Souffrance des étudiants : « L'enjeu est de réduire le fossé entre l'image du métier idéalisé, rêvé, et la réalité »

Christophe Degueurce est directeur de l'école vétérinaire d'Alfort.

© D.R.

Prospective

Invité à réagir aux conclusions plutôt pessimistes de l'enquête conduite par l'IVSA* Nantes et Vétos Entraide (lire ici), le Pr Christophe Degueurce évoque les limites méthodologiques de ce travail mais annonce prendre au sérieux les facteurs de risque mis en exergue, d'autant que la crise de la Covid-19, postérieure à cette étude, a pu, selon lui, majorer encore ce ressenti négatif, les cours en distanciel n'ayant pas toujours été faciles à vivre. L'école travaille notamment, comme les autres écoles nationales vétérinaires françaises, à réduire le fossé entre l'image du métier et la réalité.

La Dépêche Vétérinaire : L'IVSA Nantes et Vétos Entraide identifient un certain nombre de facteurs délétères pour la santé mentale des étudiants vétérinaires au cours de leur scolarité et dressent un bilan plutôt négatif de leur bien-être lors d'une étude publiée récemment mais qui a été menée en 2018. Constatez-vous une telle situation dans votre établissement et depuis quand vous semble-t-elle installée ?

Pr Christophe Degueurce, directeur de l'école vétérinaire d'Alfort (ENVA) : D'abord commenter cette étude n'est pas simple dans la mesure où elle date de 2018 et que nous la commentons après une phase de Covid dont les effets ne peuvent être ignorés. Si le constat de l'enquête interpelle et ne laisse pas indifférent, il n'est pas aisé d'en tirer des conclusions suffisamment robustes pour s'appuyer avec sécurité dessus. Elle est fondée sur du déclaratif, sans entretiens dirigés portant sur un échantillon représentatif.

Le fait de faire un appel à répondre à un formulaire et de ne pas mener un échantillonnage strict de la population concernée conduit probablement à ce que les personnes vivant des difficultés aient davantage répondu que les personnes se considérant en situation de bien-être. C'est un biais classique de ce type de sondages.

Toujours concernant l'échantillonnage, on trouve seulement 20 % des populations étudiantes des 4 écoles nationales vétérinaires (ENV) françaises et, parmi ces 20 %, 20 % seulement sont des élèves de l'ENVA, ce qui pose la question de l'exhaustivité de l'approche.

En somme, le résultat doit être pris avec prudence. Du reste, des étudiants alforiens m'ont dit leur étonnement devant certains constats. 

Je sais en outre que la crise sanitaire liée au Covid a probablement changé la donne et eu un impact supplémentaire sur la santé et le bien-être des étudiants, comme ce fut le cas pour d'autres catégories de population. Je l'ai vécu et constaté, même si l'isolement a été peut-être moins marqué dans les ENV que dans d'autres établissements, comme les universités, les exercices cliniques ayant repris assez rapidement et les étudiants vivant souvent dans un campus.

Mais il est vrai que les cours en distanciel n'ont pas été faciles à vivre, pour les enseignants également. Le retour au présentiel a montré à quel point certains se sont trouvés en difficulté psychologique.

L'école accompagne et écoute, autant que possible, sans pour autant se substituer au soutien des familles et proches ou à un soutien psychologique.

Le conseil de la vie étudiante aborde régulièrement la question du soutien psychologique aux étudiants, de l'adaptation des agendas universitaires, etc. La psychologue universitaire est mobilisée mais nous savons que le nombre limité de créneaux, ce qui n'est pas propre à l'ENVA, est frustrant.

Mon sentiment est que ce mal être ne concerne pas la majorité des étudiants, ce qui ne retire rien à la nécessité d'améliorer la situation de ceux qui sont en situation de mal être. En revanche, certaines promotions semblent plus affectées que d'autres et, là encore, le Covid a joué.

De façon générale, 2 à 3 % des étudiants éprouvent des difficultés de natures très variables, parfois extérieures à l'école, et l'augmentation de la taille des promotions augmente le nombre de ces cas. Cela ne nous donne cependant pas l'impression d'un virage net sur le sujet.

Une des inconnues majeures est aussi la signification de ces chiffres. J'ai évoqué les limites méthodologiques de cette étude. Elle ne dit surtout pas en quoi les étudiants vétérinaires diffèrent ou non des autres étudiants français ou des étudiants vétérinaires à l'étranger. Les études conduites par exemple en Suisse sur les étudiants vétérinaires par la même organisation montrent des résultats très négatifs.

Je suis à ce jour bien incapable d'établir la signification des chiffres avancés au regard du contexte national et international.

D.V. : Que pensez-vous des facteurs de risque identifiés dans l'enquête ? En avez-vous mis d'autres en évidence pour expliquer cette situation ? Vous semble-t-elle de nature à durer ?

Pr C.D. : Je prends évidemment très au sérieux ces facteurs de risque (fatigue, stress, dépression, charge de travail, le manque de confiance en soi). Il est évident que le contexte global, d'abord de concours extrêmement difficile et sélectif, puis d'apprentissage exigeant en école, incite les étudiants, aux parcours brillants, à se mettre une très forte pression. D'autant plus qu'ils sont passionnés et rêvent de ce métier depuis des années.

C'est un constat qui parfois m'étonne, à l'image de la peur de ne pas être un bon vétérinaire, une angoisse que je crois ne pas avoir ressentie alors que j'étais étudiant.

L'évolution de la société - judiciarisation, attachement aux animaux, réseaux sociaux et notation en ligne... - crée une autre pression que des générations antérieures n'ont pas vécue.

L'ENVA agit pour essayer d'avancer sur ce sujet : 

- nous sommes en train de mettre en place une cellule de veille et d'écoute, sur le format de celle mise en place pour les personnels ;

- le Conseil de l'enseignement et de la vie étudiante est mobilisé sur cette thématique ;

- nous intégrons les signalements en faisant évoluer les emplois du temps, comme ce fut le cas pour les rotations cliniques de cinquième année après les échanges sur les réseaux sociaux survenus il y a deux ans ;

- nous développons une formation dans le domaine des soft skills - communication, marketing, relation client - pour préparer les étudiants au contact avec le milieu professionnel et la clientèle ;

- nous travaillons à une meilleure connaissance du contexte de l'emploi, du marché, du secteur (développement du salariat, maillage sanitaire...).

Par ailleurs, l'enjeu est de réduire le fossé entre l'image du métier idéalisé, rêvé, et la réalité. Nous avons pour cela créé un forum de la formation vétérinaire, pour expliquer ce que c'est d'être vétérinaire et éviter certaines déceptions. C'est clairement un enjeu du recrutement post-bac.

D.V. : Les auteurs constatent un risque important d'arrêt des études. L'avez-vous également remarqué et quelles sont les raisons invoquées par les étudiants concernés ?

Pr C.D. : Dans l'étude, 14 % des étudiants auraient envisagé souvent ou parfois d'arrêter leurs études. Honnêtement, cette proportion m'étonne. S'ils l'envisagent, en tous cas, très peu concrétisent un abandon. Sur les dix dernières années, neuf étudiants ont arrêté leurs études à l'ENVA, donc moins d'un par an, avec globalement le constat d'une erreur d'orientation à la clef. Il me semble qu'en France un étudiant sur deux change d'orientation après la première année de fac, donc nous sommes en deçà de la normalité.

Du reste, les taux de succès des études vétérinaires en France sont très élevés comparativement aux valeurs d'autres pays.

D.V. : L'enquête propose un certain nombre d'actions correctrices. Les trouvez-vous pertinentes ? En avez-vous identifié d'autres ?

Pr C.D. : Les recommandations sont toujours bonnes à prendre et nous sommes évidemment dans une démarche d'amélioration permanente. La sensibilisation à la communication positive, à la promotion du bien-être, la prévention, la sécurisation des conditions de travail en clinique sont des sujets sur lesquels nous travaillons déjà. L'ENVA investit clairement sur cette thématique.

Nous avons notamment engagé le recrutement d'une personne pour coordonner la vie étudiante, véritable personne ressource. 

Sur le plan de la formation, il nous faut toujours nous améliorer, rationaliser, remanier, comme nous le faisons chaque année, et, parfois, sous l'effet d'alertes extérieures.

Les étudiants eux-mêmes sont mobilisés. Par exemple, des ateliers de méditation de pleine conscience sont maintenant organisés et rencontrent un franc succès.

D.V. : Cette enquête a été réalisée avant l'arrivée dans les écoles des étudiants ayant intégré par la voie post-bac. Cette nouvelle option est-elle selon vous de nature à améliorer la situation ?

Pr C.D. : Il est vraiment trop tôt pour le dire. Je l'espère, dans la mesure où cela réduit la pression sur les épaules des élèves. Ils ne doivent pas attendre deux, voire trois ans, pour passer le concours et ne vivre que pour ce concours.

Et le concours post-bac implique des connaissances du milieu vétérinaire et de ses enjeux. Nous espérons que les personnes retenues sont sorties de l'idéalisation et qu'elles connaîtront moins le cisaillement lié à la confrontation à une réalité qu'elles n'imaginaient pas.

Par exemple, il y a encore très peu d'années, les élèves entrant à l'ENVA étaient très nombreux à vouloir soigner les animaux sauvages. Cette année, les ambitions étaient très équilibrées, avec une nette prédominance de champs de pratique plus raisonnables.

* IVSA : Association internationale des étudiants vétérinaires.

 

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1632

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