Stérilisation : « Ne soyons pas dogmatiques »

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Reproduction

Notre confrère Alain Fontbonne, diplômé du Collège européen de reproduction animale, maître de conférences dans l'Unité de médecine de l'élevage et du sport de l'école vétérinaire d'Alfort, fait le point sur une opération de convenance de plus en plus débattue dans l'univers scientifique mais encore conseillée de façon quasi systématique et sans signaux d'alerte chez les vétérinaires : la stérilisation. Il refuse les positions tranchées sur cette intervention qu'on ne peut affirmer bonne ou mauvaise pour la santé. Il importe selon lui de ne pas être dogmatique dans ce domaine et d'être ouvert aux évolutions de techniques et de mentalités.

La Dépêche Vétérinaire : Que pensez-vous des publications qui se multiplient et remettent en cause la stérilisation classique par gonadectomie ?

Alain Fontbonne : La question est en effet de plus en plus débattue, en France et au niveau international, et on se rend compte que ce qui a été enseigné pendant des années n'est pas forcément exact.

Non, on ne peut plus dire en 2019 que la stérilisation, c'est toujours bon pour la santé des animaux. On ne peut pas non plus affirmer l'inverse.

D.V. : Que pensez-vous des méthodes classiques de stérilisation pour contrôler les populations de chats errants ?

A.F. : Certains éthologues se demandent s'il ne serait pas mieux de vasectomiser les chats mâles plutôt que de les castrer.

En effet, le mâle vasectomisé conserve son comportement sexuel, continue de protéger son harem contre les saillies intempestives d'autres mâles et les saillit lui-même mais sans portées à la clé, en induisant une ovulation suivie d'une pseudo-gestation.

Castrer les mâles serait sans effet sur la surpopulation, les mâles castrés étant remplacés par des mâles entiers et les naissances de chatons perdurant.

Malheureusement, les gens sont souvent attachés à leurs pratiques et ont du mal à les remettre en question.

Pour les populations de chats errants, la piste de la vasectomie me semble intéressante à étudier.

D.V. : Certains préconisent la stérilisation précoce (avant 3 mois) systématique des chatons en refuge. Qu'en pensez-vous ?

A.F. : Cette méthode a été développée aux Etats-Unis par les associations de protection animale pour que les animaux quittent tous les refuges stérilisés et a été reprise par les éleveurs canins et félins qui trouvent là le moyen de conserver leur génétique et d'éviter la concurrence.

Sur le plan médical, elle est remise en question par certains éthologues et suspectée de générer des affections et d'entraîner, chez le chat notamment, des troubles du développement et de la socialisation, potentiellement gênants pour l'adaptation des chatons à leur nouvel environnement.

Chez les chats de race, la stérilisation précoce, avant 3 mois, n'est pas forcément une méthode parfaite, d'autant qu'elle risque de diminuer la variabilité génétique dans les races à faible effectif (pool de géniteurs disponibles plus faible).

D.V. : Que pensez-vous de la stérilisation par d'autres méthodes que la gonadectomie ?

A.F. : Je ferais une distinction entre les populations félines et canines.

Chez le chat mâle, la vasectomie me semble une option potentiellement plus intéressante pour le contrôle des populations sous réserve que des études à venir le confirment.

Chez le chien mâle, la stérilisation par gonadectomie peut améliorer certains comportements gênants (marquage, chevauchement, fugue, tensions entre mâles...). Elle peut aussi ne rien changer dans environ 30 à 40 % des cas.

La vasectomie suffit pour annuler le risque de gestation, si le chien rencontre des femelles entières, et permet aux propriétaires de garder un animal inchangé sur le plan comportemental qui aura certes un risque d'affections de l'appareil génital (syndrome prostatique, tumeurs testiculaires) mais moins de risque de prise de poids et de maladies associées (diabète, complications cardio-vasculaires...). Elle est cependant peu prisée actuellement.

Chez la femelle, les méthodes alternatives (retrait de l'utérus +/- 1 ovaire, ligature des cornes utérines) sont une tendance marquée dans des pays d'Europe de l'Est. Je n'en ai personnellement pas l'expérience même s'il est possible que la persistance d'un reliquat ovarien dans l'abdomen accroisse le risque de cancérisation ovarienne et que les saillies sur chiennes hystérectomisées puissent occasionner certaines affections. De ce fait, je suis un peu sceptique à ce sujet.

Rappelons aussi que la gestation est possible avec un seul ovaire si l'utérus est laissé en place.

En revanche, une étude de David Waters, professeur d'épidémiologie américain, présentée au dernier congrès européen de reproduction, a montré que des femelles rottweilers qui gardaient leurs ovaires au moins 4 ans avaient une espérance de vie augmentée de 10 mois par rapport aux femelles stérilisées plus tôt.

Autrefois, on stérilisait les femelles pour réduire le risque de tumeurs mammaires et cet effet préventif, bien que non complètement démontré statistiquement, me semble, selon mon expérience, indéniable dès lors que l'intervention est effectuée avant les premières chaleurs.

Mais ce qui est sûr également, c'est que les chiennes sont de plus en plus médicalisées. Les tumeurs mammaires sont donc détectées tôt et il est possible de les guérir en effectuant une mastectomie dès qu'une tumeur mammaire - même petite - est diagnostiquée en consultation. Je vois aujourd'hui moins de chiennes que par le passé mourir de tumeurs mammaires.

Cet argument en faveur de la stérilisation pré-pubertaire, même s'il reste probablement scientifiquement valide, a donc moins de valeur dans la prise de décision grâce au dépistage précoce. De même pour le pyomètre qui, s'il est pris en charge tôt, se guérit. Attention, ceci est valable chez la chienne mais pas chez la chatte.

On ne peut donc pas généraliser et la consultation de pré-stérilisation me semble une étape indispensable et qui doit nécessiter un certain temps d'explication et de discussion avec son client pour évaluer les risques individuels et choisir la méthode la plus adaptée en fonction de l'animal et des attentes réelles de son propriétaire.

D.V. : Quelle est en résumé votre position sur la stérilisation ?

A.F. : La stérilisation chirurgicale doit devenir un acte raisonné et non plus systématique et il est très difficile aujourd'hui d'avoir un avis tranché sur la question. Ce qui est sûr, c'est que les pratiques actuelles peuvent être remises en question.

Plusieurs facteurs doivent être intégrés à la prise de décision et notamment la race, objet de plusieurs études actuellement. L'augmentation de l'incidence de certains cancers par la stérilisation par gonadectomie a été montrée : ostéosarcomes chez les grandes races (ce qui est peut-être lié à la prise de poids et à son impact délétère sur les articulations), lymphomes et mastocytome chez le golden retriever, carcinomes à cellules transitionnelles chez les races prédisposées comme certains terriers, lymphomes et lymphosarcomes, etc.

Il y a tout un champ d'investigation à couvrir dans le domaine des risques éventuels de la stérilisation sur la santé.

A l'avenir, il est possible qu'on s'appuie sur des tests génétiques montrant la prédisposition au développement de certains cancers pour prendre la décision de stérilisation.

L'approche, même en 2019, ne doit plus être systématique, ni dans un sens, ni dans l'autre, et il faut adopter des attitudes orientées vers des pratiques plus efficaces.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1486

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