Radiations : une conciliation qui donne le temps de la réflexion
Mercredi 18 Octobre 2023 Vie de la profession 48770Rien n'impose désormais de signer dans l'urgence, et parfois sans la comprendre, une documentation quelconque.
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Gaëlle MOULIN
Avocate
Courriel : g.moulin@kiron-avocats.com
Analyse
Les annonces de radiations de plus d'une centaine de sociétés vétérinaires avaient soulevé une vive inquiétude chez les vétérinaires des sociétés concernées. Ils étaient, pour beaucoup d'entre eux, pressés d'accepter des restructurations juridiques sans pouvoir en analyser les incidences. La mise en place d'une procédure de conciliation organisée par le ministère de l'Agriculture, avec suspension provisoire des notifications de radiation, donne du temps à l'interprétation des décisions du Conseil d'État et à la mise en conformité des sociétés concernées. Rien n'impose désormais aux associés de signer dans l'urgence, et parfois sans la comprendre, une documentation quelconque.
Après près de deux semaines fortes en émotions suite aux annonces de l'Ordre des vétérinaires de procéder aux radiations de plus d'une centaine de sociétés vétérinaires, les vétérinaires peuvent reprendre leur souffle, suite à l'annonce, le 11 octobre, par le ministère de l'Agriculture, de l'organisation d'une procédure de conciliation et de la décision de l'Ordre de surseoir à la notification des décisions de radiation, sous conditions, des sociétés concernées.
Depuis l'annonce du 28 septembre, dans laquelle l'Ordre des vétérinaires annonçait entamer, dès le 12 octobre, les notifications de radiations des cliniques, l'inquiétude grandissait chez les vétérinaires des sociétés concernées.
Pris entre le feu et la glace, ils étaient, pour beaucoup d'entre eux, pressés d'accepter des restructurations juridiques sans pouvoir en analyser les incidences.
Inquiétudes sur le plan juridique
Outre les conséquences directes résultant de la fermeture d'une clinique (accès aux soins des animaux, achat et délivrance de médicaments, sort du personnel et des collaborateurs de la clinique, perte de revenus pour les associés...), de nombreux vétérinaires ont exprimé leurs inquiétudes sur le plan juridique : quelles conséquences pour les associés professionnels (souvent également mandataires sociaux : président, directeur général...) en exercice des structures radiées ? La radiation, et a fortiori la fermeture, d'une clinique, conduisent-elles à devoir rembourser totalement ou partiellement le prix de cession au groupe financier qui s'est porté acquéreur ? Si les associés refusent de signer la documentation qui leur est soumise, dont ils ne maîtrisent pas forcément les termes et les conséquences surtout dans d'aussi courts délais, des actions peuvent-elles être engagées personnellement à leur encontre ? Sont-ils contraints de signer, sans délai, la documentation qui leur est soumise ? Sont-ils certains que les restructurations envisagées correspondent aux attentes de l'Ordre et ne leur feront pas encourir, dans quelques mois, le risque de nouvelle mise en demeure de se mettre en conformité sous peine de radiation ?
Modifications opportunistes ?
Avec, pour beaucoup, des inquiétudes sous-jacentes. En clair, s'agit-il uniquement de gagner du temps à court terme ou de se mettre en conformité sur le long terme avec les exigences du Conseil d'Etat ? Les interprétations par l'Ordre de la nouvelle documentation seront-elles orientées « anti-chaînes » ou empreintes d'une volonté de dresser les derniers garde-fous possible pour l'indépendance de leur profession ? Ces restructurations en urgence et sous la contrainte ne seront-elles pas l'occasion de modifications opportunistes ne se limitant pas aux seules préconisations du Conseil d'Etat et de l'Ordre ?
Ces craintes, légitimes, ne doivent pas occulter la nécessité de faire front commun, dans l'intérêt général de la profession, entre vétérinaires et groupes financiers acquéreurs, en vue d'obtenir rapidement une solution juridiquement stable et durable.
Sursis pour les établissements
La médiation mise en oeuvre entre les acteurs de la profession, l'Ordre et le ministère de l'Agriculture ont ainsi permis d'obtenir un sursis pour les établissements dont :
« - les vétérinaires associés de l'établissement de soins confirment par écrit leur intention de mettre en conformité leur structure et leur compréhension des risques encourus en cas d'abandon de la démarche ;
- les vétérinaires associés de l'établissement de soins, ou leur représentant mandaté, participent de manière effective à la procédure de conciliation mise en place par le ministère. »
L'Ordre est clair : les vétérinaires feront partie intégrante et prépondérante dans la recherche d'une solution.
Pas question de retomber dans les travers contestés par le Conseil d'Etat d'un pouvoir vertical.
La nomination d'un membre du Conseil d'Etat, assurant aux différentes parties prenantes un regard juridique extérieur, sera sans nul doute un élément d'apaisement fort.
Intérêts communs alignés
Rien n'impose désormais de signer dans l'urgence, et parfois sans la comprendre, une documentation quelconque.
Sous réserve qu'elles soient pérennes au plan global et respectueuses des accords négociés au plan individuel, les solutions proposées par les groupes seront in fine certainement adaptées puis acceptées, puisque les intérêts communs de tous sont alignés sur la poursuite de l'activité des cliniques.
Il existe, au plan juridique, de nombreuses solutions déjà éprouvées qui pourront, au cas par cas, selon les structurations juridiques retenues par les groupes et selon les établissements vétérinaires concernés, être adaptées.
Que de frais engagés et de temps perdu pour tous, Ordres, avocats, juristes, financiers et vétérinaires, si les montages envisagés devaient être ultérieurement contestés.
Une démarche prudente consisterait sans doute, ainsi que la pratique le connaît depuis plusieurs années auprès des ordres de médecins, à obtenir des rescrits ordinaux avant toute signature de document.
Prenons le temps de construire ensemble et durablement. ■