L'alimentation de l'animal insuffisant rénal par l'exemple
Mercredi 4 Janvier 2023 Animaux de compagnie 45812En ce qui concerne l'alimentation, les contraintes propres à la MRC s'ajoutent à celles des autres affections dont peut souffrir l'animal.
© D.R.
Claire ALLGEYER
Nutrition
Nourrir de façon équilibrée et adaptée un animal insuffisant rénal n'est pas toujours chose aisée. Pour peu qu'une maladie associée ou un état physiologique particulier compliquent le tableau clinique, le problème peut vite virer au casse-tête. Pourtant, des solutions existent comme l'ont expliqué deux consoeurs spécialistes lors du symposium « Renal mais pas que... » , organisé, le 6 octobre, par le laboratoire Osalia.
Pour prescrire une ration alimentaire équilibrée destinée à couvrir les besoins d'un animal, quel que soit son âge et son statut (sain ou malade), trois solutions sont possibles : l'alimentation ménagère, industrielle ou mixte, comme l'a rappelé notre consoeur Géraldine Blanchard, spécialiste en nutrition clinique, qui propose aux praticiens, via son site dédié*, de l'aide au cas par cas pour établir une recette adaptée. C'est au travers de situations cliniques qu'elle a, avec notre consoeur Christelle Maurey, professeur de médecine interne à l'école vétérinaire d'Alfort, choisi d'illustrer ces possibilités, le 6 octobre, lors du symposium « Renal mais pas que... », organisé par le laboratoire Osalia.
« J'ai une maladie rénale chronique, qu'est-ce que je peux manger ? »
Dans le cas d'une maladie rénale chronique, les objectifs de la prise en charge nutritionnelle sont de ralentir la progression de la maladie, préserver la fonction rénale restante et améliorer le bien-être. Il faut ainsi :
- évaluer le poids optimal de l'animal, ce qui permet de calculer le besoin énergétique (BE) optimal, qui dépend aussi de la race, de l'activité, de la stérilisation éventuelle ;
- couvrir le BE et le besoin protéique minimal tout en diminuant les apports en phosphore et en ajoutant du calcium pour augmenter le rapport phosphocalcique (Ca/P supérieur ou égal à 2), ce qui diminue l'absorption du phosphore ;
- ajouter EPA (acide éicosapentaénoïque) + DHA (acide docosahexaénoïque) (à raison de 140 mg/kg poids métabolique chez le chien ou 2 g/Mcal EM chez le chat) ; issus des huiles de poisson des mers froides, ces acides gras essentiels présentent des propriétés vasodilatatrices et anti-inflammatoires ; ils diminuent la fibrose rénale et préservent le débit de filtration glomérulaire (DGF) ;
- fractionner les apports en plusieurs repas sur la journée.
En pratique, on peut utiliser un aliment complet industriel « spécifique rénal » (boîtes/sachets ou croquettes ou les deux, avec éventuellement adjonction de légumes), une ration ménagère sur mesure (viande ou poisson, CMV sans phosphore, huile de colza, légumes +/- féculent), une solution mixte (aliment complet industriel + partie ménagère sans féculents), avec ajout de capsules d'huile de poisson.
« J'ai une maladie rénale chronique et je n'ai pas fini ma croissance »
Lilou, femelle royal bourbon (race de la Réunion) âgée de 5 mois, adoptée en provenance de la Réunion, présente depuis son arrivée dans son nouveau foyer une augmentation de la prise de boisson (300 ml/kg/j) associée à une malpropreté urinaire. Parmi les nombreuses causes de polyuro-polydipsie (PUPD) chez le chien, certaines sont privilégiées compte tenu du jeune âge de la chienne et de l'absence d'anomalie à l'examen clinique.
Au terme d'une démarche diagnostique basée sur les résultats d'examens complémentaires incluant analyses urinaires et sanguines, l'hypothèse d'insuffisance rénale stade 1 débutant non protéinurique est confortée par une densité urinaire basse, une valeur de SDMA élevée, une hyperphosphorémie (attention à son interprétation chez un animal en croissance). L'échographie met en évidence une probable néphropathie juvénile. Reste alors à déterminer les complications, qui dans ce cas incluent une acidose métabolique.
On peut alors établir un plan thérapeutique individuel et des priorités, tout en gardant à l'esprit le fait qu'on prend en charge une maladie évolutive.
Une prise en charge nutritionnelle est proposée.
Aux contraintes liées à la prise en charge de la MRC déjà listées s'ajoutent ici celles liées au stade de croissance de Lilou.
Pour rappel, durant la croissance, les tissus musculaire, adipeux et squelettique se développent à des vitesses différentes. La croissance squelettique est la plus précoce et se termine le plus tôt (la grande majorité à la fin du pic de croissance). Celle du tissu musculaire, qui nécessite un squelette déjà en place, est plus tardive et se poursuit jusqu'à la toute fin de croissance.
Compte tenu du format de Lilou, on considère qu'elle est dans le pic de croissance au moment de la prise en charge et ce, pour encore 1 ou 2 mois. Il faut donc prendre en compte les deux catégories de contraintes :
- celles de la croissance : besoins élevés en protéines de bonne qualité (de bonne digestibilité et équilibrées en acides aminés), ainsi qu'en calcium et phosphore, avec un ratio Ca/P compris entre 1 et 2, compatible avec la croissance ;
- celles de sa MRC débutante : pas de nécessité de diminuer l'apport protéique à ce stade mais limitation au juste nécessaire de l'apport en phosphore et ajout d'EPA/DHA.
Dans un premier temps, on choisit de couvrir ses besoins de croissance en utilisant un aliment pour chiot en croissance jusqu'à 2 mois après la fin du pic.
Passé ce délai, la chienne ayant passé son pic de croissance et après stérilisation, on s'oriente vers une ration mixte, soit un aliment industriel « rénal » restreint en protéines et en phosphore auquel on ajoute une ration ménagère avec viande maigre, un peu de féculents et légumes, de l'huile de colza et un CMV avec calcium sans phosphore. Une complémentation en EPA/DHA est systématiquement ajoutée, à raison de 140 mg/kg de poids métabolique chez le chien.
Un laitage (yaourt, fromage type Babybel ND plutôt que Vache qui rit ND (qui contient des sels de phosphore), un peu de pomme ou une tartine croustillante (Wasa ND) peuvent être proposés en friandise.
« J'ai une maladie rénale chronique et parfois je vomis »
Catane, chatte européenne de 10 ans, est présentée pour perte de poids (200 g en 6 mois pour un poids de 3,2 kg au moment de la consultation, NEC 4/9), vomissements 2 à 3 heures après les repas avec appétit conservé et rares épisodes de diarrhées, ces signes digestifs s'étant améliorés sans rétrocéder complètement à la suite de l'instauration d'une alimentation hypoallergénique.
L'état général est bon et l'examen clinique révèle la présence d'un nodule thyroïdien. Parmi les nombreuses causes de vomissements chroniques chez le chat, certaines sont plus communes et envisagées en priorité pour Catane, les hypothèses métaboliques semblant a priori moins probables au regard de l'absence de PUPD.
Le bilan biochimique sanguin et urinaire révèle une créatininémie à 24 mg/l ainsi qu'une protéinurie signant une insuffisance rénale, les autres paramètres étant dans les valeurs usuelles.
Une échographie abdominale est réalisée et montre des images intestinales compatibles avec une maladie inflammatoire chronique ou un lymphome de bas grade. Bien que la conclusion de l'examen échographique ne permet pas de trancher entre les deux hypothèses, dans ce cas les critères épidémiologiques, cliniques et échographiques sont plutôt en faveur d'une MICI (Freiche V, Fages J, Paulin MV, Bruneau J, Couronné L, German AJ, et al.Clinical, laboratory and ultrasonographic findings differentiating low-grade intestinal T-cell lymphoma from lymphoplasmacytic enteritis in cats.J Vet Intern Med 2021;35(6):2685-2696).
Au bilan, Catane présente une probable entéropathie chronique versus intolérance alimentaire associée à une MRC stade 2 protéinurique, non hypertensive, avec phosphatémie élevée (72 mg/l pour un objectif en stade 2 inférieur à 45 mg/l).
La prise en charge médicale consiste en l'administration d'un traitement antiprotéinurique (Telmisartan ND, 1 mg/kg/j).
En ce qui concerne l'alimentation, les contraintes propres à la MRC déjà citées s'ajoutent à celles de l'inflammation intestinale. L'aliment hypoallergénique, qui de toute façon n'avait pas entraîné la résolution complète des symptômes digestifs, ne permet pas une prise en charge de la MRC.
Géraldine Blanchard suggère, selon des essais cliniques en cours, la suppression totale des féculents pendant au moins 2 mois, à poursuivre ou non selon l'amélioration des signes digestifs. Pour Catane, il est possible de proposer un régime d'éviction (aliment à composition simple et connue) pour MRC.
On proposera une ration ménagère pour MRC, sans féculent et avec ajout de capsules d'EPA/DHA (100 mg / kg de poids optimal) ou encore des barquettes d'aliment « rénal » sans féculent (Ziggy Vet insuffisance rénale ND).
Une transition lente sur 1 à 3 semaines est conseillée. ■
* https://cuisine-a-crocs.com.