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Vision croisée des douleurs arthrosiques chez l'Homme et l'animal

Le symposium était organisé à l'occasion de la Journée mondiale contre la douleur.

© D.R.

Maud LAFON

Symposium

Si, chez l'Homme, les AINS restent la pierre angulaire du traitement de l'arthrose, les animaux de compagnie ont, pour une fois, davantage d'options de traitement de la douleur articulaire, un grand pas ayant été franchi avec l'arrivée des anticorps monoclonaux. L'évaluation de la douleur, empreinte de subjectivité, est un frein partagé dans les deux médecines. De nouveaux outils, notamment numériques, sont en cours de développement pour s'en affranchir. Un symposium co-organisé par CAPdouleur et l'Institut Analgésia a fait le point sur l'actualité de la prise en charge arthrosique, le 13 octobre, à Lyon.

Les actualités et perspectives dans la prise en charge de la douleur arthrosique ont fait l'objet d'un symposium à l'interface entre la santé animale et la santé humaine, organisé par la Fondation Analgésia et CAPdouleur, avec le soutien du laboratoire Dômes Pharma, le 13 octobre, à Lyon, à l'occasion de la Journée mondiale contre la douleur.

Cet événement marquait le point final d'un mécénat de 5 ans entre Dômes Pharma et Analgésia qui a donné lieu à l'attribution de quatre bourses de recherche.

Devant un public majoritairement vétérinaire, les intervenants ont balayé les différentes approches de prise en charge de l'arthrose dans l'espèce humaine et les espèces canine et féline en évoquant plusieurs thérapeutiques innovantes.

Le Pr Francis Berenbaum (service de rhumatologie, APHP-hôpital Saint-Antoine HUEP et Centre de recherche Saint-Antoine UPMC-Inserm) a détaillé la physiopathologie de la douleur arthrosique.

Le vieillissement de la population et le surpoids sont les deux grands facteurs de risque de l'arthrose humaine qui est devenue « un véritable problème de santé publique » avec une explosion des cas dans le monde ces trente dernières années. « Une personne sur deux aura une arthrose du genou ou de la hanche au cours de sa vie et, parmi cette population, environ 10 % auront une prothèse totale de genou ou de hanche » , a-t-il insisté.

Influence de la stérilisation

« On a les mêmes chiffres chez l'animal : 15 à 20 % de la population totale de chiens ou de chats sont atteints d'arthrose dont 70 % des chiens de plus de 9 ans et des chats de plus de 11 ans. Les facteurs de risque que sont l'âge et le poids sont partagés avec un facteur supplémentaire chez le chien, qui est la taille de l'animal » , a constaté notre confrère Eric Troncy, directeur du Groupe de recherche en pharmacologie animale du Québec (Grepaq) à la faculté de médecine vétérinaire de l'université de Montréal.

On retrouve également chez l'animal une influence de la stérilisation, les hormones sexuelles (oestrogènes) diminuant la sensibilité à la douleur et le surpoids étant un effet secondaire classique de cette intervention chirurgicale. La génétique est aussi impliquée (défauts conformationnels chez certaines races notamment), dans une dimension encore mal appréhendée.

Notre confrère a invité à opérer une distinction entre les arthroses canine et féline qui « se ressemblent mais ne sont pas pareilles » avec, également, une difficulté d'évaluation de la douleur majorée chez le chat.

Autre élément peu intégré par le monde médical : l'arthrose ne se résume pas à la douleur ou perte de fonction mais est problématique aussi par les conséquences de ces deux phénomènes qui concourent à acquérir une vie sédentaire avec, à la clé, un risque doublé de mortalité par maladie cardiovasculaire chez l'Homme.

Déficit social

La douleur a, par ailleurs, des répercussions sur la fonction mais aussi sur le bien-être social et psychologique.

Chez les animaux comme chez l'Homme, elle engendre un déficit social, avec des animaux, surtout les chats, qui ont tendance à s'isoler.

Les composantes fonctionnelles, sociales et cognitives de la douleur sont donc présentes chez les animaux comme chez l'humain.

Depuis 2019, l'arthrose est ainsi considérée par l'Organisation mondiale de la santé comme une maladie grave en médecine humaine.

Un challenge partagé par les deux médecines concerne l'évaluation clinique des patients. « La douleur est toujours une expérience personnelle et fait intervenir des phénomènes différents : douleur nociceptive, neuropathique ou neuroplastique » , a précisé la rhumatologue Anne-Priscille Trouvin.

« Il faut convaincre les propriétaires que l'arthrose n'est pas qu'une maladie du vieil animal et qu'il importe de la prendre en charge plus tôt » , a insisté Eric Troncy.

Combattre l'attitude passive

Ainsi, une étude sur l'arthrose précoce conduite par le Grepaq chez 123 chiens a révélé que 40 % des chiens de 8 mois à 4 ans ont de l'arthrose radiographique mais seulement 27 %, de l'arthrose clinique. Une défaillance réelle n'est mise en évidence que chez la moitié de ces chiens, soit 15 sur les 29 et seulement 2 d'entre eux sont traités.

Face à l'arthrose animale, combattre l'attitude passive des propriétaires est selon lui une nécessité.

Dans l'optique d'étudier des modèles qui expriment naturellement la maladie et la douleur, le Grepaq a recruté une colonie de chats et chiens arthrosiques et les évalue avec des tests sensoriels quantitatifs. « L'objectif est de développer des outils qu'on puisse valider ensuite en utilisation clinique » , a précisé notre confrère.

Des travaux sont également menés sur l'évaluation cognitive (plus chez le chien que chez le chat) et l'activité électro-nerveuse  via l'imagerie. « L'arthrose n'est pas une maladie articulaire mais une maladie nerveuse » , a insisté l'intervenant.

« La sensibilité est une sensibilisation périphérique au départ avec l'inflammation puis devient une sensibilisation centrale avec deux formes d'expression : hyperalgésie (la réponse à un stimulus douloureux est plus forte que ce qu'elle devrait être normalement) et allodynie (perception d'un signal douloureux quand la stimulation n'est pas nociceptive). 30 % de notre échantillon félin était allodynique : refus de contact, irritabilité, changements sociaux » , a expliqué Eric Troncy.

Plus de sensibilité

Cette sensibilisation centrale est non répondante à la majorité des AINS mais répond au tramadol et à la gabapentine.

Par conséquent, les chats arthrosiques sont plus sensibles que les chats normaux et de même chez les chiens arthrosiques qui, avec le temps, développent de plus en plus de sensibilité.

Chez l'animal, un grand panel d'atteintes structurelles est possible sans que le niveau d'atteinte initial ne soit prédictif du pronostic. Des facteurs prédictifs radiographiques existent et l'équipe de notre confrère travaille sur une méthode pronostique de ce type.

Contrairement à une idée reçue, la douleur arthrosique n'évolue pas en montagnes russes mais en continu.

Le décalage entre les médecines humaine et vétérinaire en termes de traitement de la douleur a été souligné par les intervenants. Alors qu'en humaine, ces traitements sont limités quasiment aux AINS et aux infiltrations de corticoïde, en médecine vétérinaire, le panel s'est considérablement élargi avec notamment l'arrivée des anticorps monoclonaux.

A noter également qu'en médecine vétérinaire, l'intérêt de l'infiltration intra-articulaire de corticoïdes est limité par le fait que l'arthrose ne concerne que rarement une seule articulation mais est localisée à plusieurs endroits.

Les stratégies thérapeutiques de l'arthrose sont par ailleurs généralement multimodales chez l'Homme et l'animal.

Chez l'Homme, les AINS sont numéro 1 dans le traitement de l'arthrose. En France, les topiques sont peu utilisés, les AINS s'administrant donc surtout par voie orale. Les recommandations des agences de santé sont de les utiliser à la plus faible dose possible efficace pour la durée la plus courte possible.

Arsenal thérapeutique étoffé

En médecine vétérinaire, les durées d'utilisation de ces médicaments sont plus longues.

D'autres molécules sont utilisées dans les centres de la douleur comme la duloxétine, un antidépresseur inhibiteur de recapture de la noradrénaline, hors AMM. Les opiacés comme le tramadol sont peu utilisés mais certaines thérapeutiques non médicamenteuses ou les topiques des douleurs neuropathiques sont jugées intéressantes : Qutenza ND hors AMM, avec des essais en cours en topique et en intra-articulaire.

Les vétérinaires ont la chance d'avoir un arsenal thérapeutique bien plus étoffé avec notamment une quinzaine de coxibs, dont certains à longue action. « Le gros problème des traitements porte sur la compliance des propriétaires (évaluée inférieure à 25 %) qui se découragent au vu des effets secondaires » , a souligné Eric Troncy.

Les anticorps monoclonaux s'en affranchissent et sont plébiscités par les vétérinaires, comme l'a constaté l'intervenant : 75 % d'entre eux prescrivent Solensia ND.

Les vétérinaires utilisent également des antidépresseurs (clomépramine, valinfaxine).

Ces nouvelles molécules ne doivent pas évincer les autres traitements de l'arthrose : exercice, acupuncture, alimentation...

« Le tissu adipeux contenant des adipokines, cytokines pro-inflammatoires, est un organe endocrine capable de contribuer à l'inflammation chronique avec un impact sur la prévalence de l'arthrose » , a rappelé notre confrère nutritionniste Marco Fantinati. Il a appelé à fixer des objectifs limités en termes de perte de poids (0,5 à 2 % du poids actuel par semaine) pour éviter des effets délétères (lipidose hépatique chez le chat, perte de la masse maigre).

Ne pas oublier la chirurgie

La chirurgie en fait également partie. Notre confrère Thibaut Cachon, chirurgien, a regretté qu'il n'y ait pas de rhumatologue vétérinaire et précisé qu'une grande partie des maladies arthrosique chez le chien étaient gérées par les chirurgiens. Il a recommandé de toujours rechercher une cause sous-jacente, l'arthrose étant souvent secondaire à une affection orthopédique.

L'intérêt du traitement hygiénique, qui reste le socle de la prise en charge arthrosique, a été souligné par les médecins et les vétérinaires.

« Le premier traitement de l'arthrose humaine est non pharmacologique : c'est l'activité physique, avec des sports non portés (natation hormis la brasse, vélo...). A partir de 6 000 pas par jour, les personnes auront moins mal » , a insisté le Pr Birenbaum.

« Avec le foisonnement de moyens à notre disposition face à l'arthrose, les vétérinaires sont un peu perdus par rapport à la hiérarchisation de toutes ces thérapeutiques » , a constaté Thierry Poitte en recommandant de ne pas se jeter d'emblée sur les dernières molécules mais en s'appuyant sur la médecine factuelle et en revendiquant son expérience clinique. Plusieurs critères sont à prendre en compte : balance bénéfice/risque, faisabilité et coût acceptable pour le propriétaire...

Parmi les dernières options thérapeutiques disponibles en médecine humaine et vétérinaire, le cannabis thérapeutique ne fait pas consensus.

« En France, le terme complique son utilisation et nous avons peu progressé depuis 20 ans dans ce domaine » , a expliqué le psychiatre Nicolas Authier, de l'Institut Analgésia.

Qualité du cannabis utilisé

Plusieurs médicaments sont cependant déjà commercialisés chez l'Homme (Epidyolex ND, Sativex ND, Nabilone ND). « Le cannabis fonctionne dans tel domaine ne veut rien dire. L'efficacité dépend du patient, de la douleur, du cannabis utilisé... Il est donc très difficile d'analyser la littérature scientifique dans ce domaine » , a précisé le médecin.

Il a estimé que 15 à 20 % de patients consommeraient du cannabis pour soulager leurs souffrances ostéo-articulaire. Comme chez l'animal, la voie orale est très mauvaise chez l'Homme (10 à 12 % du CBD est absorbé per os ) et la voie transmucosale est préférable.

« Avec le CBD, il faut tempérer les attentes et apporter de la mesure, sans se tromper d'objectif, en portant une grande attention à la qualité du cannabis utilisé », a insisté Thierry Poitte.

Les propriétés anxiolytiques (intérêt dans la dermatite atopique) et myorelaxantes (intérêt dans le syndrome d'hyperesthésie féline, l'ataxie cérébelleuse, les myoclonies suite à la syringomyélie...) sont avérées.

Il a insisté sur le fait que le CBD ne se préconisait jamais en monothérapie mais était intéressant en adjuvant.

Les perspectives médicamenteuses face à l'arthrose sont nombreuses et variées. Les intervenants sont revenus sur les anticorps monoclonaux, les cellules souches mésenchymateuses ou le PRP, options que « les médecins envient aux vétérinaires » .

Vigilance sur les approches complémentaires

Caroline Mandet, médecin de la douleur au CHU de Grenoble, a appelé à rester vigilant dans les « approches complémentaires », même si certaines étaient intéressantes (hypnose, EMDR, méditation, acupuncture...).

La prise en charge dans les centres de la douleur est d'ailleurs bio-psycho-sociale, centrée sur le patient avec un suivi motivationnel. L'éducation thérapeutique est importante chez l'Homme comme chez l'animal.

La santé connectée apporte une ouverture bienvenue car elle s'intéresse à toutes les douleurs chroniques, a précisé Alice Corteval, pharmacienne et directrice opérationnelle de l'Institut Analgésia.

Elle permet de recueillir des données (sommeil, confort corporel, qualité de vie...) au plus près du patient et est également intéressante pour faciliter l'accès à certaines approches complémentaires, bonnes candidates à la digitalisation (méditation, yoga...).

L'Institut Analgésia a lancé dans ce cadre, en 2017, le projet Idol, une application patients proposée en centres de la douleur, et le fait régulièrement évoluer.

Il combine suivi clinique et thérapeutique en centre de la douleur et un suivi en vie réelle : remontée des données par les patients et suivi épidémiologique et médico-économique via les données de la Sécurité sociale sur les patients inscrits dans l'étude. Plus de 1 800 patients sont inclus.

Antécédents psychiatriques

Les premiers résultats montrent qu'en moyenne, les patients ont 47 ans et souffrent depuis 5 ans. Plus de la moitié a des antécédents psychiatriques (syndromes anxio-dépressifs), un sur deux a des antécédents addictologiques (tabac) et, dans un cas sur deux, une douleur permanente. Huit fois sur dix, ce sont des femmes.

En ce qui concerne les traitements utilisés, un patient sur deux reçoit des antidépresseurs, un sur deux du paracétamol, 35 % des AINS, 40 % des opioïdes, 26 % des anti-épileptiques (gabapentine à visée anti-neuropathique). Plus d'un sur deux est victime de kinésiophobie (peur du mouvement).

Notre consoeur Alice Ravigneau, chef de produit chez MSD Santé animale, a présenté une modalité équivalente développée par son laboratoire : le traqueur d'activité Animo ND.

Une étude est en cours avec CAPdouleur pour recueillir des données chez 30 chiens arthrosiques et évaluer l'intérêt d'un tel traqueur dans le suivi des chiens et de leur bien-être en corrélant les résultats à ceux fournis par les grilles CSOM d'évaluation de la douleur.

« Les outils de monitoring et la santé connectée donnent accès au côté individualisé et au suivi continu des patients » , a insisté notre consoeur.

Tenir un raisonnement clinique

« Face aux douleurs chroniques comme celles induites par l'arthrose, il importe de tenir un raisonnement clinique en cherchant et analysant les mécanismes de la douleur et en adaptant le traitement à chaque animal en fonction de ses facteurs de risque. Il n'y a pas une mais des arthroses comme il n'y a pas une mais des douleurs » , a résumé Thierry Poitte.

Par conséquent, « il n'est pas possible de produire des lignes directrices du traitement de l'arthrose, les projets thérapeutiques étant nécessairement individualisés » , a-t-il conclu en insistant également sur la nécessaire alliance thérapeutique avec le propriétaire.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1697

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