Tests allergologiques et désensibilisation : la conduite à tenir chez le chien et le chat
Mercredi 15 Mars 2023 Animaux de compagnie 46649Sébastien VIAUD Diplomate ECVD Chef du service de dermatologie CHV Anicura-Aquivet (33320 Eysines)
© Sébastien Viaud
Corinne DESCOURS-RENVIER
Dermatologie
La désensibilisation est le seul traitement causal de la dermatite atopique chez le chien et le chat. Son efficacité dépend de la pertinence des allergènes sélectionnés et de la qualité du suivi par le vétérinaire. Elle consiste à administrer progressivement au patient des doses croissantes d'extraits allergéniques et s'inscrit dans une prise en charge globale du chien ou du chat, en complément des traitements symptomatiques. L'utilisation de tests sérologiques est une option séduisante. Leur spécificité est bonne mais leur sensibilité, inférieure à celle des tests cutanés.
Notre confrère Sébastien Viaud (diplomate ECVD et chef du service de dermatologie CHV Anicura-Aquivet (Gironde)) a partagé son expérience en matière de tests allergologiques et de désensibilisation chez le chien et le chat lors de la conférence en ligne organisée par le laboratoire Destaing sur l'allergologie en pratique vétérinaire, le 17 novembre.
La dermatite atopique est une dermatose inflammatoire à prédisposition génétique. « La dermatite atopique canine (DAC) est souvent associée à la production d'immunoglobulines E (IgE) dirigées contre des allergènes de l'environnement », explique Sébastien Viaud. « Ces allergènes sont ainsi des facteurs extrinsèques pouvant jouer le rôle de déclencheurs de cette dermatose ».
Selon le conférencier, la DAC atteint probablement 10 à 15 % de la population mondiale canine. Il s'agit de la manifestation la plus répandue du syndrome atopique canin.
Tableau clinique beaucoup plus varié chez le chat
Comme chez l'Homme, l'incidence de la maladie est en croissance chez le chien. Sébastien Viaud explique cette augmentation par un mode de vie de plus en plus urbain des animaux de compagnie.
Le tableau clinique du syndrome atopique est beaucoup plus varié dans l'espèce féline que dans l'espèce canine, les chats étant susceptibles de présenter non seulement des signes cutanés et/ou digestifs mais aussi, plus fréquemment que le chien, des signes respiratoires (asthme notamment).
Les lésions plus spécifiquement liées au syndrome cutané atopique félin (SCAF) peuvent elles-mêmes prendre différentes formes : dermatite miliaire, alopécie extensive féline, prurit cervico-facial ou lésions du complexe granulome éosinophilique félin. « Au moins deux de ces patrons lésionnels sont associés chez 38 % des chats », remarque Sébastien Viaud.
Prise en charge multifactorielle nécessaire
La dermatite atopique affecte à la fois la qualité de vie de l'animal et celle de ses propriétaires.
Les difficultés de sa prise en charge s'expliquent par la complexité des interactions entre facteurs intrinsèques (prédispositions génétiques) et facteurs extrinsèques (environnement). Pour Sébastien Viaud, une approche thérapeutique efficace contre la DAC est donc nécessairement multifactorielle.
« Si l'éviction des allergènes est une étape logique du suivi d'un animal atopique, sa mise en oeuvre est loin d'être évidente en pratique », déplore le conférencier. Ainsi, il est impossible d'éviter que les chiens ne soient en contact
avec les pollens, même hors saison, puisqu'en l'absence de lessivage des sols, les pollens persistent à ce niveau et seraient donc toujours susceptibles d'être des éléments déclencheurs de la dermatose.
Autre exemple, la complexité des mesures visant à éliminer les acariens (aspirations, sprays acaricides...) est un frein à leur utilisation par les propriétaires. Leur efficacité est par ailleurs remise en cause chez l'Homme.
Des attentes réalistes pour éviter les déceptions
« La désensibilisation ou immunothérapie d'allergène (AIT), qui consiste à administrer progressivement au patient des doses croissantes d'extraits allergéniques, est pour l'instant la seule option thérapeutique qui cible les causes de la DAC », conclut notre confrère. « Son efficacité dépend toutefois du choix des allergènes en amont et de la qualité du suivi réalisé par le vétérinaire. Une AIT s'inscrit toujours dans une prise en charge globale du chien ou du chat, en complément notamment des traitements symptomatiques ».
Sébastien Viaud conseille de mettre en place une désensibilisation :
- lorsque les signes cliniques sont importants et/ou se manifestent plus de trois mois par an ;
- lorsque les traitements symptomatiques sont insuffisants pour contrôler la maladie, qu'ils ont des effets secondaires trop importants ou que leur coût est trop élevé (immunomodulateurs en particulier).
« Attention cependant à ne pas donner de faux espoirs aux propriétaires de l'animal », prévient Sébastien Viaud. « S'il est vrai qu'on observe parfois une rémission complète et durable grâce à l'AIT, une réduction d'au moins 50 % des signes cliniques ou de la consommation des traitements symptomatiques doit déjà être considérée comme un succès ».
Choisir les allergènes les plus pertinents
Le diagnostic de la DAC est clinique, après exclusion des autres dermatoses pouvant mimer une dermatite atopique.
Les tests allergologiques, et notamment les tests intradermiques (IDR), n'ont d'intérêt que pour déterminer d'éventuelles sensibilisations à des allergènes qui seront utilisés dans un protocole de désensibilisation.
Pour réaliser ces tests, Sébastien Viaud dispose part d'un panel de 36 extraits d'allergènes.
« Il existe toutefois dans le commerce des batteries très satisfaisantes qui contiennent 5 à 10 allergènes spécifiques de la zone d'activité du vétérinaire», explique notre confrère. « Si l'on veut quand même créer sa propre batterie, on peut demander conseil aux vétérinaires spécialisés en dermatologie ou aux allergologues de sa région1 ».
Éviter les erreurs d'interprétation
Il faut arrêter les traitements symptomatiques à base d'antihistaminiques au moins 8 jours avant la réalisation des tests cutanés, ceux à base de corticoïdes oraux, de dermocorticoïdes ou d'oclacitinib2, au moins 2 semaines et ceux à base de corticoïdes injectables retard, au moins 28 jours.
La prise de ciclosporine et les injections de lokivetmab ne sont pas des contre-indications à la réalisation de tests intradermiques.
Au cours du test, l'animal est placé en décubitus latéral. Sébastien Viaud a rarement recours à la sédation, sauf chez le chat (médétomidine 50 µg/kg en IV3 ).
La tonte est une phase délicate car il faut limiter les traumas cutanés qui pourraient interférer avec la lecture des résultats.
On injecte ensuite 0,05 ml de chaque allergène et des témoins (solvant et histamine), en espaçant les points d'injection de deux centimètres. Pour rester dans le derme, le conférencier conseille de placer le biseau de l'aiguille vers le haut.
Chez le chien, la lecture se fait au bout de 15 à 20 minutes, en lumière rasante.
Les réactions sont évaluées sur la base de la taille de la plaque ortiée [de + 1 (5 mm) à + 4 (20 mm)], de son épaisseur, de sa texture et du degré d'érythème.
La lecture de la réaction à l'extrait de puces se fait au bout de 48 heures. On recherche d'éventuelles lésions : épaississement de la peau, papules, croûtes...
Lecture des tests plus délicate chez le chat
Chez le chat, les réactions cutanées sont plus difficiles à évaluer que chez le chien car elles sont moins circonscrites et/ou moins érythémateuses. Il s'agit par ailleurs de réactions fugaces et/ou de plus faible intensité.
Sébastien Viaud conseille donc de guetter la moindre modification cutanée durant les tests dans cette espèce. Pour faciliter la lecture, le conférencier utilise systématiquement de la fluorescéine (Fluorescéine sodique Faure 10 % solution injectable ND, 5 mg/kg en IV).
Les tests sérologiques, une alternative ?
L'utilisation de tests sérologiques est une option séduisante car ils ne nécessitent pas de technicité particulière.
Le conférencier recommande de privilégier les tests Elisa basés sur l'utilisation d'un récepteur hautement spécifique d'IgE, Fc epsilon R1 alpha.
« La spécificité de ces tests est bonne mais leur sensibilité est inférieure à celle des tests cutanés », explique Sébastien Viaud. «Ils sont surtout intéressants chez les animaux dont les lésions sont sévères ou chez lesquels un traitement symptomatique interférant avec la réalisation de tests intradermiques ne peut pas être interrompu ».
Attention, certains médicaments (et notamment la ciclosporine et le lokivetmab administrés sur le long terme) pourraient influencer négativement les résultats des tests sérologiques.
Protocole pour une désensibilisation réussie
La sélection des allergènes à inclure dans le protocole AIT se fera en fonction du nombre et de la nature des allergènes identifiés au cours de l'étape précédente. Ne seront inclus que les allergènes effectivement présents dans l'environnement du chien ou du chat.
Le protocole classique de désensibilisation comporte une phase d'induction suivie d'une augmentation progressive du volume et de la concentration en allergènes.
Le volume et la fréquence des injections sont adaptés en fonction de chaque patient.
L'entretien se fait en général selon des cycles de
3 ou 4 semaines, en espaçant progressivement les injections en cas de rémission complète des symptômes. « Pour prévenir les risques d'abandon, le suivi est essentiel durant cette période», prévient Sébastien Viaud, qui souligne la sûreté du traitement.
Très subjectifs, les résultats de la désensibilisation sont difficiles à évaluer en pratique. On estime toutefois que l'amélioration est bonne, voire excellente, chez 50 à 80 % des chiens et des chats.
En pratique, il faut savoir être patient puisque notre confrère conseille d'évaluer le succès de la démarche au bout de 12 à 18 mois seulement4 ... ■
Pour en savoir plus
Treatment of canine atopic dermatitis : 2015 updated guidelines from the International Committee on Allergic Diseases of Animals (ICADA) : https://urlz.fr/kRIa
Conférence du laboratoire Destaing en ligne : https://urlz.fr/kRIh
1 Dans les Antilles, c'est le continent américain qui sert de référence et en Nouvelle-Calédonie, l'Australie.
2 Immunomodulateur.
3 Intraveineuse.
4 Minimum 9 mois.