Violences sur les animaux et les humains : un révélateur à double sens
Vie de la profession 46976Le colloque était co-parrainé par notre confrère sénateur Arnaud Bazin (à droite) et le député européen François-Xavier Bellamy.
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Maud LAFON
Société
Interlocuteur incontournable face à la maltraitance animale, le vétérinaire est un maillon du signalement qui mériterait d'être intégré à la chaîne de réaction face aux violences domestiques qui s'exercent envers les personnes vulnérables et/ou les animaux du foyer. Les deux formes de violence sont en effet intimement liées et prédictives l'une de l'autre. Ce lien a été exploré lors d'un colloque* intitulé « Une seule violence » , le 17 mars, à Paris, qui a prôné une approche pluridisciplinaire et concertée dans ce domaine aux enjeux transversaux.
Analyser et se servir de la corrélation entre les violences exercées sur les personnes vulnérables et celles qui portent sur les animaux dans le cadre de la sphère domestique a fait l'objet d'un colloque pluridisciplinaire organisé*, le 17 mars, à Paris, par le sénateur vétérinaire Arnaud Bazin et co-parrainé par le député européen François-Xavier Bellamy.
Notre confrère est notamment l'auteur de deux amendements déposés, le 5 octobre 2022, dans le cadre du projet de loi Orientation et programmation du ministère de l'Intérieur. Le premier vise à élargir les conditions de déclenchement des ordonnances de protection des victimes de violences intrafamiliales en incluant un indicateur supplémentaire révélateur d'un contexte de violence au sein du foyer, en l'occurrence les violences sur les animaux de compagnie du foyer.
Le second porte sur l'extension des compétences du juge au sort de l'animal de compagnie du foyer pour qu'il puisse se prononcer sur l'attribution de la garde de l'animal indépendamment de la propriété et ce, afin que les victimes ne se sentent pas contraintes de rester en raison de menaces ou de violences pouvant s'exercer à l'encontre de leur animal. « Notre droit français comporte une faille et n'autorise pas la mise en place de mesures préventives et curatives adaptées aux victimes humaines et animales », a-t-il insisté. « Les violences sur les animaux sont pourtant porteuses d'informations et prédictives d'une violence plus globale » .
Moyen de pression et de chantage
Même si ces amendements ont été rejetés, ils ne sont pas pour autant enterrés et seront de nouveau au programme lors de l'examen de la loi de justice attendue dans quelques mois.
« Victimes, les animaux du foyer sont également un moyen de pression et de chantage pour l'auteur des violences qui peut menacer de représailles sur l'animal et renforcer ainsi son emprise et son harcèlement sur la victime », explique notre confrère. C'est ce constat qui l'a conduit à organiser ce colloque transversal auquel a pris part une vingtaine d'intervenants, professionnels de la santé animale et humaine, juristes, sociologues, anthropologues, représentants des forces de l'ordre, des associations de protection animale, du système scolaire, etc.
Dans une logique One health revendiquée, il s'agissait de « faire dialoguer des acteurs et des savoirs trop longtemps restés séparés », a annoncé Sonia Desmoulin, chercheuse au CNRS.
Tous les intervenants ont regretté que la violence envers les animaux soit trop souvent « laissée de côté » et surtout déconnectée de celle exercée envers des humains alors que le lien est prouvé entre les deux et pourrait servir de révélateur, à double sens.
La littérature abonde de références en ce sens et conforte l'importance d'explorer la chaîne des violences au lieu de l'aborder de façon isolée.
Sécurité des professionnels
Plusieurs témoignages poignants d'horizons variés, dont celui d'une vétérinaire, Stéphanie Coupel, confrontée à l'examen d'un chien utilisé dans le cadre de pratiques zoophiles forcées, ont conforté l'existence de ce lien entre violences et son importance dans la détection et la prise en charge.
« Si vous utilisez les vétérinaires comme vigies, n'oubliez pas que nous sommes des êtres sensibles et que nous avons besoin d'être soutenus dans notre travail », a souligné notre consoeur particulièrement éprouvée par cet épisode.
« Les associations vétérinaires de formation continue pourraient avoir un rôle à jouer pour que les praticiens soient formés à cette question et ne se trouvent pas démunis quand ils y sont confrontés » , a proposé Arnaud Bazin.
La sécurité des professionnels qui divulguent ce genre d'informations est aussi « un vrai sujet » pour le président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires, notre confrère Jacques Guérin.
La crainte du comportement du propriétaire et d'éventuelles représailles est d'ailleurs un frein au signalement, comme l'a montré une récente étude belge.
La formation et la sensibilisation de tous les acteurs sont un pilier dans cette gestion des violences, d'autant que « la culture spéciste qui est la nôtre trace des frontières entre l'animal et l'humain », comme l'a indiqué le professeur de psychologue sociale Laurent Bègue-Shankland, et donne à penser que l'animal a moins de valeur que l'Homme et donc que les violences à son égard sont moins graves.
Sensibilité particulière des enfants
Les violences conjugales et infantiles ont été particulièrement mises en avant. Chez les enfants, la violence peut s'intégrer de deux façons et concourt à augmenter la probabilité de son propre passage à l'acte : par imitation ou par identification avec l'agresseur.
Or « 62 à 76 % des occurrences de cruauté envers un animal domestique se déroulent à la maison en présence d'enfants », a mentionné le Pr Philip Jaffré, spécialiste en psychologie clinique, ajoutant que « les enfants exposés à la violence domestique sont 3 à 6 fois plus à risque de faire preuve de cruauté envers des animaux » . Il s'agit donc bien de casser une chaîne de violences au pluriel.
Shelly Masi, primatologue, et Marylène Patou-Mathis, historienne, ont exploré les origines naturelles de la violence et rappelé que ce terme était peu employé en éthologie et « qu'on ne parle pas de violence dans le monde animal puisque l'agression appartient au répertoire comportemental naturel de l'espèce pour protéger un territoire, une ressource alimentaire ou un partenaire ».
Les comportements violents chez les animaux surviennent en cas de déviation du comportement habituel de l'espèce et sont très isolés, induits notamment par des changements environnementaux d'origine naturelle ou anthropique qui limitent l'accès aux ressources ou augmentent les rencontres avec des humains ou d'autres animaux. La violence sexuelle est par contre assez présente chez certaines espèces, de grands singes notamment (90 % des orangs outangs sont agressifs lors des accouplements).
Repérer les signes comportementaux
Point clé dans la gestion des violences, sa détection n'est pas toujours aisée, notamment chez les animaux. Notre consoeur Dominique Autier-Dérian, comportementaliste et éthologue, a précisé les signes évocateurs de maltraitance chez l'animal qui sont repris dans un guide de détection de la maltraitance mis à disposition des vétérinaires par l'Association contre la maltraitance animale et humaine (Amah : www.amah-asso.org).
L'intervenante a rappelé les cinq types de maltraitance - négligences, le cas le plus fréquent, abus physiques, abus sexuels, maltraitance émotionnelle, syndrome de Münchhausen par procuration (le maltraitant blesse mais conduit fréquemment son animal chez le vétérinaire) - en précisant que la maltraitance est souvent mixte.
« Il importe de prendre en compte le profil et le comportement du détenteur qui comporte souvent des incohérences : plutôt multipossesseur et jeune, change fréquemment de vétérinaire, montre peu d'intérêt pour son animal ou, à l'inverse, trop, refuse de donner son adresse... », a précisé notre consoeur. Chez l'animal, les signes révélateurs sont frustes et variables selon les individus : comportement inhabituel principalement. Ces symptômes sont d'ailleurs très similaires chez l'enfant (insomnie, agressivité, malpropreté...), comme l'a constaté le Dr Jean-Marc Ben Kemoun, pédopsychiatre, qui souhaiterait la création d'un guichet unique pour simplifier le signalement des violences intrafamiliale et sur animal domestique.
Concernant l'examen post mortem d'un animal, notre consoeur a rappelé que les deux premières sessions de formation à la médecine légale vétérinaire avaient démarré à VetAgro Sup.
Déclarer à la DDPP ou au procureur
La loi contre la maltraitance animale du 30 novembre 2021 permet au vétérinaire de « déclarer des manquements à la réglementation sanitaire pouvant présenter un danger grave pour les animaux ou les personnes » à la DDPP** mais aussi, désormais, au procureur.
« Il faut signaler les cas à la DDPP qui est une instance compétente et un maillon essentiel pour mettre en alerte notamment les services sociaux », a insisté notre consoeur Emilie Couquerque, inspectrice en santé publique vétérinaire, de la DDPP 59.
Le vétérinaire ne sera, par contre, pas tenu informé des suites de l'enquête.
Le cadre actuel ne permet pas la levée du secret professionnel envers d'autres interlocuteurs, y compris des confrères.
L'Amah a produit et diffuse un formulaire de signalement, l'écrit devant être circonstancié et étayé d'éléments factuels. « Le parcours du signalement ne doit pas être le parcours du combattant », a insisté notre consoeur Anne-Claire Gagnon, présidente fondatrice de l'Amah.
En ce qui concerne le volet répressif, la loi du 30 novembre a eu des effets positifs en renforçant les peines infligées aux auteurs de violence et en facilitant la levée du secret professionnel pour les vétérinaires.
Les magistrats présents au colloque ont insisté sur cette question de la révélation des violences et l'intérêt de développer une action plurielle.
Cas particuliers des « petites violences »
Envers l'animal, la problématique vient surtout des « petites violences » pour lesquelles il faut des actions alternatives, pédagogiques, comme, par exemple, le développement de stages de sensibilisation.
Une autre vraie difficulté vient des possibilités d'accueil pour les animaux saisis qui relèvent des disponibilités et des moyens financiers souvent limités des associations de protection animale. Pour le procureur général Franck Rastoul, il importerait de « mettre ce coût à la charge de l'auteur de l'infraction ». Il a par ailleurs appelé à la mise en place d'assistants spécialisés dans les parquets pour aider les magistrats dans la lutte contre la maltraitance animale, « un sujet technique qui embrasse un large champ d'infractions ».
Une autre évolution, en apparence mineure mais qui faciliterait beaucoup la lutte contre la maltraitance animale, serait de « faire passer un certain nombre de contraventions de la 4e à la 5e classe », comme l'a proposé le procureur de la République Christophe Amunzateguy. Ce changement de classe permettrait leur inscription au casier judiciaire de l'auteur, des sanctions financières plus fortes, des travaux d'intérêt général et l'interdiction de détention d'animaux.
Signaler et pas dénoncer
De même, la notion de « retrait » pourrait se substituer à celle de « confiscation » et s'appliquer dès lors à un détenteur pas forcément propriétaire, comme l'a proposé Jacques Leroy, agrégé des facultés de droit et vice-président de l'Amah. Dans ce domaine, la sémantique a son importance et le « signalement » est également préférable à la « dénonciation » de maltraitance.
La loi du 30 novembre 2021 a aussi mis l'accent sur les mineurs auteurs ou exposés aux violences envers les animaux en imposant notamment leur évaluation automatique.
« Nous sommes tout juste en train de passer de la culture de la violence conjugale à celle de la violence intrafamiliale et il faudra encore du temps pour franchir une étape supplémentaire et y intégrer la violence animale », a constaté le juge Clément Bergère-Mestrinaro.
Les intervenants ont rappelé que tout citoyen (y compris le vétérinaire) avait obligation de signaler la présence d'un enfant en danger à la cellule de recueil d'informations préoccupantes (CRIP, dont les coordonnés sont sur le site de l'Amah) via , par exemple, un appel téléphonique au 119 qui protège la source.
La formation des forces de l'ordre à la gestion de la maltraitance animale est un autre sujet important et un progrès récent a été enregistré dans ce domaine avec la formation par les vétérinaires de futurs gardiens de la paix dès le mois de juin, grâce au travail, de l'association Les4pattounes qui a créé un module spécifique.
Approche globale
« Ce colloque n'est pas une fin en soi mais une première étape pour construire une approche globale des violences associées à une politique éducative, civile et pénale ad hoc », a conclu Arnaud Bazin.
Les recommandations émises lors du colloque serviront à la rédaction du nouveau Code bruxellois du bien-être animal, a assuré le ministre bruxellois du bien-être animal, Bernard Clerfayt. De même, des déclinaisons de cette journée dans d'autres régions françaises sont à l'étude.
« L'idée d'Une seule violence n'est pas encore réellement présente dans le débat européen mais la question de la responsabilité à l'égard de l'animal est de plus en plus prégnante », a constaté François-Xavier Bellamy. La directive sur le bien-être animal doit ainsi être révisée en septembre.
La faune sauvage libre est par ailleurs une grande absente du débat sur la maltraitance.
« Face aux maltraitances, chaque professionnel doit connaître la procédure du signalement et le bon interlocuteur », a insisté Anne-Claire Gagnon. Il importe aussi de « former et sensibiliser tous les professionnels, en formation initiale et continue, au concept du lien entre violences, au repérage de la maltraitance et aux procédures à suivre », a ajouté Jean-Paul Richier, psychiatre, en conclusion de la journée. ■
Encore plus d'infos !
La rediffusion du colloque sera disponible prochainement sur le site https://1seuleviolence.sciencesconf.org.
* Animé par Sonia Desmoulin (CR CNRS, UMR 6297, DCS) et Julien Kouchner (président du groupe 1Health) avec pour partenaires le Sénat, le Parlement européen, le laboratoire Droit et changement social, 1Health, les étudiants en bachelor communication 360, le Centre national de recherche scientifique, Nantes université et la faculté de droit et sciences politiques de Nantes.
** DDPP : Direction départementale de la protection des populations.