Anticorps monoclonaux : une classe thérapeutique émergente en santé animale, qui a débuté avec le lokivetmab dans le traitement de la DAC

Notre confrère Antoine Fordin (directeur médical Zoetis France) explique que Zoetis a été le premier laboratoire vétérinaire à s'intéresser aux anticorps monoclonaux en créant son propre groupe de recherche en 2007.

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Corinne DESCOURS-RENVIER

Thérapeutique

Le symposium InnoVetmAb, organisé par le laboratoire Zoetis, en mars, sur l'utilisation des anticorps monoclonaux en médecine vétérinaire a fait le point sur le développement et les indications du lokivetmab, du frunévetmab et du bedinvetmab, trois anticorps monoclonaux développés spécifiquement pour la santé animale. Commercialisé sous le nom de Cytopoint ND, le lokivetmab est le premier ancitorps monoclonal à avoir été commercialisé par le laboratoire. Il occupe désormais une place de choix dans le traitement de la dermatite atopique canine.

Le laboratoire Zoetis a organisé à Paris, en mars, le symposium InnoVetmAb, consacré à l'élaboration et l'utilisation des anticorps monoclonaux, une classe thérapeutique émergente en santé animale.

Produits par un seul clone de lymphocytes B, les anticorps monoclonaux (mAbs) sont des immunoglobulines dotées d'une extrême spécificité pour leur cible.

Les mAbs d'intérêt thérapeutique se lient à des antigènes caractéristiques de certaines maladies difficiles à traiter, comme l'arthrose, les affections auto-immunes ou les cancers. Ils empêchent ainsi la progression de la maladie ou, tout au moins, en atténuent les symptômes.

Les anticorps monoclonaux produits en laboratoire fonctionnent de la même façon que leurs homologues naturels. Ils sont éliminés par les voies normales de dégradation des protéines, avec une implication minime du foie et des reins, ce qui explique qu'ils sont très bien tolérés par les patients.

« En médecine humaine, les premiers travaux consacrés aux mAbs remontent aux années 80 », explique notre confrère Antoine Fordin, directeur médical Zoetis France. « Zoetis a été le premier laboratoire vétérinaire à s'y intéresser, en créant son propre groupe de recherche en 2007. Nos travaux ont abouti au lancement du premier anticorps monoclonal commercialisé en santé animale, le lokivetmab, en 2017. Depuis, le frunévetmab et le bedinvetmab sont venus enrichir l'arsenal thérapeutique des vétérinaires ».

Zoetis est actuellement le seul laboratoire à proposer ce type de traitement en santé animale.

Le lokivetmab, premier anticorps monoclonal développé en santé animale

Indiqué dans la gestion du prurit et de l'inflammation chez les chiens atteints de dermatite atopique canine (DAC), le lokivetmab est un anticorps monoclonal dirigé spécifiquement contre une cytokine : l'interleukine-31.

« L'IL-31 a été choisie comme cible en raison de son rôle majeur dans l'apparition du prurit chez le chien atopique », explique Clarisse Roussel Ariza (Zoetis). Le blocage de l'IL-31 par le lokivetmab empêche la cytokine de se fixer sur son récepteur, ce qui inhibe le message cellulaire normalement médié par l'IL-31 et interrompt le cycle du prurit chez les animaux traités.

Le lokivetmab est produit par des cellules de souris immunisées contre IL-31. « Une fois les lymphocytes B produisant l'anticorps souhaité sélectionnés, reste à les « caniniser » », précise Séverine Boullier, professeur d'immunologie à l'école vétérinaire de Toulouse. Il est en effet dangereux d'injecter les anticorps d'une espèce animale à une autre : ils pourraient être reconnus en tant que corps étrangers et déclencher des réactions immunologiques nocives, comme une hypersensibilité de type III.

Certaines séquences du génome des lymphocytes, en particulier celles codant pour la partie de l'anticorps anti-IL-31 spécifique de la souris, sont donc remplacées par de l'ADN canin. Les cellules ainsi modifiées produiront des anticorps sans danger pour le chien.

« Le lokivetmab a été développé spécifiquement pour l'espèce canine », conclut Séverine Boullier. « Il ne doit pas être utilisé chez d'autres animaux, y compris le chat ».

Utilisation chez le chien atopique possible à tout âge

La dermatite atopique canine (DAC) est l'une des principales affections cutanées du chien en termes d'incidence1 ou de baisse de la qualité de vie pour le chien et son propriétaire en raison du stress occasionné par les traitements et leur coût.

Commercialisé sous le nom de Cytopoint ND, le lokivetmab occupe désormais une place de choix dans le traitement de la DAC, comme en témoigne le cas clinique présenté durant le symposium par Vincent Mahé, vétérinaire dans les Pyrénées-Atlantiques.

Notre confrère a en effet suivi un chiot Labrador âgé de 9 mois, présenté pour un prurit évoluant depuis plusieurs semaines. L'animal a déjà été traité sans succès à l'aide de corticoïdes. Il présente une otite érythémato-cérumineuse bilatérale, accompagnée d'une pododermatite interdigitée. Le prurit est évalué à 8/10 par le propriétaire.

Même sur un animal aussi jeune, Pascal Prélaud, vétérinaire au CHV2 Advetia (78), remarque que le diagnostic de DAC est assez simple à réaliser une fois les autres causes de prurit écartées.

« Dans un cas comme celui-ci, le lokivetmab est intéressant pour soulager le prurit car on peut l'utiliser chez le chiot3 », précise notre confrère. « Cela permet d'attendre que le chien soit suffisamment âgé pour rechercher l'origine de la DAC, en mettant notamment en place un régime d'éviction ».

« Si les mAbs sont effectivement très utiles chez le jeune, ils sont aussi très intéressants chez le chien âgé », ajoute Céline Darmon, vétérinaire au CHV Frégis (75). « On peut en effet les utiliser sans risquer d'aggraver d'éventuelles maladies concomitantes ».

Vincent Mahé indique qu'un traitement à base de Cytopoint ND 40 mg a été mis en place chez ce patient. En l'espace de 15 jours, les lésions ont disparu et le score du prurit est estimé à 2/10. Les injections seront ensuite renouvelées, soit tous les 15 jours, soit en cas de reprise du prurit, jusqu'à ce que l'animal atteigne l'âge d'un an et que l'origine de la DAC puisse être recherchée. Le traitement sera ensuite adapté aux besoins de l'animal.

Des injections mensuelles qui favorisent l'observance

« Les effets de Cytopoint ND se manifestant dans les 8 heures suivant son administration, il peut être utilisé pour soulager rapidement le prurit chez le chien atopique en l'absence de lésions cutanées », remarque Clarisse Roussel Ariza.

Le lokivetmab est surtout utilisé à moyen, voire à long terme, en raison de sa durée d'action, estimée à 28 jours. L'intervalle conseillé entre deux injections est donc généralement de 3 à 4 semaines.

« La mise en place d'injections mensuelles favorise l'observance du traitement et place le vétérinaire au coeur de la prise en charge de l'animal », conclut Céline Darmon.

L'oclacitinib, molécule indiquée dans les phases aiguës de la DAC

Si Cytopoint ND est surtout utilisé comme traitement de fond de la DAC, Zoetis commercialise un autre médicament vétérinaire, Apoquel ND et Apoquel à croquer ND, davantage adapté aux phases d'évolution aiguë de la DAC en raison de sa rapidité d'action (1 à 3 heures).

« Le principe actif d'Apoquel ND, l'oclacitinib, diminue le prurit et l'inflammation en inhibant la voie des Janus-kinases », précise Clarisse Roussel Ariza.

Ce médicament est particulièrement intéressant pour stopper le prurit d'origine allergique durant l'établissement du diagnostic de DAC chez le chien âgé de plus de 12 mois.

Alliance thérapeutique indispensable avec le propriétaire

Si les anticorps monoclonaux ouvrent de nouvelles perspectives en santé animale, le traitement de la DAC reste toutefois multimodal : biothérapies, soins locaux, antiparasitaires externes, désensibilisation ou alimentation hypoallergénique...

« La maladie évoluant toute la vie de l'animal, une alliance thérapeutique avec le propriétaire est par ailleurs indispensable pour une prise en charge réussie », conclut Pascal Prélaud.

1 Principale cause de consultation dans l'espèce canine après les infestations parasitaires.

2 Centre hospitalier vétérinaire.

3 De plus de 3 kg.

Anticorps monoclonaux et arthrose : « l'arsenal thérapeutique des vétérinaires est plus développé que celui de la médecine humaine »

Corinne DESCOURS-RENVIER

Le symposium InnoVetmAb, organisé par le laboratoire Zoetis, en mars, sur l'utilisation des anticorps monoclonaux en médecine vétérinaire. Après avoir présenté le lokivetmab (lire ci-dessus), les conférenciers ont fait le point sur l'utilisation du bedinvetmab et du frunévetmab, deux anticorps monoclonaux développés spécifiquement pour soulager la douleur liée à l'arthrose chez le chien et le chat. Pour une fois, l'arsenal thérapeutique des vétérinaires est plus développé que celui des médecins. Contrairement à ce que l'on observe chez l'Homme, les anticorps monoclonaux ont fait la preuve de leur innocuité et leur efficacité pour soulager les animaux arthrosiques.

Le laboratoire Zoetis a organisé à Paris, en mars, le symposium InnoVetmAb, consacré au développement et à l'utilisation des anticorps monoclonaux, classe thérapeutique émergente en santé animale.

« L'arthrose est un très bon exemple d'indication des anticorps monoclonaux (mAbs) », explique Pauline Bouissou (Zoetis). « Cette maladie fréquente occasionne douleur et dégénérescence progressive de l'articulation touchée. Elle atteint jusqu'à 70 % des chiens âgés de plus de 8 ans et 90 % des chats de plus de 12 ans ».

Il existe de nombreuses similitudes entre l'Homme et le chien arthrosiques : facteurs de risques, prédispositions, etc. Dans les deux cas également, la durée de vie augmente, accompagnée du désir de maintenir le plus longtemps possible une qualité de vie satisfaisante.

Anticorps monoclonaux anti-NGF : des solutions innovantes dans la prise en charge de l'arthrose

Fort de son expérience avec le lokivetmab, premier anticorps monoclonal thérapeutique vétérinaire mis sur le marché en 2017, Zoetis a mis sur le marché en 2021 le bedinvetmab et le frunévetmab, développés pour soulager la douleur liée à l'arthrose chez le chien et le chat.

Ces immunoglobulines, issues chacune d'une seule lignée de lymphocytes B, ciblent spécifiquement, avec une très forte affinité, une protéine assurant la médiation de la douleur : le facteur de croissance nerveuse (nerve growth factor ou NGF).

« Les chondrocytes endommagés entraînent la libération de médiateurs inflammatoires provoquant une synovite, responsable à son tour de la production d'autres molécules pro-inflammatoires dont le NGF », explique Pauline Bouissou. « Si cette protéine est présente en faible quantité dans l'articulation saine, sa concentration augmente fortement dans les articulations arthrosiques ».

En se liant au récepteur TrkA, le NGF joue un rôle d'amplificateur de la douleur et déclenche un ensemble de réactions chimiques qui aboutissent à la mise en place d'un véritable cercle vicieux.

Le bedinvetmab et le frunévetmab vont empêcher la protéine de se fixer à son récepteur, ce qui inhibe le message cellulaire normalement médié par le complexe NGF-TrkA et interrompt le cycle de la douleur chez les animaux traités.

Des immunoglobulines spécifiques du chien et du chat

Si le lokivetmab a été créé à partir de cellules de souris produisant des anticorps murins adaptés au chien ou « caninisés », le bedinvetmab est le premier médicament vétérinaire à avoir bénéficié d'une technique reposant sur l'utilisation de lymphocytes B canins.

« L'intérêt est de produire des anticorps monoclonaux spécifiques de l'espèce cible, qui ne risquent pas d'induire d'immunogénicité préjudiciable à leur efficacité », remarque Pauline Bouissou.

Le chien donneur de lymphocytes B est immunisé par inoculation de NFG conjugué à une anatoxine diphtérique. L'anticorps monoclonal canin est ensuite produit après recombinaison avec des cellules d'ovaires de hamster chinois (OHC).

Le frunévetmab a été développé spécifiquement pour l'espèce féline.

Efficacité et immunité supérieures en santé animale

L'indication du bedinvetmab (Librela ND) et du frunévetmab (Solensia ND) est la gestion de la douleur liée à l'arthrose respectivement chez le chien et le chat.

« Pour une fois, l'arsenal thérapeutique des vétérinaires est plus développé que celui de la médecine humaine », se réjouit Luca Zilberstein, vétérinaire au CHV Advetia (78). En effet, contrairement à ce que l'on observe chez l'Homme, les anticorps monoclonaux ont fait la preuve de leur innocuité et de leur efficacité pour soulager les animaux arthrosiques.

« L'utilisation du frunévetmab et du bedinvetmab est particulièrement intéressante chez les animaux âgés ou atteints d'une affection concomitante en raison de leur action très ciblée et de leur élimination par les voies normales de dégradation des protéines, avec une implication minime du foie et des reins », précise notre confrère.

Toujours rechercher la cause primaire d'arthrose

L'administration de Librela ND et de Solensia ND se fait sous forme d'injections mensuelles, ce qui favorise l'observance du traitement et place le vétérinaire au coeur de la prise en charge de l'animal. « A condition toutefois de ne pas se contenter de réaliser une simple injection mais mettre en place un vrai projet thérapeutique », prévient Sophie Guilmin praticienne en Ille-et-Vilaine (35).

Notre confrère Guillaume Ragetly (CHV Frégis (75)) insiste sur l'importance de rechercher systématiquement la cause primaire de l'arthrose en vue de réaliser une prise en charge correcte.

« A titre d'exemple, une rupture des ligaments croisés nécessite généralement un traitement chirurgical », explique notre confrère. « Sans opération, non seulement les anticorps monoclonaux ne pourraient pas soulager durablement l'animal mais leur utilisation risquerait même d'accentuer les lésions ».

En effet, ne ressentant plus de douleur, le chien ou le chat mobiliserait davantage l'articulation, ce qui aggraverait la situation dans un second temps, comme avec des anti-inflammatoires.

Fixer des objectifs de traitement réalistes et raisonnables

Si les anticorps monoclonaux révolutionnent la prise en charge des chiens et des chats arthrosiques, ils s'inscrivent cependant dans une approche multimodale : exercice physique, massages, contrôle du poids et de l'alimentation...

« Pour une prise en charge réussie, les objectifs du traitement doivent être réalistes et raisonnables », prévient Luca Zilberstein. « Il est préférable de se fixer des buts précis avec le propriétaire de l'animal, comme la reprise de comportements qui avaient disparu : jeux, promenades... ».

« Le traitement doit systématiquement être individualisé car les animaux ne sont pas égaux devant la douleur », ajoute notre confrère Thierry Poitte (Charente-Maritime).

Le dépistage de l'arthrose est particulièrement difficile chez le chat étant donné la tendance de cet animal à souffrir en silence. « Pour sensibiliser les propriétaires de félins, nous plaçons des posters dans notre salle d'attente et nous leur proposons des grilles de dépistage à remplir », explique Sophie Guilmin. « Cela leur permet d'identifier d'éventuelles modifications du comportement de leur animal, potentiellement révélatrices de douleur : isolement, dépression, insomnie...».

Thierry Poitte conseille par ailleurs de transformer les administrations mensuelles d'anticorps monoclonaux en véritables consultations d'une vingtaine de minutes, qui représentent autant d'occasion d'échanger avec le propriétaire sur la situation de son animal.

« Il ne faut pas sous-estimer la charge émotionnelle des maîtres dans ce type d'affection évoluant sur le long terme et nuisant à la qualité de vie de l'animal », insiste notre confrère qui suggère d'associer les auxiliaires vétérinaires au suivi des patients pour fluidifier la prise en charge.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1714

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