etat afin que l'Etat en ait les moyens. Un moratoire pendant la durée duquel UniLasalle serait soumis à la pression constante de l'atteinte des objectifs qualitatifs pourrait être inscrit dans la loi.

Ce sera une demande que je porterai : inscrire dans la loi la nécessité de faire des points d'étape à 6 ans (fin de la première promo) puis 4 ans plus tard.

Mais il sera impossible d'éviter le risque d'une formation vétérinaire à deux vitesses avec des conséquences négatives à moyen et long terme pour l'image de notre profession.

D.V. : Les besoins futurs de diplômés vétérinaires en France sont plus élevés dans le secteur canin en pleine croissance qu'en productions animales. Le projet de l'école d'agronomie d'UniLasalle ne risque-il pas de manquer l'objectif de répondre proportionnellement aux besoins de chacun des secteurs ?

L.P. : Dans l'état actuel du cursus vétérinaire, la formation par les écoles doit préparer les futurs diplômés à l'exercice dans toutes les filières animales, même si la dernière année permet d'approfondir les connaissances de façon plus spécifique.

Cette éventuelle cinquième école devra répondre aux mêmes exigences qui s'imposent aux quatre écoles nationales vétérinaires et je crains donc qu'elle ne forme les mêmes profils de vétérinaires.

Il ne faut pas oublier non plus que le coût des études dans les écoles privées risque également de participer à cette sélection... 

Seul un recrutement ciblé permettrait de modifier le projet des étudiants. Mais il me semble que ce qui prime sur le choix de carrière des vétérinaires reste l'attractivité du territoire d'installation et l'attractivité économique du secteur d'activité choisi.

Imaginer qu'il sera formé plus de vétérinaires ruraux parce qu'une école privée gérée par un organisme agricole voit le jour me paraît peu réaliste.

J.-Y. G. : C'est le fond du sujet. L'Etat et les élus de la République sensibilisés, à juste titre, à la désertification rurale vétérinaire pensent trouver à bon compte et pour pas cher la solution par la création d'une école vétérinaire privée.

Avec des droits d'inscriptions annoncés par le projet UniLasalle aux alentours de 90 000 euros sur six années d'études, avec un recrutement post bac inscrit dans Parcoursup, le recrutement favorisera une classe sociale élevée pas nécessairement prête à s'installer dans des territoires en désertification.

Le secteur de la canine et des nouveaux animaux de compagnie aspire aujourd'hui les flux de la démographie vétérinaire. Comme je l'ai déjà indiqué, ce projet ne réglera pas le problème de l'attractivité dans les zones de désertification rurale. C'est donc une mauvaise réponse à un vrai problème.

Le projet d'école vétérinaire privée peut, par contre, être une réponse aux jeunes étudiants français qui, à ce jour, s'expatrient dans des pays non francophones (Cluj, Valence, Combria, Alfonso X..) pour faire leurs études vétérinaires.

En 2018/2019, nous avions précisément 1 738 français étudiant dans des facultés vétérinaires, dont 293 diplômés à la fin du mois de juin 2019, soit 1,8 ENV.

D.V. : Quelles sont, à votre avis, les solutions qui seraient les plus adaptées pour répondre à ces besoins ?

L.P. : En premier lieu, la diversification du recrutement (les classes préparatoires intégrées sont une première étape) permettra la diversification des profils d'étudiants. En second lieu, vient la part faite aux stages pendant le cursus et la qualité de la réception des stagiaires par les confrères et consoeurs maîtres de stages.

Ce premier contact avec la réalité du terrain est primordial dans l'orientation de la carrière des jeunes vétérinaires et le choix de la filière d'exercice est acquis dès la deuxième ou troisième année d'étude.

Enfin, au-delà des écoles, les efforts de tous doivent converger à l'amélioration des conditions d'exercice pour équilibrer l'attractivité de l'exercice dans les différentes filières et les différents territoires en termes d'économie, de contraintes et d'équilibre vie privée-vie professionnelle.

J.-Y.G. : Face aux difficultés de recrutement des vétérinaires, le nombre d'étudiants en ENV a été augmenté de 35 % en 8 ans. Face aux zones de tensions en rurale, le dispositif du tutorat a été mis en oeuvre mais, à mon sens, il est encore très largement insuffisant, même s'il est monté en puissance.

Pour pallier l'excessive longueur des études vétérinaires en France et pour élargir la base sociale de recrutement, dès 2021, les élèves de terminale pourront, via Parcoursup, intégrer directement une ENV. Cela représentera 25 % du recrutement des ENV.

On peut également saluer l'initiative parlementaire soutenue par le gouvernement des dispositions de la loi DDADUE avec la création d'un dispositif fondé sur des aides financières ou matérielles à l'installation ou au maintien des vétérinaires en zone rurale. Ces dispositions arrivent sans doute trop tard pour certaines zones mais elles vont dans le bon sens. 

Aujourd'hui, notre profession se questionne beaucoup sur l'abaissement continuel de l'âge de sortie du tableau de l'Ordre (47 ans, beaucoup plus tôt pour les femmes). Le métier serait-il inintéressant ? Usant ? Peu rémunérateur ? Les vétos seraient-ils des techniciens quand ils devraient être des cadres et, partant de là, peu stimulés par leur métier ? Ces points ont été identifiés par VetFuturs.

Une solution est de mettre en place un vrai enseignement en alternance. On a le modèle du tutorat mais il est très largement sous dimensionné.

La meilleure réponse aux besoins quantitatifs serait de modifier les ENV pour qu'elles augmentent leurs effectifs. C'est possible et il faudrait pour cela un budget d'environ six millions d'euros par ENV et par an, pour passer à 200 étudiants.

C'est ambitieux et cela permettrait à nos ENV de relever les défis du XXI e siècle dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche, en contribuant à l'élaboration d'une approche globale de la santé de type One Health . Ainsi, l'Etat augmenterait le nombre de places de 40 étudiants par ENV, en respectant les ratios étudiants/enseignants-chercheurs sans déstabiliser l'ensemble de notre écosystème vétérinaire actuel.

Une telle option sécuriserait, à mon sens, la profession, dont certains trouvent que les ENV ne fournissent pas les professionnels attendus et pas en quantité suffisante.

L'Etat pourrait supporter le financement de l'augmentation de la taille des promotions par une expérimentation sur des « droits d'inscriptions à remboursement différé », tels qu'ils ont été proposés par la Conférence des grandes écoles, sur lesquels l'Etat et les collectivités territoriales pourraient s'appuyer pour inciter les étudiants à travailler dans des zones éligibles de désertification rurale.

Le coût pour les familles et les futurs vétérinaires serait bien moins élevé que celui annoncé pour le projet UniLasalle (plus de 90 000 euros sur l'ensemble de la scolarité) et le système serait beaucoup moins inégalitaire.

Nos ENV sortiraient gagnantes d'une telle opération de rehaussement de 160 à 200 étudiants sur 6 ans, car elles rejoindraient le modèle de la plupart des facultés européennes et leur budget se rapprocherait de celui de ces facultés pour atteindre une taille critique satisfaisante.

J'insiste sur un point essentiel : notre pays doit investir dans ses ENV afin de préparer l'avenir. Or, nous constatons un sous-investissement important par rapport aux pays qui disposent des meilleurs établissements. Notre pays souffre de la comparaison par rapport aux pays européens les plus avancés dans le domaine de l'enseignement vétérinaire. Les ENV ne sont pas particulièrement bien classées, notamment dans le classement de Shangaï, ce qui est peu valorisant pour un pays qui a été le berceau de la médecine vétérinaire dans le monde.

Les blocages doivent être levés afin de maintenir l'enseignement vétérinaire français au meilleur niveau et soutenir nos enseignants-chercheurs et tous les personnels d'accompagnement et de soutien qui se mobilisent fortement pour faire face à l'augmentation du nombre d'étudiants.

1 HCERES : Haut conseil de l'évaluation de l'enseignement de la recherche et de l'enseignement supérieur.

2 AEEEV : Association européenne des établissements d'enseignement vétérinaire.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1545

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