Rapport Nexus : un rapport historique qui dévoile les liens fondamentaux entre biodiversité, eau, alimentation, santé et climat
Samedi 21 Juin 2025 Biodiversité-Faune sauvage 53424Hélène Soubelet
Vétérinaire, directrice générale de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB).
Face aux multiples défis environnementaux qui menacent notre planète, un constat s'impose : les crises de la biodiversité, de l'eau, de l'alimentation, de la santé et du climat sont profondément interconnectées. C'est la conclusion majeure du rapport « Affronter ensemble cinq crises mondiales interconnectées en matière de biodiversité, d'eau, d'alimentation, de santé et de changement climatique », baptisé Nexus, publié le 17 décembre 2024 par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).1
Ce document, qualifié d'historique par les experts, représente l'évaluation scientifique la plus ambitieuse jamais réalisée sur ces interconnexions complexes. Il offre aux décideurs du monde entier plus de soixante-dix options de réponses concrètes pour maximiser les effets positifs cumulés pour la société de la gestion de ces enjeux : la biodiversité, l'eau, l'alimentation, la santé et le changement climatique. Il démontre surtout que les approches fragmentées ne permettront pas d'atteindre les objectifs mondiaux comme les Objectifs de développement durable2, le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal3 et l'Accord de Paris sur le changement climatique.4
Des chiffres alarmants, qui illustrent l'ampleur de la crise
L'évaluation, approuvée par les 147 gouvernements membres de l'IPBES, dresse un tableau préoccupant de l'état actuel de notre planète.
La biodiversité décline de 2 à 6% par décennie selon tous les indicateurs évalués au cours des 30 à 50 dernières années.
Plus de 58 000 milliards de dollars d'activité économique annuelle mondiale (soit plus de 50% du PIB mondial) dépendent modérément à fortement de la biodiversité actuelle.
Les coûts externes des activités humaines (par exemple la pollution des sols et de l'eau) ne sont pas pris en compte dans les décisions, mais pour les seuls secteurs des combustibles fossiles, de l'agriculture et de la pêche, ils représentent 25 000 milliards de dollars par an.
Une autre conclusion du rapport est que les crises mondiales interconnectées ont des impacts très inégaux, affectant de manière disproportionnée les populations les plus pauvres. En particulier la perte de biodiversité, la malnutrition et les maladies pèsent particulièrement sur les pays en développement, y compris les petits états insulaires, les peuples autochtones et les communautés locales, ainsi que les personnes en situation vulnérable dans les pays à revenu plus élevé.
L'échec des approches en silo
Le rapport souligne que les efforts actuels pour résoudre ces crises échouent souvent car ils ne prennent pas en compte la complexité des enjeux interconnectés : nous essayons de résoudre les crises indépendamment les unes des autres. Cette fragmentation entraîne une gouvernance incohérente et des résultats sous-optimaux.
Il met en évidence comment les moteurs socio-économiques indirects, tels que l'augmentation de la production de déchets, la surconsommation et la croissance démographique intensifient les pressions directes sur l'environnement, aggravant les impacts sur tous les éléments du nexus.
Sortir de cette logique n'est pas évident, car il faut former les spécialistes sectoriels aux approches systémiques et surtout, les convaincre que l'optimisation de la résolution de leur enjeu n'est pas la meilleure option. Par exemple, pour sortir du changement climatique, il est nécessaire de trouver des solutions qui préservent à la fois la biodiversité, les ressources en eau et la santé humaine. Si on ne s'intéresse pas à ces questions, les effets négatifs pourraient dépasser les effets positifs. Par exemple, implanter des cultures dédiées aux biocarburants utilise des terres qui pourraient produire de la nourriture, émet du CO2 (via la déforestation, l'usage de pesticides et le labour) et impacte la biodiversité (par exemple les habitats et la nourriture des insectes qui déclinent, et avec eux les fruits et légumes qu'ils pollinisaient).
Des interconnexions et des effets en cascades
Chaque élément du nexus a son propre agenda, ses propres décideurs et cela peut entrainer des effets en cascades sur les autres éléments (Figure 1).
Figure 1 : des effets en cascades entre les éléments du nexus.
Crédit : Adapté du résumé pour décideurs du rapport Nexus de l'Ipbes, 2024.
Quelques éléments chiffrés sont présentés dans le tableau 1.
Le poids de l'économie et le coût de l'inaction
Le rapport montre que le fonctionnement économique actuel entrave les efforts de protection de l'environnement, en particulier à cause des subventions publiques directes aux activités économiques ayant des impacts négatifs sur la biodiversité (par exemple la politique agricole commune qui subventionne l'intensification agricole) qui s'élèvent à environ 1 700 milliards de dollars par an. Alors qu'en parallèle, les dépenses annuelles visant à améliorer l'état de la biodiversité sont estimées à seulement 200 milliards de dollars.
Le rapport souligne également que retarder l'action nécessaire pour atteindre les objectifs politiques augmentera considérablement les coûts de sa mise en oeuvre.
Ainsi, l'action retardée sur les objectifs de biodiversité pourrait doubler les coûts liés à la perte des services que nous retirons d'écosystèmes fonctionnels (par exemple les baisses de rendements dus à la disparition des pollinisateurs) et augmenter la probabilité de pertes irréparables comme les extinctions d'espèces.
L'action retardée sur le changement climatique nécessite au moins 500 milliards de dollars supplémentaires par an pour atteindre les objectifs politiques.
Le déficit de financement annuel estimé pour atteindre les Objectifs de développement durable s'élève à au moins 4 000 milliards de dollars, auquel il faut ajouter 1 000 milliards de dollars de déficit pour restaurer la biodiversité.
Des solutions synergiques pour l'avenir
Face à ces constats, le rapport présente plus de 70 « options de réponse » pour gérer de manière synergique les éléments du nexus en 10 grandes catégories d'action. Les solutions les plus prometteuses sur tous les éléments du nexus sont :
- La restauration des écosystèmes riches en carbone comme les forêts, les sols, les mangroves,
- Les solutions fondées sur la biodiversité pour réduire le risque de propagation de maladies des animaux aux humains5,
- L'amélioration de la gestion intégrée des paysages terrestres et marins, c'est-à-dire une gestion qui prend en compte à la fois le développement économique, la biodiversité et les questions sociales,
- Les solutions fondées sur la nature6 en ville pour intégrer la biodiversité dans les milieux urbains,
- Les régimes alimentaires sains et durables,
- Le soutien aux systèmes alimentaires locaux et autochtones.
Le rapport s'appuie sur des exemples concrets de réussites à travers le monde, en voici quelques-uns :
Au Sénégal, la réduction de la pollution de l'eau et l'élimination des plantes aquatiques invasives a réduit l'habitat des escargots porteurs des vers parasites responsables de la schistosomiase, entraînant une réduction de 32% des infections chez les enfants.
Au Niger, la régénération naturelle gérée par les agriculteurs de
5 millions d'hectares avec des arbres indigènes et des systèmes agroforestiers a augmenté les rendements céréaliers de 30% et amélioré la santé des sols et la biodiversité.
De par le monde, les aires marines protégées qui ont inclus les communautés dans la gestion et la prise de décision ont permis une augmentation de la biodiversité, une plus grande abondance de poissons et une amélioration des revenus des acteurs économiques locaux.
Quels scénarios pour le futur ?
L'analyse de 186 scénarios différents issus de 52 études a révélé que si les tendances actuelles se poursuivent, nous verrons la biodiversité continuer son déclin, le changement climatique s'aggraver, la qualité de l'eau et la santé humaine se dégrader.
Le rapport montre qu'il existe néanmoins des scénarios futurs qui génèrent d'importants bénéfices lorsqu'ils combinent une production et une consommation durables, la conservation et la restauration des écosystèmes, la réduction de la pollution, l'atténuation du changement climatique et l'adaptation à ses effets (Figure 2).
Figure 2 : Les différents archétypes de scénarios et leur impact sur les éléments du nexus biodiversité, alimentation, santé et climat.
Crédit : FRB, 2024.
Les scénarios qui se concentrent sur les synergies entre tous les éléments du nexus ont les meilleurs résultats, alors que ceux qui se concentrent sur la résolution des défis dans un seul secteur limitent sérieusement les chances d'atteindre d'autres objectifs.
Conclusion : vers un effort mondial coordonné ?
À l'heure où les défis environnementaux s'intensifient, le rapport Nexus de l'IPBES offre une feuille de route claire pour une action coordonnée et efficace. Il rappelle que les crises de la biodiversité, de l'eau, de l'alimentation, de la santé et du climat ne sont pas des problèmes isolés mais les facettes interconnectées d'une même crise planétaire.
La solution réside dans des approches intégrées qui reconnaissent ces interconnexions et cherchent à maximiser les co-bénéfices à travers tous les éléments du nexus. L'implication des communautés locales, la valorisation des savoirs autochtones, l'adoption de pratiques durables et la réforme des systèmes économiques figurent parmi les pistes prometteuses identifiées par les experts. Cela nécessitera des approches de gouvernance plus intégrées, inclusives, équitables, coordonnées et adaptatives.
Face à l'ampleur des défis, le message est clair : il est temps d'abandonner les approches en silos et d'adopter une vision holistique de notre relation avec la planète. Car c'est uniquement en reconnaissant les liens profonds entre biodiversité, eau, alimentation, santé et climat que nous pourrons construire un avenir véritablement durable pour tous.
Références bibliographiques
1. IPBES (2024). Summary for Policymakers of the Thematic Assessment Report on the Interlinkages among Biodiversity, Water, Food and Health of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. McElwee, P. D., Harrison, P. A., van Huysen, T. L., Alonso Roldán, V., Barrios, E., Dasgupta, P., DeClerck, F., Harmácková, Z. V., Hayman, D. T. S., Herrero, M., Kumar, R., Ley, D., Mangalagiu, D., McFarlane, R. A., Paukert, C., Pengue, W. A., Prist, P. R., Ricketts, T. H., Rounsevell, M. D. A., Saito, O., Selomane, O., Seppelt, R., Singh, P. K., Sitas, N., Smith, P., Vause, J., Molua, E. L., Zambrana-Torrelio, C., and Obura, D. (eds.). IPBES secretariat, Bonn, Germany. DOI: https://doi.org/10.5281/zenodo.13850289
2. https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/
3. https://www.unep.org/fr/resources/cadre-mondial-de-la-biodiversite-de-kunming-montreal
4. https://unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris
6. https://www.fondationbiodiversite.fr/wp-content/uploads/2018/12/FRB-GT-ESU-BiodiverCite.pdf