Un cas de greffes cutanées de grande ampleur chez un chat
Mercredi 14 Décembre 2022 Animaux de compagnie 44791Aspect de l'antérieur gauche le jour de l'arrivée d'opium, le 12 mars 2020.
© Emilie Maurin
Émilie MAURIN
Traumatisme
Une gestion sur 18 mois impliquant une centaine d'interventions a permis de sauver un chat pris dans un piège et à priori condamné.
Opium est un chat de 3 ans qui a eu les quatre membres arrachés dans un piège et a été abandonné à la clinique dans un état critique.
Nous avons commis des erreurs mais n'avons rien lâché pour le sauver.
Aucune reconstruction de greffe de cette ampleur n'a été décrite (à notre connaissance), dans la littérature notamment pour des lésions s'étendant du carpe à l'épaule et du tiers du ventre au jarret.
Au départ, nous ne nous attendions pas à partir sur 18 mois de soins et une centaine d'interventions (qu'il s'agisse d'agrafes pour rapprochement, de greffes de peau, de lambeaux, de greffes à l'aide de greffons de porc et d'amputation d'un postérieur). Ce chat a été tellement gentil que cela nous a donné le courage de poursuivre.
Le premier jour, il subit une chirurgie de parage, rapprochement de peau et pose de drain.
Très vite, la peau qui était décollée s'est nécrosée.
Chirurgie de lambeaux
Ensuite, une grosse chirurgie de lambeaux de 4 heures a été réalisée. Nous pensions à tort que ce serait terminé mais tous les lambeaux se sont nécrosés et nous sommes repartis au point de départ.
Trois erreurs majeures ont été commises. Les lambeaux ont été fait trop tôt (par peur de laisser une absence de peau). Un gros parage et plus de temps d'antibiotiques auraient peut-être été préférables. Avec une infection, la greffe ne peut pas prendre. Il faut un beau tissu sain de granulation.
Une absence de peau est propice à l'infection... Il faut donc trouver le bon compromis.
La deuxième erreur concerne le sens des lambeaux posés dans le mauvais sens des lignes de tension. Il faut bien consulter les lignes de tension avant.
Ensuite, les membres ont été recouverts avec des bandages au colloïde au départ, puis du tulle gras et du Dermaflon ND puis à l'alginate de calcium que nous avons découvert ensuite. Il apporte une belle granulation et absorbe bien les sécrétions. Le colloïde fait beaucoup suinter et beaucoup moins granuler.
Cicatrisation par rétraction circulaire
La troisième erreur est que nous avons espéré une repousse de la peau avec le temps.
En effet, la cicatrisation se fait par rétraction circulaire de l'extérieur vers l'intérieur. Or, lorsque l'absence de peau est située tout autour du membre, il y a un phénomène de rétraction circulaire autour du membre qui tire la peau du carpe vers l'extrémité de la patte et la peau du coude vers l'épaule. Aucun millimètre n'a poussé vers la zone manquante en 6 mois.
En conclusion, sans greffe sur un membre sans peau sur toute sa circonférence, il n'y a pas de peau !
La situation était la même pour le postérieur. Nous avons tenté des lambeaux de translation mais la tension était très forte sur le ventre et la liaison cuisse-ventre.
Il est inutile d'espérer une guérison s'il y a de la tension. Cela lâche toujours, même si vous mettez des agrafes.
Nous avons manqué de peau entre une épaule à reconstruire et le ventre côté postérieur.
Nous allions euthanasier Opium après 3 mois de soins car nous nous enlisions sur la reconstruction du postérieur.
Amputation salvatrice
L'infection faisait reculer la peau et les lambeaux de translation ne donnaient rien. L'amputation s'est révélée comme salvatrice. Il a guéri de son amputation au bout de 6 semaines.
Pour l'antérieur, nous n'avions plus le choix : après l'amputation du postérieur, nous devions reprendre les greffes.
Le membre a été préparé avec des greffes de porc de chez Siclop. Elles n'ont pas permis la repousse miraculeuse en raison des tensions de rétractions décrites ci-dessus mais ont bien nourri.
Une première greffe de la taille d'un demi avant-bras a pris, puis une très grande de la base du cou jusqu'au carpe a réussi également. La partie la plus basse s'est nécrosée mais des greffons de porc ont permis une repousse naturelle de la peau avec une grande aide des pansements d'alginate de calcium et de Dermapliq ND.
La reconstruction de l'antérieur a pris 18 mois.
Il reste une fragilité et une tension juste au-dessus du carpe encore actuellement, là où la peau a poussé toute seule. Opium a gardé une collerette 6 mois après la reconstruction. De petits bandages de colloïde et Demapliq ND ont bien aidé et maintenant il vit sans collerette ni léchage.
Effet secondaire suspecté
A noter : contre le léchage, à part la reconstruction et la collerette, rien n'a fonctionné : gabapentine, cannabidiol, oclacitinib, cortisone, sulfapyridine...
Nous avons réussi à sauver Opium.
Une fois reconstruit, il ne remarchait pas correctement sur ses trois pattes (il marche le postérieur plié et s'assoie après quelques pas). La radio a révélé une dysplasie de sa seule hanche. Peut-être s'est-il blessé en essayant de se libérer du piège ?.
Il a reçu mensuellement une injection d'anticorps monoclonaux pendant 6 mois. Cela l'a beaucoup aidé au départ puis, au bout de 6 mois, son genou qui allait très bien s'est mis à grossir. Les études sur le frunévetmab ont été réalisées sur 3 mois et pas plus. Chez l'Homme, des lésions d'arthrite ont été décrites, d'où la non commercialisation. Nous suspectons un effet secondaire négatif du frunévetmab.
Plusieurs partenaires ont été présents tout au long de cette épreuve quotidienne et nous les remercions: Genia pour des bandages, Siclop pour les greffons de porc, TVM pour Dermapliq ND et Zoetis pour Solensia ND.
Opium a été adopté par une vétérinaire de la clinique. Il est très heureux malgré son handicap locomoteur.
Il nous a permis de comprendre une chose : ne perdez jamais espoir et une vie mérite d'être sauvée. ■
Cet article est en ligne sur le site www.vetofocus.com.