Un cas d'entéropathie inflammatoire chronique chez le chien pris en charge avec une alimentation riche en fibres insolubles
Mercredi 20 Mars 2024 Animaux de compagnie 50204Photo n° 1 : Chien berger allemand mâle castré de 6 ans présenté pour troubles digestifs chroniques.
Amandine DRUT
Dipl. ECVIM-CA
Maître de conférences en médecine interne des animaux de compagnie
Oniris
Gastro-entérologie
Les entéropathies répondant à l'alimentation sont les formes les plus fréquentes d'entéropathie inflammatoire chronique chez le chien. Il peut être difficile de les distinguer des dysbioses car elles peuvent coexister et l'alimentation intervient sur la composition et l'activité du microbiote intestinal. Dans ce cas d'entéropathie inflammatoire chronique à prédominance colique, plusieurs essais alimentaires avaient été instaurés dès la première phase de la démarche diagnostique, notamment avec des fibres solubles, qui agissent favorablement sur le microbiote intestinal, sans amélioration clinique. L'utilisation d'un aliment riche en fibres insolubles, ayant une action mécanique sur le transit digestif et la consistance des selles, a montré son efficacité. Une rémission complète de la diarrhée et une nette amélioration des autres signes digestifs ont été constatées avec l'aliment Purina Pro Plan Veterinary Diets Canine OM Obesity Management ND, sans autre intervention thérapeutique concomitante.
Un chien berger allemand mâle castré de 6 ans (photo n° 1) est présenté en consultation spécialisée de médecine interne pour la prise en charge de troubles digestifs chroniques, caractérisés par des crises de diarrhée, vomissements et baisse d'appétit.
Aucun antécédent médical n'est rapporté. Le statut vaccinal est à jour pour les valences essentielles, la leptospirose, la rage et la toux de chenil. L'animal est correctement traité contre les parasites internes et externes.
Les troubles digestifs évoluent cycliquement depuis trois années. La diarrhée est caractérisée par une légère augmentation de la fréquence de défécation ainsi qu'une diminution de la consistance des selles avec un score fécal allant jusqu'à 7/7 (sur une échelle allant de 1 pour des selles très dures et sèches à 7 pour de la diarrhée liquide) et la présence de mucus, voire d'hématochézie occasionnelle (photo n° 2).
A chaque crise, la diarrhée s'accompagne de plusieurs vomissements de sucs gastriques nécessitant la mise en place d'un traitement symptomatique et d'une diminution marquée de l'appétit évoluant rapidement vers l'anorexie. Le chien a par ailleurs toujours été décrit comme peu vorace, en lien avec un comportement anxieux.
Essais alimentaires effectués
Une entéropathie inflammatoire chronique a été suspectée en priorité, notamment une entéropathie répondant à l'alimentation ou une dysbiose, voire une entéropathie répondant aux immunosuppresseurs.
Plusieurs essais alimentaires ont préalablement été effectuées :
- un aliment industriel hyperdigestible et enrichi en fibres prébiotiques, sans amélioration clinique significative ;
- un aliment industriel hypoallergénique constitué de protéines hydrolysées, avec une faible appétence constatée ;
- une ration ménagère constituée de poisson blanc, riz, courgettes et complément minéral, permettant une amélioration clinique transitoire (effectuée en parallèle à la transplantation de microbiote fécal).
Une démarche diagnostique exhaustive a été menée :
- une analyse coproscopique ne mettant pas en évidence d'infestation par des parasites digestifs ;
- des analyses biochimiques et hématologiques sanguines permettant d'écarter une origine extradigestive telle qu'une atteinte rénale ou hépatique, une insuffisance pancréatique exocrine ou un hypocorticisme ;
- un examen échographique de l'abdomen n'identifiant pas de cause mécanique ou néoplasique focale ;
- un examen endoscopique soulignant macroscopiquement un épaississement et une hétérogénéité marquée de la muqueuse colique (photo n° 3) ainsi qu'une hyperhémie légère à modérée et une friabilité hémorragique légère de la muqueuse de l'intestin grêle ;
- une analyse histologique de biopsies digestives n'identifiant pas de cellule suspecte d'un processus néoplasique et mettant en évidence une inflammation lymphoplasmocytaire marquée avec fibrose modérée du chorion sur les biopsies coliques, une inflammation lymphoplasmocytaire légère sur les biopsies duodénales et iléales et une absence d'anomalie significative sur les biopsies gastriques.
Essais thérapeutiques mis en place
Les essais thérapeutiques suivants ont été réalisés :
- un traitement antiparasitaire avec du fenbendazole, sans amélioration clinique significative ;
- un traitement antibiotique avec du métronidazole, sans amélioration durable et répétable des signes digestifs ;
- un traitement anti-inflammatoire avec de la sulfasalazine, sans amélioration des signes digestifs ;
- une transplantation de microbiote fécal, offrant transitoirement une amélioration de la consistance des selles et une diminution de la fréquence et de l'intensité des crises de troubles digestifs.
Par ailleurs, une supplémentation en cyanocobalamine a été mise en place dès l'identification de la carence en vitamine B12 au début de la démarche diagnostique, puis poursuivie au long cours avec des contrôles sanguins réguliers.
Au moment de la consultation spécialisée, la propriétaire décrit une diminution transitoire de la fréquence et de l'intensité des crises à la suite de la transplantation de microbiote fécal et de la mise en place du régime ménager pendant une année, suivie d'une recrudescence avec une fréquence augmentant progressivement jusqu'à une crise par semaine. La supplémentation en vitamine B12 n'est pas interrompue.
A l'examen clinique, aucune anomalie significative n'est identifiée. L'indice de condition corporelle est estimé à 4/9.
A ce stade des investigations, une entéropathie répondant à l'alimentation et/ou une dysbiose est toujours privilégiée, du fait de la réponse partielle à la transplantation de microbiote fécal et au régime ménager. Une mesure de la protéinémie permet d'écarter une fuite de protéines d'origine digestive. Dans l'historique alimentaire, seuls des régimes hyperdigestibles et donc pauvres en fibres alimentaires insolubles ont été essayés et avec peu ou pas de succès.
Normalisation de l'aspect des selles
Par ailleurs, la présence de mucus dans les selles traduit toujours un mécanisme de défense du côlon vis-à-vis de son contenu : les fibres insolubles, en normalisant le temps de transit digestif et en texturant les selles, limitent le temps de contact entre le contenu de l'intestin et la muqueuse colique. Un aliment enrichi en fibres insolubles est donc prescrit (croquettes Purina Pro Plan Veterinary Diets Canine OM Obesity Management ND).
A partir de la seconde semaine suivant le changement alimentaire, la propriétaire décrit une normalisation de la consistance (score fécal 2/7) et de l'aspect des selles (photo n° 4). Aucun épisode de diarrhée n'est constaté durant les quatre mois de suivi. Seuls deux vomissements isolés sont notés, ne nécessitant pas la mise en place d'un traitement symptomatique.
L'appétit est décrit comme amélioré mais reste toutefois fluctuant au long cours, en particulier lors de phases d'anxiété liées à des changements environnementaux (déplacements pour congés...). Le poids est stabilisé. La propriétaire est satisfaite de cette évolution clinique.
Discussion
Les entéropathies répondant à l'alimentation sont les formes les plus fréquentes d'entéropathie inflammatoire chronique chez le chien, avec une proportion excédant 50 % (Dandrieux 2016). Par ailleurs, l'appellation « entéropathies répondant aux antibiotiques » est progressivement abandonnée, du fait des effets indésirables liés à l'utilisation des antibiotiques en dehors des situations cliniques pour lesquelles une origine bactérienne est clairement identifiée (par exemple lors de colite histiocytaire)(Cerquetella et al. 2020).
Le terme de dysbiose est désormais préféré. Il peut être difficile de distinguer les entéropathies répondant à l'alimentation et les dysbioses dans la mesure où ces deux entités peuvent coexister et où l'alimentation intervient sur la composition et l'activité du microbiote intestinal.
Lors d'entéropathie inflammatoire chronique de localisation colique prédominante, identifiable notamment par une augmentation de la fréquence de défécation, la présence de mucus dans les selles et/ou de l'hématochézie, l'efficacité d'un ajout de fibres solubles dans l'alimentation est décrite comme bonne à excellente chez la majorité des animaux (Leib 2000).
Les fibres prébiotiques subissent une fermentation par des bactéries bénéfiques du microbiote intestinal (synthèse : Moreno et al. 2022). Les produits de cette fermentation incluent des acides gras à chaîne courte, dont les propriétés anti-inflammatoires sont largement démontrées. Plusieurs études soulignent les effets bénéfiques de ces prébiotiques sur la composition du microbiote intestinal et le score histologique d'inflammation intestinale.
Dans le cas présenté d'entéropathie inflammatoire chronique à prédominance colique, plusieurs essais alimentaires avaient été instaurés dès la première phase de la démarche diagnostique. La consommation de trois rations hyperdigestibles, la première enrichie en fibres solubles, la seconde hypoallergénique (faible en fibres solubles et insolubles) et la dernière cuisinée maison (faible en fibres solubles et insolubles) n'a pas apporté d'amélioration clinique satisfaisante.
L'utilisation des fibres solubles prébiotiques n'est qu'une possibilité parmi d'autres options alimentaires. En effet, les fibres solubles agissent favorablement sur le microbiote intestinal, luttant ainsi contre une dysbiose, mais elles ont aussi une action laxative si la tolérance individuelle est dépassée. Dans ce cas, il est intéressant de choisir une autre option : l'utilisation d'un aliment riche en fibres insolubles qui aura une action mécanique sur le transit digestif et la consistance des selles. Ces fibres ont montré leur efficacité dans les colites chez le chien (Lappin et al. 2022).
Une rémission complète de la diarrhée et une nette amélioration des autres signes digestifs (vomissements, anorexie) sont constatées avec l'aliment Purina Pro Plan Veterinary Diets Canine OM Obesity Management ND, sans autre intervention thérapeutique concomitante.
Ce cas montre que si l'approche de l'utilisation d'un aliment hyperdigestible (pauvre en fibres insolubles et +/- riche en fibres solubles) lors entéropathie inflammatoire chronique à prédominance colique ne donne pas de résultats satisfaisants, il est intéressant de choisir un aliment enrichi en fibres insolubles. ■
Références