Voeux de la FSVF : combattre le risque d'« archipélisation » vétérinaire
Mercredi 3 Janvier 2024 Vie de la profession 49487© Jacques Graf
Jean-Yves GAUCHOT
Président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France
La profession vétérinaire ne doit pas céder à l'archipélisation de la société*.
Nos sociétés sont traversées de tensions profondes qui ont fait dire à Jérôme Fourquet que la France est devenue un « archipel d'îles s'ignorant les unes les autres ». L'évolution des relations entre les êtres humains et les animaux est une illustration de
l'« archipélisation » de la société, qui se traduit par des approches binaires et des oppositions stériles entre pro et anti élevages, véganisme et amateurs de grillades au barbecue ou entre petits élevages et productions animales organisées.
La conférence qui s'est déroulée, le 14 décembre dernier, à l'Assemblée nationale sur le thème « L'avenir de l'élevage, au-delà des clivages », a illustré la nécessité de dépasser les approches simplistes sur des sujets forcément complexes tels que les transitions à organiser dans les domaines de l'agriculture, de l'élevage et de l'alimentation, qui impliquent de concilier enjeux économiques, environnementaux, sanitaires et éthiques à celui, de plus en plus prégnant, de souveraineté alimentaire.
Les vétérinaires ont toute leur place pour contribuer activement aux transformations profondes qui doivent être entreprises par nos sociétés au cours des prochaines décennies. Parce qu'il n'y aura pas d'agriculture ni de systèmes alimentaires durables sans élevage, parce que les vétérinaires s'appuient sur un socle scientifique solide basé sur les sciences du vivant mais aussi parce que, du fait de leurs contacts quotidiens avec les propriétaires d'animaux de compagnie et de leur rôle dans la surveillance et le contrôle sanitaire de la chaîne alimentaire, les vétérinaires peuvent devenir les médiateurs naturels entre le monde de la production agricole et agro-alimentaire et celui des consommateurs et de la société civile.
Cependant, quand on observe l'évolution de notre profession, on peut identifier un risque d'« archipélisation » des vétérinaires. Risque lié à la spécialisation des types d'exercice, à la fracture entre pratique en milieu rural et médecine des animaux de compagnie ou entre les vétérinaires de terrain et un cadre administratif marqué par le respect de normes et une approche sécuritaire...
C'est dans ce contexte qu'une publication récente de l'Académie vétérinaire de France** pose une question essentielle : « Les vétérinaires sont-ils préparés à affronter les défis écologiques du 21e siècle ? ».
Trois exemples peuvent illustrer les efforts à accomplir pour que les vétérinaires deviennent des acteurs majeurs des réponses à apporter aux défis écologiques du siècle.
D'abord, l'enseignement. La fin de l'année 2023 a été marquée par le reniement de l'Etat qui ne tient pas les engagements pris dans le cadre du plan de renforcement des écoles nationales vétérinaires. C'est un signe inquiétant qui peut remettre en cause l'accréditation par l'AEEEV*** du fait de la dégradation du rapport enseignants/enseignés. Il semble indispensable de poursuivre le recrutement d'enseignants-chercheurs et de renforcer l'attractivité de ce métier indispensable pour préparer l'avenir.
Le séminaire syndical qui sera organisé sur le thème« Un enseignement vétérinaire pour une vision partagée de la profession de demain » permettra de partager les réflexions de l'ensemble des acteurs, dans le cadre de l'agenda de la révision du référentiel d'activités et de compétences et en faisant le bilan des 63 recommandations du séminaire de 2019.
Ensuite, la reconnaissance du rôle des vétérinaires pour la mise en oeuvre des objectifs de santé publique dans une approche One Health. Le moment est venu d'associer les vétérinaires aux professions de santé pour mieux répondre aux enjeux de santé environnementale au plus proche des territoires. La participation des vétérinaires aux Contrats locaux de santé (CLS) et aux Communautés professionnelles territoriales de santé (CTPS) « Une seule santé » devrait se développer sur l'ensemble du territoire national. Sur un autre registre, un travail sur la mise en place d'un revenu sur objectif de santé publique vétérinaire (ROSPV) permettrait d'éviter la poursuite d'une désertification vétérinaire dans les zones les moins attractives car, s'il n'y a pas d'agriculture durable sans élevage, il n'y a pas non plus d'élevage durable sans vétérinaires !
Enfin, la question de la place des vétérinaires dans la nécessaire transition agro-écologique de l'élevage, au service de systèmes agricoles et alimentaires permettant l'accès de tous à une alimentation saine et durable, sera un sujet majeur des prochaines années. Un séminaire sur ce thème sera organisé fin 2024.
Il est frappant de découvrir le rôle joué par un de nos plus éminents confrères à la fin de 18e siècle, François-Hilaire Gilbert, directeur-adjoint de l'école royale vétérinaire d'Alfort, pour assurer le lien entre agriculture et élevage****. Celui qui a travaillé à l'introduction de la race mérinos à la bergerie de Rambouillet, auteur du Traité sur les prairies artificielles, peut être considéré comme un précurseur des travaux sur les systèmes alimentaires durables.
Aux vétérinaires d'aujourd'hui de contribuer à la démarche « Une seule santé, une seule planète » en participant à la poursuite de cet objectif ! ■
* Jérôme Fourquet - L'archipel français - 2019.
** Serge-Georges et Agnès Rosolen - Les vétérinaires investissent le champ de l'économie rurale sous le directoire (1795-1799) - Les expériences de François-Hilaire Gilbert à Sceaux - Bull.Acad.Vét.France, 2023.
*** AEEEV : Association des établissements européens d'enseignement vétérinaire.
**** « Celui qui a appris à adapter exactement la semence à la terre, et la nourriture au bétail, celui-là a atteint le sommet de la science de la culture » - extrait du mémoire sur les prairies de F-H Gilbert.