Evolution des souches de Mycoplasma bovis : les conséquences en prévention et traitement
Mercredi 28 Fevrier 2024 Animaux de rente 50065Mycoplasma bovis est associé chez les bovins à différents signes cliniques (mammites, arthrites, bronchopneumonies principalement) et à des pertes économiques parfois importantes en élevage.
© Laurent Mascaron
Laurent MASCARON
Correspondant en infectiologie et vaccinologie
Courriel : l.mascaron@orange.fr
Bovins
Les données collectées par le réseau Vigimyc d'épidémiosurveillance des mycoplasmes des ruminants en France montrent peu d'évolution du tableau clinique et de l'antibiosensibilité des souches de Mycoplasma bovis malgré la dynamique de leurs génomes. Les méthodes de diagnostic peuvent être affectées par les pratiques vaccinales. L'usage d'autovaccins n'interfère pas a priori avec le diagnostic direct par PCR ou l'identification après culture mais peut interférer avec la recherche des anticorps spécifiques de l'infection. L'AMM d'un vaccin à base de cultures vivantes de M. bovis pourrait faire émerger la nécessité d'un test de différenciation entre animaux vaccinés et infectés. Toute pratique vaccinale peut entraîner un changement des souches majoritaires circulantes. Des échanges de matériel génétique entre ces différentes souches ne peuvent être exclus, qui pourraient influencer l'épidémiologie des infections à M. bovis . Macrolides, aminosides ou phénicolés peuvent être utilisés pour les traiter.
Le réseau Vigimyc d'épidémiosurveillance des mycoplasmes isolés chez les ruminants en France a été présenté par notre consoeur Claire Becker (enseignante en pathologie du bétail et directrice de l'UMR* Mycoplasmoses animales à VetAgro Sup) lors des Journées nationales des GTV** au Futuroscope de Poitiers, en mai dernier. Les données collectées sur M. bovis , principalement responsable de troubles respiratoires chez les jeunes bovins, montrent peu d'évolution du tableau clinique et de l'antibiosensibilité des souches malgré une forte dynamique de leurs génomes.
Importance pathologique et épidémiosurveillance
M. bovis est une bactérie pathogène pour les bovins, associée à différents signes cliniques (mammites, arthrites, bronchopneumonies principalement) et à des pertes économiques parfois importantes en élevage. Sa mise en évidence s'effectue couramment par PCR lors de troubles respiratoires ou par culture suivie d'une identification par des méthodes adéquates (reconnaissance antigénique par MF-Dot ou du spectre protéique par spectrométrie de masse du type MALDI-Tof).
« Sa surveillance épidémiologique en France s'effectue à travers le réseau Vigimyc, piloté par l'UMR Anses*** VetAgro Sup Mycoplasmoses animales, en partenariat avec une quarantaine de laboratoires de diagnostic vétérinaire répartis sur le territoire national. Ceux-ci nous font parvenir leurs souches de mycoplasmes isolées en diagnostic de routine des affections des ruminants pour caractérisation ultérieure » , a déclaré Claire Becker.
« Nous recevons en moyenne 500 à 600 échantillons par an en provenance de bovins, issus de cas cliniques terrain en France mais aussi en Belgique (20 % des cas), la finalité du réseau Vigimyc étant prioritairement la surveillance des mycoplasmoses réglementées chez les ruminants : péripneumonie contagieuse bovine et pleuropneumonie contagieuse caprine. L'agalactie contagieuse, bien que non réglementée en France, fait néanmoins partie des maladies listées par l'Organisation mondiale de la santé animale » , a-t-elle rappelé.
Le réseau Vigimyc permet de suivre au fil du temps les contextes cliniques liés à l'isolement de M. bovis à partir d'un « nombre d'échantillons qui varie peu depuis 10 ans (en moyenne 223 échantillons bovins reçus par an dont 136 positifs pour M. bovis ). Parmi ceux-ci, la part des atteintes respiratoires est très élevée et très stable avec une moyenne de 87 % d'échantillons positifs provenant d'animaux présentant des troubles respiratoires, très majoritairement chez de jeunes bovins. L'isolement de M. bovis est essentiellement réalisé post mortem , dans 70 % des cas à partir de prélèvements pulmonaires » , a précisé notre consoeur.
Antibiosensibilité et variabilité génétique
L'absence de paroi bactérienne chez les mycoplasmes contribue à limiter le choix d'une antibiothérapie efficace, avec des résistances intrinsèques à plusieurs familles d'antibiotiques : bêta-lactamines et glycopeptides, polymyxine, acide nalidixique et association triméthoprime - sulfamides. Pour les autres molécules actives, leur usage peut être un facteur majeur de sélection et l'évaluation des résistances acquises nécessite des méthodes adaptées aux particularités culturales des mycoplasmes (croissance lente sur des milieux spécifiques).
Ainsi, les méthodes classiques rapides comme l'antibiogramme sur milieu gélosé ne sont pas applicables et la surveillance de l'antibiosensibilité de M. bovis échappe de fait au réseau Resapath****.
Depuis 2018, le réseau Vigimyc intègre une surveillance de l'antibiorésistance sur une cohorte annuelle d'isolats issus des laboratoires du réseau et d'origine géographique variée. Avant ce suivi annuel, des CMI***** de référence avaient été déterminées sur un ensemble de souches collectées entre 2010 et 2014. Ces données sont utilisées pour suivre l'évolution des CMI au cours du temps. Pour les mycoplasmes vétérinaires, des seuils d'interprétation clinique SIR (sensible/intermédiaire/résistant) ne sont pas disponibles en raison du manque de données. Par défaut, les seuils d'interprétation des pasteurellacées chez les bovins sont utilisés.
« En utilisant ces seuils, depuis 2018, toutes les souches de M. bovis apparaissent résistantes in vitro aux macrolides et aux tétracyclines mais sensibles ou intermédiaires aux fluoroquinolones. Par ailleurs, la sensibilité de M. bovis aux aminosides comme la spectinomycine a augmenté avec près de 40 % de souches sensibles ou intermédiaires en 2022 contre 4 % en 2018. Nous avons pu montrer que l'émergence de souches résistantes aux antibiotiques était associée à un changement du sous-type majoritaire circulant en France à partir des années 2000. Ces niveaux de résistance mesurés in vitro n'excluent cependant pas une efficacité conservée des molécules in vivo. C'est possiblement le cas des macrolides » , a témoigné Claire Becker.
« Il existe néanmoins un biais important de sélection des souches par le réseau des laboratoires, les prélèvements étudiés étant issus vraisemblablement en grande partie de cas cliniques traités en seconde intention, après échec du traitement initial » , a fait remarquer notre consoeur.
Recommandations en prophylaxie et traitement
« L'évolution rapide des souches de M. bovis nécessite une vigilance particulière pour le maintien de l'efficacité des outils diagnostiques, de prévention et de traitement » , a souligné Claire Becker.
Les méthodes de diagnostic peuvent en effet être affectées par les pratiques vaccinales. L'usage d'autovaccins (souches inactivées) n'interfère pas a priori avec le diagnostic direct (par PCR ou identification après culture) mais peut interférer avec la recherche des anticorps spécifiques de l'infection par un test Elisa. L'AMM récente d'un vaccin à base de cultures vivantes avirulentes de M. bovis (DV n° 1695) pourrait faire émerger la nécessité de développer un test de différenciation entre animaux vaccinés et infectés (DIVA).
Par ailleurs, toute pratique vaccinale peut entraîner un changement des souches majoritaires circulantes par une pression immunitaire modifiée vis-à-vis de tel ou tel clone de l'agent pathogène cible ou par compétition éventuelle entre une souche vaccinale vivante et les souches présentes sur le terrain. Enfin, des échanges de matériel génétique entre ces différentes souches ne peuvent être exclus en l'absence de données publiées, qui pourraient influencer l'épidémiologie des infections à M. bovis .
« En thérapie des mycoplasmoses à M. bovis , des macrolides, aminosides ou phénicolés peuvent être utilisés, sur la base des données d'efficacité remontant du terrain », a conclu notre consoeur. ■
* UMR : Unité mixte de recherche.
** GTV : Groupement technique vétérinaire.
*** Anses : Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.
**** Resapath : Réseau d'épidémiosurveillance de l'antibiorésistance des bactéries pathogènes isolées chez les animaux.
***** CMI : Concentration minimale inhibitrice.
Gros Plan : Une étude précise le potentiel de diffusion de Mycoplasma bovis
Notre consoeur Claire Becker (enseignante en pathologie du bétail et directrice de l'UMR* Mycoplasmoses animales à VetAgro Sup) a présenté les résultats d'une étude prospective destinée à objectiver le potentiel de diffusion de M. bovis à l'intérieur d'un lot d'animaux infectés dans différents modes d'élevage lors des Journées nationales des GTV**, au Futuroscope de Poitiers, en mai dernier.
L'étude Redibov, financée par le plan EcoAntibio, a été menée sur 358 veaux de boucherie au cours de deux hivers consécutifs (2016-2018) dans différents élevages de la région Grand Ouest. Une recherche par PCR et culture a été réalisée sur des prélèvements effectués par écouvillonnage nasal profond sur 10 veaux de chaque lot à leur entrée dans l'élevage puis lors d'atteinte pathologique avant tout traitement et enfin 4 à 5 semaines après traitement sur les mêmes individus.
A la mise en lot, la fréquence des résultats positifs s'élevait à 2 % contre 51 % lors d'épisode pathologique, avec seulement 3 élevages sur 21 ne comportant aucun individu positif à M. bovis .
Poids des conditions de mise en lot et de nourrissage des veaux
Un mois après traitement, la prévalence individuelle en PCR restait quasiment inchangée mais la plus faible proportion d'échantillons positifs après culture (17 %) a eu tendance à montrer que la charge bactérienne avait diminué.
L'analyse des facteurs de risque de diffusion de
M. bovis dans les mêmes élevages a mis en évidence le poids des conditions de mise en lot et de nourrissage des veaux. La proportion d'animaux séropositifs vis-à-vis de M. bovis un mois après traitement s'est révélée significativement supérieure dans les lots de grande taille et chez les veaux nourris au DAL (distributeur automatique de lait) par rapport à ceux alimentés au seau, sans partage de tétine.
Pour des lots de même taille, ceux nourris au seau ont montré une consommation d'antibiotiques inférieure à ceux nourris au DAL. Pour autant, l'analyse de l'association entre une séroconversion à M. bovis et l'utilisation d'antibiotiques ne s'est pas révélée statistiquement significative. L.M.
* UMR : Unité mixte de recherche.
** GTV : Groupement technique vétérinaire.