Cinquième école : un projet précis a été déposé, confirme la DGER

Notre consoeur Isabelle Chmitelin est directrice générale de l'enseignement et de la recherche.

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Enseignement

Les rumeurs concernant la création d'une cinquième école vétérinaire privée nous ont conduit à poser la question à la directrice générale de l'enseignement et de la recherche, notre consoeur Isabelle Chmitelin. Elle confirme le dépôt d'un projet porté par UniLasalle, une école privée d'agronomie, à Rouen, qui serait en capacité d'assurer un flux de formation de 120 élèves par an. Cette perspective ne serait cependant qu'un des aspects de la refondation de l'enseignement vétérinaire qui est en cours.

La Dépêche Vétérinaire : Les vétérinaires ont des difficultés pour recruter des collaborateurs ou des remplaçants. Quelles sont les actions engagées par le ministère et les écoles nationales vétérinaires ?

Isabelle Chmitelin, directrice générale de l'enseignement et de la recherche : Face aux difficultés pour recruter des vétérinaires, le nombre d'étudiants en écoles nationales vétérinaires (ENV) a été augmenté de 35 % depuis 2012 et des investissements conséquents ont été lancés dans les écoles.

L'effectif des promotions de chaque école a ainsi été porté de 120 à 160 étudiants. Cela équivaut à la création d'une « cinquième ENV intramuros » avec 160 jeunes vétérinaires supplémentaires par an formés en France arrivant sur le marché de l'emploi vétérinaire.

Cette « cinquième ENV intramuros » a été accompagnée par des moyens humains supplémentaires, dans un contexte budgétaire contraint, mais n'aurait pas été possible sans la mobilisation et les capacités d'innovation des enseignants et des personnels oeuvrant dans les ENV.

Pour accueillir ces étudiants supplémentaires dans des conditions propices, le ministère de l'Agriculture a lancé un programme d'investissements dans les ENV sans précédent depuis la construction de l'école nationale vétérinaire de Nantes à la fin des années 70 :

- le ministère et la région Ile-de-France ont investi plus de 60 millions d'euros sur le campus de l'école nationale vétérinaire d'Alfort (ENVA) pour qu'elle recouvre son agrément européen ; à l'horizon 2025, l'ENVA disposera d'installations à Maisons-Alfort et Dozulé (Calvados) qui correspondront aux standards rencontrés dans les meilleures facultés vétérinaires d'Europe du nord ;

- pour les contrats de plan Etat-région 2021-2027, le ministère de l'Agriculture a accordé une priorité à la rénovation des écoles nationales vétérinaires de Toulouse (ENVT) et de Lyon (VetAgroSup) ; si les collectivités territoriales concernées apportent la contrepartie attendue, plus de 80 millions d'euros d'investissements pourront être mobilisés pour ces deux écoles vétérinaires, dont la conception date des années 50.

D.V. : On constate un problème de désertification vétérinaire dans certaines zones. Que fait l'Etat en matière de répartition des vétérinaire?

I.C. : Outre, les augmentations des effectifs étudiants, le ministère agit également sur les conditions de l'installation et du maintien des vétérinaires.

Les vétérinaires, les organisations d'éleveurs et les élus ruraux constatent régulièrement que les vétérinaires soignant les animaux de rente sont de moins en moins nombreux, ce qui pose des problèmes de continuité des soins aux animaux d'élevage et de surveillance des maladies animales, dont celles transmissibles à l'Homme. Le film Les vétos a popularisé ce problème.

En lien étroit entre la profession vétérinaire, le ministère de l'Agriculture et les ENV ont mis en oeuvre afin d'encourager l'installation de jeunes vétérinaires en milieu rural un dispositif intitulé « tutorat rural », en 2013.

Le dispositif est progressivement monté en puissance, en particulier à partir de l'année 2016 où le soutien financier de la Direction générale de l'alimentation est intervenu. Aujourd'hui, plus de 100 jeunes vétérinaires ont bénéficié de ce programme et, à de rares exceptions, ils exercent en milieu rural. J'encourage les vétérinaires praticiens qui souhaitent s'engager dans ce dispositif à le rejoindre.

L'augmentation de la population vétérinaire n'apportera pas une réponse adéquate à la désertification vétérinaire si la soutenabilité économique de l'activité vétérinaire dans les zones à faible densité d'élevages n'est pas assurée.

Aussi, à l'occasion de l'examen du projet de loi DDADUE (adaptation au droit européen) en séance publique, le 9 juillet 2020, le Sénat a adopté un amendement permettant aux collectivités locales d'attribuer des aides à l'installation de vétérinaires, dans le but de lutter contre leur raréfaction dans certaines zones rurales. Elles pourront aussi verser des indemnités d'étude et de projet professionnel à des étudiants s'engageant, en signant une convention, à exercer sur leur territoire s'il se situe dans une zone désertée. Il s'agit de mettre en place un dispositif analogue à celui existant pour les médecins et les dentistes.

D.V. : Alors que les ENV étaient des ascenseurs sociaux, avec de nombreux enfants d'éleveurs ou d'employés qui y étudiaient jusque dans les années 80, on constate aujourd'hui une homogénéité sociale et géographique des étudiants lauréats du concours véto. Est-ce une fatalité comme pour toutes les grandes écoles ? La durée des études pour devenir vétérinaire en France ne serait-elle pas un handicap pour les ENV et un obstacle à la diversité sociale ?

I.C. : Les ministres de l'Agriculture et de l'Enseignement supérieur ont annoncé une réforme majeure du recrutement des ENV.

Car vous avez raison : la sélection à l'entrée des classes préparatoires, le rythme d'études subi dans les classes préparatoires et le concours vétérinaire sont socialement sélectifs. De manière récurrente, plus de 20 % des lauréats au concours vétérinaire ont un des parents domiciliés dans les départements de Paris (75), des Yvelines (78) et des Hauts-de-Seine (92).

Par ailleurs, la France est incontestablement le pays européen où la durée des études conduisant au diplôme d'État de docteur vétérinaire, permettant l'exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux, est la plus longue, de sept ans à neuf ans, contre six ans en moyenne à l'étranger, ce qui est coûteux pour les jeunes et leurs familles et retarde l'âge de l'entrée dans la vie active.

Enfin, l'Atlas démographique de la profession vétérinaire fait apparaître que l'âge moyen des sortants du tableau de l'ordre est de 45,7 ans, en nette diminution par rapport à 2018 (52 ans), lié à des reconversions professionnelles précoces, montrant que les profils des étudiants recrutés sont décalés par rapport aux réalités quotidiennes du métier de vétérinaires praticien. Pour comparaison, il s'élève à plus de 60 ans pour les médecins (Atlas national 2018), même si la situation n'est pas tout à fait comparable (un médecin qui exerce dans le secteur public reste inscrit au tableau de l'Ordre, ce qui n'est pas le cas d'un vétérinaire).

Aussi, les élèves de classe terminale préparant le baccalauréat général pourront, dès 2021, candidater sur Parcoursup pour les ENV qui organiseront une sélection avec des épreuves prévoyant, notamment, des pourcentages minimaux de bacheliers bénéficiaires de la bourse nationale de lycée. En 2021, ce recrutement post-bac concernera 25 % du recrutement des ENV.

Les épreuves de recrutement seront conçues sur la base de modèles éprouvés dans les facultés de médecine et vétérinaires anglo-saxonnes ou québécoises pour détecter des aptitudes à l'exercice de la médecine et de la chirurgie.

Le Pr Marc Gogny, ancien directeur de l'ENVA, est en charge de cette mission nationale de conception des épreuves et de coordination du recrutement.

Ces étudiants recrutés sur Parcoursup accéderont au diplôme d'État de docteur vétérinaire après six ans d'études, durée des études vétérinaires communément rencontrée en Europe. Ces étudiants suivront une première année, à visée propédeutique, commune aux quatre ENV, à l'issue de laquelle ils seront rejoints par les étudiants recrutés par les autres voies du concours vétérinaire.

Ce concours d'accès post-bac a vocation à mieux répondre aux préoccupations des jeunes générations, notamment celles issues de milieux moins favorisés qui hésitent à s'inscrire dans un cursus généraliste de classe préparatoire aux grandes écoles et préfèrent, dès le bac, s'orienter dans des cursus intégrés conduisant à un métier bien identifié et attractif sur la base d'un projet professionnel.

Avec cette réforme du recrutement, les ENV font partie des grandes écoles les plus résolues à agir sur le terrain des déterminismes sociaux.

D.V. : Plusieurs personnes ont entendu parler de la possibilité d'une modification législative ouvrant la possibilité de création d'écoles vétérinaires privées ?

I.C. : Il demeure que 40 % des vétérinaires primo-inscrits à l'Ordre ont été formés à l'étranger, dans des facultés vétérinaires de pays de l'Union européenne. Cette délocalisation est favorisée par une offre importante de l'enseignement supérieur vétérinaire de pays voisins tels que l'Espagne (13 écoles vétérinaires contre seulement 4 en France), la Roumanie, la Hongrie, l'Estonie ou le Portugal qui développent des cursus francophones ou anglophones.

Sur la période 2019-2023, la France aura besoin de plus de 1 000 nouveaux vétérinaires par an pour satisfaire la demande, principalement dans le secteur des animaux de compagnie, où le déficit est très important, et, dans une moindre mesure, chez les animaux de rente. Ce chiffre est à analyser à la lumière des 640 diplômés des ENV françaises.

La formation vétérinaire est une formation exigeante en termes d'encadrement et d'équipements scientifiques, techniques et hospitaliers. Elle est soumise à accréditation par l'Association européenne des établissements d'enseignement vétérinaire. Aussi, compte-tenu de ces contraintes techniques (capacité d'accueil des écoles vétérinaires, notamment pour les formations cliniques limitée) et financières, force est de constater que les quatre ENV ne peuvent apporter seules une réponse au besoin de vétérinaires sur le territoire, sans remettre en cause la qualité de la formation qui y est dispensée.

Des sénateurs, dont François Patriat et Sophie Primas, ont présenté un amendement à la loi dite LPPR (loi de programmation pluriannuelle de la recherche) qui se propose d'encadrer la possibilité de création d'écoles vétérinaires privées en France.

La possibilité de création d'écoles vétérinaires privées d'intérêt général serait réservée à des établissements d'enseignement supérieur à buts non lucratifs, ayant un contrat avec le ministère chargé de l'agriculture, c'est-à-dire les écoles privées d'agronomie, dont UniLasalle. Elle sera régulée et encadrée pour que l'Etat soit en capacité de garantir que la formation dispensée et les recherches conduites par ces établissements répondront aux mêmes exigences, nationales ou européennes, que les écoles nationales vétérinaires à travers un dispositif d'agrément préalable.

Il s'agit d'assurer aux jeunes et à leur famille que la qualité de la formation vétérinaire qui y sera dispensée réponde aux standards européens, d'éviter une dérégulation et une dérive vers les situations italiennes ou espagnoles où les formations vétérinaires se multiplient sans que les autorités soient en mesure d'exercer un contrôle de la qualité des enseignements et de la recherche qui y sont conduits, enfin de ne pas déstabiliser le service public de l'enseignement vétérinaire.

Un projet précis de création d'une école vétérinaire privée s'est manifesté auprès du ministère de l'Agriculture, porté par UniLasalle à Rouen, qui serait en capacité d'assurer un flux de formation de 120 élèves par an.

L'ensemble de ces mesures fortes constitue une véritable refondation de l'enseignement vétérinaire probablement sans précédent depuis la loi du 31 juillet 1923 créant le diplôme d'Etat de docteur vétérinaire.


Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1545

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