Xénobiologie - Vers d'autres vies
Samedi 23 Mai 2020 Lecture 41777Thierry JOURDAN, docteur vétérinaire
Le titre de l'ouvrage semble à la limite du mystérieux. Il est surtout aux confins de nos connaissances et prospectives scientifiques. Ce livre co-écrit par Michel Cassé, ancien astrophysicien au CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) et à l'institut de Paris et par Marie-Christine Maurel, professeure au Museum national d'histoire naturelle et spécialiste de l'archéobiologie moléculaire, traite de la construction du vivant.
La vie terrestre est fille de la chimie carbonique. Michel Cassé nous permet de comprendre ce qui a permis la création des atomes au sein des étoiles ; l'hydrogène, le carbone, l'oxygène, l'azote, le phosphore, le soufre. Puis, dans les nuages de poussières, les molécules complexes adviennent. Les comètes, vaisseaux pour les molécules organiques tels que le formamide (CH3NO), le glycerol ou la glycine touchent la terre. Dans la soupe prébiotique se forment facilement acide cyanhydrique et formaldéhyde. Quelques UV sur HCN et l'Adenine apparaît. Le formaldéhyde avec la craie peut aboutir au ribose. Bases azotées (A, U, T, G, C), sucres et acide phosphorique seront les matériaux pour la création de l'ARN puis de l'ADN.
La biodiversité des microorganismes est immense et on trouve une myriade de populations rares, extrêmement diversifiées et anciennes parmi les bactéries, les archées ou les microeucaryotes. Moins de 3 % des espèces actuelles sont connues et les espèces actuelles ne constituent qu'un pour mille des espèces ayant existé depuis les origines.
Ces organismes ne sont souvent connus que par séquençage génomique. Les virus sont aux limites du vivant et les chercheurs ne savent que faire des virus géants plus gros que certaines bactéries. D'ailleurs, 8 % du génome humain est d'origine virale dans des fonctions majeures de l'organisme. Les frontières entre espèces et sous espèces sont très fluctuantes et tous les eucaryotes sont en symbiose avec d'autres espèces. Les humains ont autant de cellules eucaryotes que de cellules « étrangères » appelées le microbiome : nous sommes des holobiontes.
La vie, est-ce le génome ? Si l'on considère qu'on ne sait pas à quoi sert la majorité des gènes présents dans le génome, que les différences de taille génomique ne sont pas corrélées à la complexité de l'organisme, si l'on sait que l'expression génomique dépend de ses ARN régulateurs et de l'environnement, alors la vie n'est pas que le génome.
La vie est apparue de multiples fois sur terre et la sélection naturelle a mené à la biodiversité. Vitesse et fidélité d'exécution de la réplication ont nécessité catalyseurs et enzymes.
En laboratoire, les molécules sont soumises à une évolution dirigée par de multiples cycles de sélection, d'amplification et de mutation, mimant l'évolution darwinienne
à l'échelon moléculaire. Dans le milieu naturel, les molécules baignent dans des substrats protecteurs tels que les lits de boue, les argiles ou des agents stabilisateurs telle que la pyrite ou pierre à feu, molécules chargées positivement alors que les molécules du vivant sont presque toutes chargées négativement.
L'astrophysicien reprend la main pour aborder le chapitre des exoplanètes et de la possibilité du vivant ailleurs que sur terre. Il nous dit que l'astrobiologie n'est pour l'instant pas une science, mais une discipline. Le lecteur apprendra, gourmand, qu'il y a des milliards de litres d'alcool dans les nuages interstellaires, que même dans le froid extrême la réaction OH+O2 a lieu et l'eau apparaît sur les petits granules. Des molécules bien plus complexes se créent.
Des instruments sont actuellement en construction afin de détecter des biosignatures sur les exoplanètes.
Les chapitres suivants concernent la biologie de synthèse. Des recherches ont visé à produire des bactéries avec le minimum de bagage génétique possible. Les modifications génétiques ou OGM sont certes bien connus mais songeons que le plant de tabac peut produire de l'hémoglobine humaine. La transgénèse grâce au CRISPR-Cas9 est devenue facile et rapide. Des ARNs double brins, des ADN simple brin sont expérimentés. Des AXN, Acides Xénonucléiques sont créés et assemblés comme des légos et on en constate la viabilité ou les interactions ; on substitue des atomes d'oxygène avec du soufre dans des phosphatases. Des sucres et alcools sont substitués au ribose ou au désoxyribose. Les molécules phosphorées de l'ADP à l'AMP cyclique en passant par l'ATP sont aussi transformées. L'arsenic, de même famille chimique et de même dimension atomique, pourrait-il remplacer le phosphore dans les briques de la vie ? Et le silicium pourra-t-il remplacer les atomes de carbone ? Pourra-t-on élargir l'alphabet génétique ?
Bien entendu ces recherches qui confinent à des mythes doivent s'engager dans une démarche éthique et pratiquées dans des laboratoires sécurisés.
Dans une thématique proche et complémentaire « INFRAVIES Le vivant sans frontières » de Thomas HEAMS aux Editions Seuil Sciences ouvertes (2019) explore les définitions de la vie et montre dans de très nombreux exemples qu'entre le non-vivant et le vivant, on a un continuum et la possibilité d'évolutions multiples.
Je conseille la lecture de cet ouvrage très vivement.