Souffrance des étudiants : « La profession s'empare de ces problématiques psycho-sociales »

© Jacques Graf

Prospective

Pour le SNVEL*, l'enquête de l'IVSA** Nantes et Vétos-Entraide (lire ici) est la preuve d'une inquiétude de la profession et révèle un besoin d'accompagnement. Le syndicat a notamment engagé des actions pour dédramatiser l'exercice autonome et ainsi rassurer les étudiants sur leur avenir professionnel. 

La Dépêche Vétérinaire : La récente enquête publiée par l'IVSA** Nantes et Vétos Entraide pointe un mal-être des étudiants vétérinaires qui semble s'accroître au cours de leurs études. Par ailleurs, plus de 15 % des étudiants envisagent de se tourner vers une autre voie que la pratique libérale. Cela vous inquiète-t-il au regard, notamment, du problème récurrent de recrutement auquel fait face la profession ?

Françoise Bussiéras et David Quint, vice-présidents du SNVEL* : L'existence de cette enquête et du rapport qui en découle sont en eux-mêmes la preuve que la profession s'inquiète et s'empare de ces problématiques psycho-sociales. Veto-Entraide fait partie des structures d'accompagnement des vétérinaires diplômés et de ceux qui vont l'être indispensables pour notre profession. Le recensement et la promotion de l'ensemble des dispositifs de ce type devrait être plus visible. C'est un des dossiers qui doit aboutir à des solutions concrètes ces prochaines années.

Parmi les motifs du mal-être qui s'accroît au cours des années d'école, il y a l'inquiétude de trouver le bon poste et le bon métier, ce qui semble normal plus on s'approche du choix, mais qui est peut-être exacerbé aujourd'hui. Cela révèle un besoin d'accompagnement fort au cours de ces dernières années d'études.

Si on veut lire le rapport et son contenu de manière positive, on peut retenir que plus de 80 % des étudiants veulent aller en clientèle, ce qui est positif. La profession vétérinaire se doit d'être présente dans tous les métiers liés à la santé et à la sécurité alimentaire ainsi que dans les instances gouvernementales, et nous avons largement besoin de ces 15 % de non praticiens.

En revanche, les signes de mal-être des étudiants sont à rapprocher des abandons d'exercice au bout de quelques années : nos professionnels ne sont pas bien préparés. Nous en concluons que nous avons besoin d'être plus présents auprès des étudiants pour leur faire connaitre et tester les différents métiers de la clientèle, et qu'il faut mettre en oeuvre des formations qui leurs permettront d'appréhender mieux les échanges avec les clients. Cela fait des années qu'on en parle mais les progrès sont trop lents.

Ce désamour de l'exercice ne peut que nous poser problème dans le contexte actuel de pénurie de diplômes... et qu'il va falloir travailler aussi sur son attractivité.

D.V. : Les étudiants interrogés dans l'enquête craignent un manque de compétences, une impression qui paradoxalement s'affirme au cours de leurs études. Qu'en pensez-vous et voyez-vous des solutions pour y remédier ?

F.B et D.Q. : Est-ce un paradoxe ? Plus on apprend et moins on est sûr de ses compétences, alors que quand on ne sait rien, on ne doute de rien... Le doute est plutôt une valeur scientifique. En revanche, il semble indispensable de travailler au cours de la formation initiale sur la confiance en soi qui fait fortement défaut aux étudiants vétérinaires, et plus qu'à d'autres étudiants, avec à la fois du développement personnel et de l'insertion progressive dans le métier.

Des études similaires récentes dans d'autres facultés et d'autres professions à travers le monde montrent des résultats diamétralement opposés. Il semble donc que ce n'est pas un problème générationnel mais bien de profil ou de cursus. Intégrer un accompagnement sur ces sujets au cours des études est indispensable car les étudiants vétérinaires sont tous très brillants.

Il faut le leur dire et qu'ils en soient convaincus. Ce travail incombe autant aux enseignants des écoles qu'aux maitres de stages et le SNVEL essaie déjà de proposer des solutions à travers les conférences du SNVEL junior et avec le site Stagevet. Dédramatiser l'exercice autonome est primordial.

Nous avons un très beau métier, plein de petites victoires qu'il est important de valoriser. Le montrer très tôt aux étudiants au travers de stages d'immersion professionnelle dans des équipes bienveillantes (ce qui est indispensable) est une voie que nous avons mis en avant avec le soutien des écoles nationales vétérinaires (ENV) françaises.

D.V. : Ils sont 37 % à s'inquiéter de leur devenir à la sortie de l'école. Que vous inspire ce pourcentage élevé ?

F.B. et D.Q. : On est inquiet que de ce que l'on ne connaît pas. C'est pourquoi il faut augmenter les échanges entre les étudiants et les praticiens en exercice lors des stages ou par des témoignages dans les écoles. Rassurer nos consoeurs et confrères inexpérimentés est une priorité en instaurant des allées et venues entre les ENV et la pratique en milieu professionnel, plus précoces et plus fréquents, afin d'arriver « entraînés » à la fin des études.

Il est souhaitable aussi de faire mieux correspondre la réalité du métier avec la vocation initiale et inversement. C'est là tout l'enjeu de sélectionner les profils adaptés et de la réforme en cours de la sélection à l'entrée des écoles.

Et, enfin, l'attractivité de la clientèle ne progressera que si les vétérinaires sont reconnus et rémunérés pour le travail qu'ils font, en exercice rural notamment mais aussi pour assurer la permanence de soins sur les astreintes de nuit. Cela ne pourra se faire qu'avec le soutien de l'Etat ou des collectivités, responsables du service public que cela représente.

D.V. : Les moyens proposés par les auteurs de l'enquête pour redresser la situation vous semblent-ils adéquats ? En voyez-vous d'autres ?

F.B. et D.Q. : Cette enquête propose une liste de solutions très concrètes, à développer ou à créer mais aussi une réflexion à mener pour avancer ensemble en associant toutes les parties prenantes. Le SNVEL et la Fédération des syndicats vétérinaires de France, dont le SNVEL est membre, soutiennent ces propositions. Nous avons commencé à travailler sur certaines et serons disponibles pour fournir notre part de travail pour la suite, en synergie avec les personnels des écoles et en collaboration avec les autres organismes vétérinaires.

Tous les moyens proposés constituent les pièces d'un puzzle. Nous avons déjà soulevé, lors de nos dernières Universités qui se sont tenues à Oniris, l'étendue des peurs des jeunes diplômés face à leur arrivée en clientèle et avons proposé, en accord avec les enseignants participant à cet atelier, d'ajouter des enseignements sur les savoirs-être en complément des savoirs-faire.

Sur ce sujet en particulier, il faut maintenant passer à l'action. Cela fait trop longtemps que des solutions sont identifiées et que rien ne bouge.

L'accompagnement entre générations est essentiel. On entend trop souvent parler des « mauvais patrons » qui pourtant sont minoritaires mais qui détournent de la clientèle trop de jeunes diplômés. Nous sommes persuadés que les vétérinaires sont nombreux à vouloir être des parrains, des guides bienveillants, et c'est à nous de leur donner des moyens pour s'exprimer et être identifiés par les étudiants pour les accompagner dans leur envie de clientèle.

La pénurie actuelle de candidats aux postes proposés dans les clientèles a tendance à augmenter la pression sur les débutants, et complexifie les premières années d'exercice, mais elle oblige les recruteurs à faire des efforts pour être attractifs, à nous, organisations professionnelles, de les favoriser, les accompagner et de mettre en valeur les initiatives qui existent déjà.

Un Grenelle du bien-être en clientèle s'annonce, avec un travail dès la formation initiale. Nous serons ravis d'y participer.

* SNVEL : Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral.

** IVSA : Association internationale des étudiants vétérinaires.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1632

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