Jean-Noël Rieffel : « Le vétérinaire est une sentinelle du vivant »
Mercredi 2 Juillet 2025 Vie de la profession 53467Notre confrère Jean-Noël Rieffel est inspecteur de santé publique vétérinaire et directeur de l'Office français de la biodiversité dans le Centre-Val-de-Loire.
© D.R.
Biodiversité
Inspecteur de santé publique vétérinaire et directeur de l'Office français de la biodiversité dans le Centre-Val-de-Loire, notre confrère Jean-Noël Rieffel vient de publier l'ouvrage Aimer comme un albatros (lire DV n° 1758) qui laisse entrevoir ses compétences approfondies en ornithologie. Inquiet de la diminution croissante du nombre d'oiseaux et de l'uniformisation de leurs communautés, il incite les vétérinaires à utiliser leurs compétences pour devenir au quotidien des ambassadeurs de la biodiversité.
■ La Dépêche Vétérinaire : Quel parcours vous a conduit au poste que vous occupez actuellement et quelles sont vos missions ?
Jean-Noël Rieffel, inspecteur en chef de santé publique vétérinaire, directeur de l'OFB Centre-Val-de-Loire, auteur : Je suis diplômé de l'école nationale vétérinaire d'Alfort en 2005. J'ai ensuite intégré l'école nationale des services vétérinaires comme inspecteur élève de santé publique vétérinaire.
Inspecteur en chef de santé publique vétérinaire, j'ai connu plusieurs expériences professionnelles au sein des services déconcentrés du ministère en charge de l'agriculture (DDSV, DDCSPP, Draaf) où j'ai notamment été amené à gérer plusieurs crises sanitaires.
J'ai ensuite travaillé pendant presque 10 ans en tant que directeur régional au sein d'établissements publics placés sous la tutelle du ministère en charge de la transition écologique, tout d'abord à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage pendant 4 ans, puis au sein de l'Office français de la biodiversité (OFB), nouvel opérateur de l'Etat créé le 1er janvier 2020 pour protéger et restaurer la biodiversité.
J'ai toujours voulu mettre à profit mes connaissances naturalistes et vétérinaires au service de la préservation de la biodiversité en France, dont nous savons aujourd'hui parfaitement les causes de son effondrement.
Je dirige aujourd'hui l'action de l'OFB en région Centre-Val-de-Loire et manage 120 agents. Au quotidien l'OFB a 5 missions :
- la connaissance, la recherche et l'expertise sur les espèces, les milieux et leurs usages ;
- la police de l'environnement et la police sanitaire de la faune sauvage ;
- l'appui à la mise en oeuvre des politiques publiques ;
- la gestion et l'appui aux gestionnaires d'espaces naturels ;
- l'appui aux acteurs et la mobilisation de la société.
■ D.V. : Vous êtes féru d'ornithologie. Que vous inspirent vos observations en termes de santé de la biodiversité ?
J.-N.R. : Je suis passionné par l'observation des oiseaux depuis ma plus tendre enfance. Depuis, ils ne m'ont jamais quitté. Leur présence, qui signe toujours le surgissement d'une grâce, est devenue indispensable à ma vie. Mon regard est toujours aimanté par un oiseau de passage et, comme Icare, mes rêves sont forgés de plumes. Je ne suis qu'une modeste plume et les oiseaux sont mon ciel.
Les oiseaux sont des bio-indicateurs de la santé de nos écosystèmes naturels. Ils participent à la dissémination des graines (exemple : le geai des chênes), à la pollinisation garante de notre productivité alimentaire, jouent le rôle d'équarrisseurs naturels (exemple : les vautours), régulent les insectes ravageurs (exemple : les mésanges et les chenilles).
Or aujourd'hui, les oiseaux laissent des plumes. En 40 ans, le nombre d'oiseaux a décliné de 25 % sur le continent européen. 800 millions d'oiseaux ont disparu soit 20 millions par an. La France n'est pas épargnée avec 30 % d'oiseaux en moins en 15 ans.
La diminution des populations d'oiseaux est multifactorielle : changement climatique, urbanisation et artificialisation des sols et du bâti, destruction des habitats naturels (haies, zones humides), pratiques agricoles intensives, fléaux sanitaires comme la grippe aviaire. On assiste à une reconfiguration du cortège aviaire à grande vitesse et à grande échelle. Les communautés d'oiseaux tendent à s'homogénéiser et s'uniformiser au profit d'espèces peu spécialisées et peu exigeantes ou si vous préférez très adaptables aux perturbations climatiques et anthropiques. En d'autres termes, un phénomène d'uniformisation des communautés d'oiseaux est enclenché.
Ma passion d'ornithologue m'a amené à le constater très factuellement : il y a moins de bruants (jaune, proyer), de pies-grièches, de tariers des prés et d'alouettes dans les milieux agricoles, il y a moins d'hirondelles qui se rassemblent sur les fils à l'automne avant leur départ pour l'Afrique. J'ai vu le moineau domestique quasiment disparaître de Paris et la perruche à collier coloniser les parcs de la capitale. A côté de cela, j'observe des espèces d'oiseaux (minoritaires) qui tirent leur épingle du jeu (grandes aigrettes, hérons garde-boeufs, élanion blanc, vautours fauves).
Le spectre d'un printemps silencieux est perceptible.
Un écosystème malade est plus fragile et moins à même de faire face aux pressions qui s'exercent sur lui (changement climatique, ravageurs, etc.). Un écosystème riche en biodiversité (oiseaux, insectes, etc.) est un milieu plus résilient.
Quand des oiseaux disparaissent, c'est une part de notre patrimoine naturel qui s'éteint. La beauté s'efface et le silence s'étend. Un oiseau qui disparaît, c'est comme si on décrochait un tableau de Monet au Musée d'Orsay.
■ D.V. : Quel rôle peuvent jouer les vétérinaires dans sa préservation ?
J.-N.R. : A travers son approche Une seule santé (One health), qui signe le continuum entre la santé animale, la santé humaine et la santé environnementale, le vétérinaire est une sentinelle du vivant, un « géonaute ». La biodiversité est l'affaire de tous, c'est un bien commun dont nous faisons partie. Notre survie en dépend. Il n'y a qu'une seule santé pour les êtres vivants et leurs écosystèmes.
La démarche clinicienne apprend l'observation des signaux, des symptômes. Un vétérinaire a donc une disposition du regard, une qualité d'écoute pour observer en première ligne les signaux d'effondrement de la biodiversité. En ce sens, il me semble qu'il se doit d'être au quotidien un ambassadeur de cette biodiversité.
Les vétérinaires ont un rôle à jouer dans la défense des écogestes auprès de tous les citoyens et dans la défense des modes de pratiques agroécologiques auprès des éleveurs.
Ils ont aussi un rôle à jouer dans la défense les droits du vivant (individualité de l'animal sauvage).
Je pense enfin que les écoles vétérinaires doivent davantage valoriser le savoir naturaliste au sens où l'entendaient Buffon, Linné et Jean-Jacques Audubon. ■