Préjugés générationnels étudiants-praticiens vétérinaires : le désir de dialogue demeure
Une enquête a interrogé étudiants et praticiens vétérinaires.
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Corinne DESCOURS-RENVIER
Enquête
Plus de 600 étudiants et praticiens ont participé à une étude visant à comparer leur vision de la profession vétérinaire. Réalisée à la demande de Smartemis et mise en oeuvre par ProVéto Junior Conseil Lyon, cette enquête met notamment en avant l'envie des vétérinaires de poursuivre le dialogue avec leurs futurs confrères malgré leurs préjugés.
ProVéto Junior Conseil Lyon, la junior entreprise de VetAgro Sup - campus vétérinaire de Lyon, vient de publier les résultats d'une étude sur les différences de perception de la profession vétérinaire en fonction des générations.
Réalisée à la demande de Smartemis1, un réseau collaboratif de vétérinaires indépendants, cette enquête s'est déroulée en deux phases, entre mars et juillet.
Dans un premier temps, des étudiants vétérinaires ont été invités par courriel et via les réseaux sociaux à donner leur avis sur leur future profession ainsi que sur leurs relations avec les praticiens en activité.
Durant cette phase, ProVéto Junior Conseil Lyon a recueilli 245 réponses, provenant à 66,5 % de VetAgro Sup, 8,6 % d'Oniris, 3,3 % de l'école vétérinaire d'Alfort, 0,4 % de l'école vétérinaire de Toulouse, 0,4 % d'UniLaSalle et 21 % d'écoles vétérinaires situées à l'étranger.
La quasi-totalité des participants avait déjà réalisé au moins un stage dans une structure vétérinaire au moment de l'enquête.
Les étudiants à l'aise pour échanger avec les praticiens
Les jeunes interrogés se disent globalement à l'aise pour échanger avec les vétérinaires en exercice. Le score de confiance des étudiants vis-à-vis de la génération Z (entre 25 et 30 ans) est particulièrement élevé (4,5/5). Il diminue ensuite progressivement pour atteindre 3,2/5 vis-à-vis des baby boomers (plus de 60 ans).
Cependant, 88 étudiants (soit 35,9 % des participants) rapportent une expérience négative vécue avec un praticien, en particulier des propos jugés irrespectueux à leur égard (19 soit 31,1 %), un manque de considération (13 soit 21,3 %), des propos sexistes (11 soit 18 %) ou un manque de pédagogie (10 soit 16,4 %).
Les étudiants étaient également invités à évaluer leur adhésion à une vingtaine de préjugés générationnels identifiés par ProVéto Junior Conseil Lyon et Smartemis : rapport aux nouvelles technologies, équilibre entre vie professionnelle et vie privée, rémunération... (cf infra).
Un questionnaire a ensuite été envoyé à des vétérinaires en exercice pour évaluer leur accord avec les dix a priori jugés les plus pertinents par leurs futurs confrères.
Une question de personnalité plutôt que de génération ?
Ce second questionnaire a reçu 385 réponses de praticiens exerçant majoritairement en canine (83,1 %), en rurale (29,9 %), en équine (15,6 %) et dans d'autres secteurs : Nac2, faune sauvage, industrie, recherche...
En ce qui concerne le premier préjugé identifié par les étudiants (« Le stress et la surcharge de travail sont inhérents au métier, les jeunes n'arrivent pas à gérer cela et sont donc plus susceptibles de faire des burn out »), les résultats sont mitigés. En effet, 36,6 % des répondants sont d'accord3 avec cette affirmation, 34,5 % ne sont pas d'accord4 et 28,8 % se disent neutres.
Certains vétérinaires expliquent ce phénomène par l'évolution de leur exercice professionnel, devenu plus stressant. Pour d'autres, l'expression du stress serait tout simplement plus visible chez les jeunes générations...
Avec 44,4 % de participants d'accord, 37,6 % pas d'accord et 17,9 % neutres, les avis sont plus tranchés en ce qui concerne le deuxième préjugé (« Les praticiens vétérinaires en exercice sont moins exigeants que la nouvelle génération concernant leur rémunération »). Pour de nombreux participants, il s'agit d'un changement global à l'échelle de la société.
Les praticiens sont à nouveau partagés (36,6 % d'accord, 36,1 % pas d'accord et 27,3 % neutres) dans le cas du troisième préjugé (« Les jeunes privilégient trop leur vie privée, négligeant ainsi la continuité des soins et des gardes, et renvoyant vers des urgences éloignées de la clinique »). Toutefois, certains rappellent que les jeunes générations ne sont pas les seules à apprécier l'évolution de la prise en charge des soins et des gardes.
La santé mentale au coeur des préoccupations
Les vétérinaires expérimentés ne sont globalement pas d'accord (60 % pas d'accord contre 20,8 % neutres et 19,2 % d'accord) avec le quatrième préjugé (« Les praticiens vétérinaires en exercice relèguent parfois au second plan la santé mentale et le bien-être au travail, avec un accompagnement des jeunes vétérinaires et des équipes qui peut être limité sur ces aspects »).
En effet, les praticiens sont nombreux à affirmer que la santé mentale de leur équipe est au coeur de leurs préoccupations. Ils mettent plutôt en avant des circonstances extérieures, comme la pression exercée par les propriétaires d'animaux.
La majorité des répondants sont cette fois d'accord (60 % contre 18,7 % neutres et 19,2 % pas d'accord) avec le cinquième préjugé (« L'importance des soft skills5 et la gestion des relations humaines sont sous-estimées dans la profession, le savoir-faire et les capacités techniques étant privilégiées »). Beaucoup reconnaissent même que ces techniques sont plus souvent utilisées avec les propriétaires qu'entre vétérinaires.
Les avis sont plus mitigés (41,6 % pas d'accord, 37,7 % d'accord et 20,7 % neutres) en ce qui concerne le sixième préjugé (« Les praticiens vétérinaires en exercice privilégient leur sens clinique, qu'ils jugent souvent moins présent chez les jeunes générations, et ont tendance à accorder moins de place aux nouvelles techniques chirurgicales ou médicales »). La plupart des participants rappellent toutefois la place centrale de l'examen clinique dans la démarche diagnostique.
Les jeunes vétérinaires trop théoriques
Près de la moitié des vétérinaires sont d'accord (41 % d'accord contre 29,1 % pas d'accord et 29,9 % neutres) avec le septième préjugé (« Les jeunes vétérinaires sont trop théoriques et pas assez pragmatiques »). Ils sont toutefois convaincus que les années apporteront rapidement aux jeunes l'expérience qui leur manque.
Ce sera sans doute aussi le cas en ce qui concerne le huitième préjugé (« Les praticiens vétérinaires en exercice s'imposent un rythme si soutenu qu'il faut souvent deux jeunes pour faire le travail d'un seul, ce qui met une forte pression sur les nouveaux diplômés »), avec lequel 39,2 % des répondants ne sont pas d'accord, 39 % sont d'accord et 21,8 % neutres.
Quant au neuvième préjugé (« Les praticiens vétérinaires en exercice ont tendance à moins déléguer certaines tâches, en partie parce qu'ils perçoivent que les jeunes sont souvent plus attirés par le salariat que par la création ou la reprise d'une structure »), les avis sont très partagés (37,7 % pas d'accord, 36,4 % d'accord et 26 % neutres). De nombreux vétérinaires estiment toutefois contre-productif de déléguer des tâches à un salarié qui finira par quitter leur structure. D'autre part, les jeunes vétérinaires ne leur paraissent pas spécialement intéressés par les tâches administratives.
Enfin, les répondants sont majoritairement en désaccord (50,9 % pas d'accord contre 27,5 % neutres et 21,6 % d'accord) avec le dernier préjugé (« Les praticiens vétérinaires en exercice adoptent parfois une gestion plus directive, ce qui peut créer un écart avec les attentes ou les nouvelles propositions des jeunes générations »). Selon eux, il s'agit d'une question de personnalité plutôt que de génération, comme dans beaucoup d'autres sujets.
Des changements sociétaux à l'origine du décalage générationnel observé ?
L'étude de ProVéto Junior Conseil Lyon confirme donc l'existence d'une différence de perception de la profession vétérinaire en fonction des générations.
Les praticiens interrogés proposent plusieurs explications à ce décalage (figure).
Plus de la moitié d'entre eux estiment que les changements sociétaux sont à l'origine du phénomène (188 sur 332, soit 56,6 %).
Viennent ensuite des différences d'arbitrage entre vie privée et vie professionnelle (44 sur 332, soit 13,3 %), une vision différente du métier (33, soit 9,9 %), un manque de communication (26, soit 7,8 %) ou encore une évolution de l'enseignement (24, soit 7,2 %).
Dans tous les cas, les auteurs de l'étude relèvent la volonté des praticiens en exercice de comprendre le ressenti des étudiants et de poursuivre le dialogue avec eux. ■
2 Nac : nouveaux animaux de compagnie.
3 Tout à fait d'accord et plutôt d'accord.
4 Pas du tout d'accord et plutôt pas d'accord.
5 Compétences psychosociales.





