Maladie rénale chronique chez le chat : l'importance du diagnostic précoce
Mercredi 16 Novembre 2022 Animaux de compagnie 45148Excellent marqueur de la fonction rénale, la SDMA est particulièrement intéressante dans l'espèce féline.
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Corinne DESCOURS-RENVIER
Néphrologie
Détecter précocement la maladie rénale chronique du chat augmente les chances de réussite du traitement. Tous les marqueurs ont des points forts et des points faibles et même les plus récents ne sont pas parfaits. Le vétérinaire doit combiner différents tests avant d'établir un diagnostic. Il existe de très grandes variations entre les chats, ce qui justifie une approche personnalisée.
Notre confrère Tommaso Furlanello (ECVCP 1 , clinique vétérinaire San Marco, Veggiano (Italie)) a rappelé que la maladie rénale chronique est souvent détectée chez le chat en phase terminale d'évolution alors que les lésions progressent généralement depuis plusieurs années lors d'une webconférence organisée par ProPlan ND, le 7 juin, sur le diagnostic de la maladie rénale chronique 2 dans l'espèce féline.
« Le diagnostic repose classiquement sur le dosage de la créatinine sanguine mais il s'agit d'un marqueur très tardif », explique notre confrère. « Lorsqu'une anomalie est détectée par ce moyen, la part fonctionnelle du tissu rénal est habituellement inférieure à 25 % ! De plus, il existe d'importantes variations individuelles en fonction du moment du prélèvement et de l'état général de l'animal, ce qui complique considérablement l'interprétation des résultats. »
Tommaso Furlanello conseille a minima de réhydrater l'animal avant de réaliser l'examen et de renouveler les mesures. « Dans tous les cas, il faudra évaluer d'autres paramètres avant d'établir un diagnostic », conclut notre confrère. « Il existe heureusement des biomarqueurs plus précoces permettant de distinguer plus finement les différents stades de la maladie. »
Evaluer la SDMA pour un diagnostic plus précoce
Excellent marqueur de la fonction rénale, la SDMA 3 est particulièrement intéressante dans l'espèce féline.
« Il s'agit d'un indicateur très précoce, dont l'élévation précède généralement de plusieurs mois celle de la créatinine », précise le conférencier. « Cependant, d'importantes variations individuelles ont été constatées chez le chat. L'interprétation des résultats devra donc tenir compte du contexte clinique et seules les modifications persistantes pourront être considérées comme significatives. »
Tommaso Furlanello suggère de considérer un résultat pertinent au-delà de 62 % de la valeur basale de la SDMA sérique.
Rester prudent dans l'interprétation des résultats
Selon notre confrère, dans 25 % des cas de maladie rénale chronique, le taux de SDMA reste normal alors que celui de la créatinine sérique augmente. Tommaso Furlanello conseille alors de renouveler les mesures, les deux valeurs ayant tendance à s'aligner au fil du temps.
Dans 75 % des cas, on observe au contraire une augmentation du taux de SDMA sérique alors que celui de la créatinine est normal. La plupart du temps, le taux de créatinine augmentera progressivement mais dans 20 % des cas, l'écart se maintiendra durant plusieurs mois, voire plusieurs années.
Une étude sur près de 600 chats
Au cours d'une étude rétrospective inédite réalisée chez 594 chats atteints d'insuffisance rénale chronique (IRC), entre février 2002 et avril 2022 à la clinique vétérinaire San Marco, Tommaso Furlanello a évalué l'intérêt de mesurer d'autres biomarqueurs de la fonction rénale.
Notre confrère calcule en particulier la fraction excrétée du sodium4 pour évaluer la fonction tubulaire rénale. Cette technique permet notamment de distinguer le stade 3 de la maladie rénale chronique du stade 4 dans la classification de l'IRIS5.
La mesure de la SAA permet de détecter une inflammation à l'origine des lésions rénales plus efficacement que le comptage des leucocytes (lire ci-après).« Attention cependant : au stade 4, l'IRC est devenue une maladie inflammatoire à part entière », prévient Tommaso Furlanello.
Au cours de l'étude, notre confrère a constaté que le taux de cortisol urinaire chutait en fin d'évolution chez de nombreux chats, l'animal n'arrivant sans doute plus à produire cette hormone. De même, chez les chats atteints d'hyperthyroïdie, on observe souvent une baisse progressive de la thyroxine (T4), ce phénomène pouvant aller jusqu'à l'euthyroïdie.
Mesurer la gravité spécifique et l'osmolarité urinaires
Un examen très simple à réaliser et très évocateur d'une atteinte rénale est la mesure de la gravité spécifique urinaire (GSU). « Un résultat inférieur à 1 035 peut être considéré comme significatif », précise Tommaso Furlanello. « Les valeurs vont ensuite baisser progressivement au cours de l'évolution de la maladie. »
Si la mesure de l'osmolarité urinaire est une technique proche de celle de la GSU, elle apporte davantage de renseignements sur la concentration urinaire rénale en évaluant la quantité de molécules présentes dans l'urine en plus de leur masse. Ici, les valeurs obtenues au stade 4 de la maladie équivalaient à la moitié de celles du stade 1.
La mesure de l'osmolarité sérique est fréquemment réalisée à la clinique vétérinaire San Marco. « Cet examen nous permet d'évaluer l'intérêt de mettre en place une fluidothérapie », explique Tommaso Furlanello. « Une décision d'autant plus importante que la majorité des chats atteints d'IRC sont déshydratés. »
Notre confrère a constaté une élévation de la protéinurie chez 85 % des chats, un résultat plus élevé que ceux des études précédentes (78 % en moyenne). Le degré de protéinurie ne serait toutefois pas toujours corrélé à la gravité de la maladie puisqu'il chute au stade 4, lorsque les lésions rénales sont très avancées.
Tommaso Furlanello s'intéresse également au rapport gamma-glutamyl transférase (GGT)/créatinine. « Rarement réalisé en pratique, ce calcul permet pourtant d'identifier la présence de lésions rénales dès le stade 1 », explique-t-il. « On observe alors une augmentation du ratio. »
Quant au dosage des bicarbonates6, il met en évidence une acidose métabolique dans les stades les plus avancés de la maladie.
La concentration en phosphore augmente au cours de la maladie. Si elle est toujours normale à un stade avancé, Tommaso Furlanello conseille d'envisager une hyperparathyroïdie.
Enfin, la pression sanguine systolique augmente généralement jusqu'au stade 3, avant de baisser à partir du stade 4.
« Tous les marqueurs ont des points forts et des points faibles et même les plus récents ne sont pas parfaits », conclut Tommaso Furlanello. « Il faut impérativement combiner différents tests avant d'établir un diagnostic. Il existe par ailleurs de très grandes variations entre les animaux, ce qui justifie une approche personnalisée. » ■
1 ECVCP : European College of Veterinary Clinical Pathology.
2 La maladie rénale chronique est une détérioration ancienne et progressive de la fonction rénale. En dessous d'un certain seuil de capacité des reins à filtrer le sang, on parle d'insuffisance rénale chronique.
3 SDMA : diméthylarginine symétrique.
4 Fe(Na).
5 IRIS : International Renal Interest Society.
6 Nombre de molécules présentes dans un litre de plasma.
7 Total CO 2 mmol/l.
Gros Plan : Identifier l'origine des lésions rénales et les éventuels facteurs aggravants
Notre confrère Tommaso Furlanello (ECVCP1, clinique vétérinaire San Marco, Veggiano (Italie)) a conseillé de rechercher systématiquement la cause initiale de l'atteinte rénale, même s'il n'est pas toujours possible de l'identifier, ainsi que les éventuelles affections susceptibles d'aggraver les lésions lors d'une webconférence organisée par ProPlan ND, le 7 juin, sur le diagnostic de la maladie rénale chronique dans l'espèce féline. Leur traitement améliore en effet considérablement les chances de survie du chat.
Les inflammations chroniques comme les parodontites sont statistiquement corrélées à l'apparition d'une insuffisance rénale chronique (IRC) chez le chat. « Les cytokines inflammatoires auraient en effet un impact négatif sur les reins au même titre que les agents infectieux », explique notre confrère. « La détection d'une inflammation chronique se fait facilement en mesurant la protéine sérique amyloïde A (SAA). »
Nombreuses causes possibles
L'IRC peut avoir de nombreuses autres causes : infection locale ou systémique, calculs urinaires, anesthésie générale2, ingestion de produits toxiques (mélamine ou aflatoxines dans certains aliments pour chats par exemple), hypertension systémique, hyperthyroïdie, hyperparathyroïdie ou prédisposition héréditaire...
« Récemment, un morbillivirus a été décrit comme pouvant être associé à une atteinte rénale chez le chat, de même que le FIV3, le FeFV4 ou la bactérie responsable de la leptospirose », constate Tommaso Furlanello. « De nombreuses incertitudes demeurent quant au rôle réel de ces agents pathogènes dans l'apparition d'une IRC. »
Enfin, la progression des lésions peut être aggravée par le stress, responsable de l'activation du système nerveux sympathique et de la contraction des vaisseaux glomérulaires afférents. C.D.-R.
1 ECVCP : European College of Veterinary Clinical Pathology.
2 Par hypotension, hypoperfusion rénale et hypoxie secondaires.
3 Feline Immunodeficiency Virus.
4 Feline Foamy Virus ou spumavirus félin.