Maillage vétérinaire rural en Ile-de-France : une demande de soins particulière
Mercredi 10 Janvier 2024 Vie de la profession 49281Seuls 41 % et 11 %, respectivement, des détenteurs de bovins et de petits ruminants sont des éleveurs professionnels.
© V.D.
Valérie DUPHOT
Exercice
Les intervenants réunis lors de la soirée sur le thème « Soins aux animaux de ferme, d'élevage ou de loisir, comment renforcer le maillage vétérinaire en Île-de-France ? », organisée par la Driaaf*, la Chambre d'agriculture de région Ile-de-France, les représentants des vétérinaires (GTV, SVRP, Crov et Afvac**) et le Groupement de défense sanitaire, le 16 novembre, à Paris, ont présenté les spécificités et les besoins de cet exercice particulier. Le manque de vétérinaires ruraux fait face à une demande croissante. Des pistes de solutions se dégagent.
« L'Etat vous accompagne et finance les projets » , a déclaré Marc Guillaume (préfet de la région d'Ile-de-France) qui s'est engagé à consacrer une enveloppe de 100 000 euros annuels pendant trois ans pour accompagner la mise en place et l'expérimentation de solutions innovantes, lors de la soirée d'échange et de débat sur le thème « Soins aux animaux de ferme, d'élevage ou de loisir, comment renforcer le maillage vétérinaire en Île-de-France ? » , organisée par la Chambre d'agriculture de région Ile-de-France, la Driaaf*, la Chambre d'agriculture de région Ile-de-France, les représentants des vétérinaires (GTV, SVRP, Crov et Afvac**) et le Groupement de défense sanitaire, le 16 novembre, à Paris, animée par Margaux Gelin (chargée de mission Maillage vétérinaire, Chambre d'agriculture de région Île-de-France).
Le préfet a rappelé l'importance du maillage vétérinaire, notamment pour la maîtrise des crises sanitaires, et du lien entre les éleveurs et les vétérinaires, « la santé animale étant un enjeu de santé publique et économique » .
Notre consoeur Déborah Infante (cheffe de service, Service régional de l'alimentation, Driaaf) explique que l'Ile-de-France est une région particulière : perçue comme très urbanisée, elle est en réalité à 70 % rurale ou périurbaine et compte une proportion de détenteurs d'animaux dits de rente non professionnels en augmentation.
Si le cheptel bovin a connu une décroissance sur les dix dernières années, il tend aujourd'hui à se stabiliser. Parallèlement, une croissance exponentielle des détenteurs de petits ruminants (+ 300 %), de volailles et de ruches est observée.
Une seule structure exclusivement rurale dans la région
Seuls 41 % et 11 %, respectivement, des détenteurs de bovins et de petits ruminants sont des éleveurs professionnels. La région compte des fermes pédagogiques, des détenteurs de quelques ruminants en complément d'autres types de production ou non destinés à la production alimentaire.
« Ces particularités induisent une demande en matière de soins vétérinaires particulière », précise notre consoeur. La faible densité d'élevages dans la région, la typologie des détenteurs et les difficultés liées aux temps de parcours pour les vétérinaires sont des facteurs qui ne permettent pas à ce type d'exercice d'être économiquement viable pour les vétérinaires franciliens.
En Ile-de-France, un seul établissement vétérinaire, composé de quatre praticiens, exerce une activité rurale exclusive, en Seine-et-Marne.
Parvenir à apporter des soins à ces animaux de ferme franciliens est un enjeu en termes de santé publique, de bien-être animal et de maintien des élevages dans un contexte de demande croissante de consommation locale. Le Copil, qui regroupe l'ensemble des acteurs (éleveurs, vétérinaires, administration...), propose d'expérimenter des actions volontaristes et innovantes pour relever ce défi « en s'appuyant sur les atouts de l'Ile-de-France qui pourrait devenir pionnière et exemplaire pour d'autres territoires urbains et périurbains évoluant vers cette typologie de détention d'animaux de rente ».
Quatre pistes stratégiques
« Le projet Maillage vétérinaire en Île-de-France s'appuie sur quatre pistes stratégiques : faciliter l'implantation et le développement de l'activité de vétérinaires compétents en filières d'élevage, essentiellement en grande couronne ; mobilisation des vétérinaires praticiens canins sur les filières animaux de ferme hors élevage de rente ; intervention de l'école vétérinaire d'Alfort (ENVA) dans le cadre de sa mission d'enseignement et de recherche ; coordination des actions », explique Déborah Infante.
« Développer des formations permettrait au moins de répondre à l'urgence », a indiqué notre confrère Yann Levrey (chef du service Santé, protection animales et environnement, DDPP*** du Val-d'Oise) lors de la table ronde sur le thème « Offre de soins aux animaux de ferme en Ile-de-France - Quels besoins et quels leviers ? ». Il rappelle les missions que sont les prophylaxies et la surveillance événementielle des maladies animales : « Les vétérinaires sont des acteurs de terrain essentiels, qui connaissent leurs éleveurs, et contribuent à maintenir le bien-être animal. Ce sont des sentinelles du monde rural et des acteurs de la santé publique vétérinaire ».
Yann Levrey explique que son département ne compte que deux cliniques et quatre praticiens ruraux pour une cinquantaine de détenteurs de bovins. Le nombre de détenteurs de petits ruminants augmente et de plus en plus de vétérinaires commencent à pratiquer la « petite rurale ».
Prendre en compte la rentabilité
Il ajoute que la DDPP connaît un problème d'effectif et parfois des difficultés avec les petits détenteurs d'animaux de rente qui ignorent les règles. Il n'est pas sûr que « le rachat des structures vétérinaires par des groupes permette aux vétérinaires de faire de la petite rurale ».
A ce sujet, notre confrère Patrick Govart (directeur général France d' IVC Evidensia) rappelle que « les groupes s'occupent aussi de rurale et permettent de maintenir des cliniques vétérinaires faute de repreneurs ».
« Le suivi sanitaire des élevages est un sujet important. Les éleveurs ont aussi besoin des vétérinaires ruraux pour le conseil, les urgences, les prophylaxies » , insiste Philippe Dufour, éleveur de bovins allaitants. « Il faut accompagner les jeunes praticiens pour qu'ils reprennent les cabinets vétérinaires » . Il ajoute qu'en Ile-de-France, « tout est cher » et qu'il faut prendre en compte la nécessité de rentabilité ainsi que la pharmacie vétérinaire : les vétérinaires n'étant plus ruraux, il y a des problèmes de stock de médicaments par exemple pour les urgences.
Les échanges avec la salle montrent que les éleveurs aimeraient disposer d'un numéro d'appel unique pour contacter un vétérinaire en cas d'animal à identifier.
Morgane Marot (coordinatrice élevage et éco-pâturage, ferme pédagogique d'Ecancourt, Val-d'Oise) indique que sa structure connaît moins de problèmes financiers qu'un élevage traditionnel.
Travailler en partenariat
Parmi les solutions potentielles pour renforcer le maillage vétérinaire, elle propose de « travailler en partenariat et de répertorier les vétérinaires ruraux de la région ».
« Les élevages sont dispersés dans mon département. L'activité canine est planifiée, c'est notre activité nourricière, alors qu'être appelé en urgence pour un vêlage, c'est une demi-journée perdue. La situation est inextricable », détaille notre confrère Nicolas Miche (clinique vétérinaire Saint Nicolas, Essonne). Il liste les plus gros problèmes liés à l'activité rurale : obligation d'être plusieurs dans la structure pour assurer les gardes, d'astreintes continuelles (difficile avec des salariés), d'avoir une équipe performante pour les actes d'urgence.
« Ne faire que quelques césariennes par an intéresse peu et empêche de former les jeunes vétérinaires », précise-t-il. « Le médicament vétérinaire est indispensable pour rentabiliser notre activité. Si les cotisations à l'Urssaf, pour la retraite et les impôts étaient allégés, cela motiverait les vétérinaires à faire de la rurale, de même que des compensations financières, même pour le praticien libéral, et permettrait d'enclencher un cercle vertueux ».
Notre consoeur Aurélie Cantié, qui pratique en exercice mixte, cite la piste d'une carte interactive de vétérinaires qui servirait aux détenteurs d'animaux et aux praticiens.
Délégation de permanence et continuité de soins possible à l'ENVA
Notre consoeur Marine Denis (ingénieure de recherche, praticienne hospitalière, centre hospitalier universitaire vétérinaire Animaux de production, ENVA) rappelle que l'ENVA accueille quelque 500 animaux de ferme par an et que l'équipe assure environ 200 déplacements annuels pour des visites : « L'objectif est de doubler le nombre de visites. Nous disposerons bientôt d'un véhicule équipé » .
L'ENVA indique qu'elle accepte les délégations de permanence et continuité de soins, ce qui est important pour un vétérinaire canin qui se lancerait dans l'exercice petits ruminants.
La société AMA propose des lunettes connectées utilisées notamment en urgences médicales humaines. « La réalité assistée associée à la voix permet de dégager des moyens humains. Cet outil permet d'interagir les mains libres » , précise Thomas Waendendries (directeur vente et marketing, AMA), qui travaille notamment avec Oniris, Ceva Santé animale et Boehringer Ingelheim. « Il n'existe pas de business modèle pour la santé animale. Il faudrait d'emblée faire un large maillage pour toucher l'ensemble des élevages » .
Les GTV proposent des formations techniques et ont étoffé leur catalogue, dans lequel le vétérinaire peut choisir celles qui l'intéressent : abeilles, petits ruminants...
Il n'est pas obligé de tout savoir faire. ■
* Driaaf : Direction régionale de l'agriculture et de la forêt.
** GTV, SVRP, Crov et Afvac : groupement technique vétérinaire, Syndicat des vétérinaires de la région Paris-Ile-de-France, Conseil régional de l'Ordre des vétérinaires, Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie.
** DDPP : Direction départementale de la protection des populations.