Souffles cardiaques du chien asymptomatique : généralités et pièges à éviter chez les grandes races

Le berger allemand fait partie des races de grands chiens pouvant présenter une MVDM.

© Dyrefotografi.dk- Adobe Stock

Aurore HAMELIN

Cardiologie

Le chien adulte, bien que non symptomatique, peut présenter un souffle cardiaque, élément clé dans l'établissement du diagnostic de la cardiopathie sous-jacente. Le souffle le plus souvent détecté chez le chien adulte asymptomatique est le souffle systolique apexien gauche. Un des pièges à éviter chez les chiens de grandes races est d'exclure les cardiopathies touchant plus largement les chiens de petits formats .

Notre confrère Jean-François Ravier (laboratoire Boehringer Ingelheim) a organisé une webconférence de cardiologie canine, le 18 février, avec plus de 2 000 inscrits, qui faisait intervenir la professeure Valérie Chetboul (unité de cardiologie d'Alfort à l'école vétérinaire d'Alfort) sur l'approche pratique du souffle cardiaque chez le chien asymptomatique. Le laboratoire Boehringer s'est associé pour l'occasion avec l'université vétérinaire de cardiologie (uvcardio.fr), elle-même liée au site participatif VétoFocus.

« L'imagerie en cardiologie canine est une révolution médicale depuis plusieurs années déjà. Malgré le développement de ces technologies (angioscanner, échographie transoesophagienne), l'examen clinique et l'auscultation restent des éléments fondamentaux du diagnostic des cardiopathies et de leur suivi au cours du temps », a lancé en introduction de sa conférence le Pr Chetboul.

La conférence s'est concentrée sur la présentation des souffles audibles les plus fréquemment décrits chez le chien adulte non symptomatique. Ces souffles correspondent à un bruit surajouté aux bruits normaux (lire ci-après).

« Ils sont un élément diagnostique clé qui oriente le vétérinaire vers la cardiopathie sous-jacente et ses complications potentielles », a précisé Valérie Chetboul. Par exemple, le suivi du grade du souffle associé à la maladie valvulaire dégénérative mitrale (MVDM) permet de prédire le risque de rupture de cordage ou d'hypertension associée.

Après d'utiles rappels pratiques (lire ci-après), notre consoeur a détaillé les caractéristiques à rechercher lors de la détection d'un souffle cardiaque : le moment où on l'entend (systole et/ou diastole) et l'aire d'auscultation maximale du souffle.

Couvrir toute l'aire d'auscultation cardiaque

« Il faut, pour ce faire, promener le stéthoscope sur toute l'aire d'auscultation cardiaque, en n'oubliant pas d'étendre le membre antérieur gauche vers l'avant car certains souffles s'entendent préférentiellement en région basale gauche » , a insisté notre consoeur. Le praticien doit ensuite (lire ci-après) déterminer le grade du souffle (de 1 à 6/6).

Le souffle le plus souvent détecté chez le chien adulte asymptomatique est le souffle systolique apexien gauche (SSAG). Ce souffle est caractéristique d'une insuffisance mitrale et se rencontre majoritairement lors de MVDM chez les chiens de petit ou moyen format et lors de myocardiopathie dilatée (MCD) chez les chiens de grande taille.

Il s'agit là des deux cardiopathies canines les plus fréquentes. La prévalence de la MVDM chez les chiens de race cavalier king Charles était déjà de plus de 40 % lors d'une étude réalisée par la spécialiste et publiée en 2004. La prévalence de la MCD est très élevée dans certaines races : en Allemagne, par exemple, elle est de 44 % chez les chiens de race dobermann âgés de plus de 6 ans.

Lors de MCD, le SSAG résulte de lésions dégénératives mitrales (relativement fréquentes) et/ou d'une dilatation de l'anneau mitral si la dilatation ventriculaire gauche est importante.« On entend un SSAG dans un cas sur trois lors de MCD », a précisé le Pr Chetboul. Mais une fois le souffle entendu et gradé, qu'en fait-on ?

SSAG et cardiopathies les plus fréquentes

« Suffit-il de distinguer la taille du chien pour connaître la cause du souffle ? Non, il existe des pièges ! », a déclaré l'intervenante. Elle a abordé ces pièges en fonction du format de l'animal. Commençons par les chiens de grand format. Le premier piège est d'associer systématiquement le SSAG à l'affection la plus fréquemment décrite dans la race du chien et de la traiter à l'aveugle. Le premier piège dans les grandes races est donc de penser : SSAG est égal à MCD.

« Mais une MVDM peut aussi exister chez les chiens de grande taille comme cela a été démontré dans la race berger allemand par exemple. Ces grandes races touchées par la MVDM ont d'ailleurs un risque accru de fibrillation atriale et une dilatation plus marquée du ventricule gauche par rapport aux races de plus petite taille. Une échographie cardiaque s'impose donc toujours », a explicité le Pr Chetboul. « C'est donc une erreur de penser que la présence d'un SSAG chez un chien de grande race est liée uniquement à une MCD. »

Le deuxième piège est d'exclure une MCD chez un chien de grande race sous prétexte que le SSAG détecté est de faible grade (1/6 à 2/6).« Lors de MCD, le souffle est même le plus souvent de faible grade », a insisté la conférencière. Ainsi, Martin et al., en 2009, avaient étudié 369 cas de chiens atteints de MCD et, pour environ 70 % des chiens, le SSAG était de grade 1 à 2 sur 6. Seulement 5 % des chiens de l'étude avaient un souffle de grade 4/6 et aucun souffle frémissant (grade 5 ou 6/6) n'avait été détecté.

« Un SSAG frémissant (5/6) détecté chez un chien de grand format est donc plus en faveur d'une MVDM que d'une MCD » , a indiqué la spécialiste.  « Il faut également retenir qu'un souffle d'intensité faible peut cacher une cardiopathie grave telle une MCD, l'échographie est là aussi indispensable » , a-t-elle ajouté. Le praticien doit donc conseiller cet examen et respecter le devoir d'information éclairée qu'il a vis-à-vis du propriétaire de l'animal.

L'auteur remercie la conférencière pour sa relecture.

Un second article relatera les pièges de l'auscultation cardiaque lors de SSAG sur les chiens de petits et moyen formats.

Gros Plan : Des souffles et des grades

Ce sont Levine et Freeman qui ont été à l'origine, en 1933, de la première « échelle » de l'intensité des souffles cardiaques chez l'Homme. Leur classification initiale a été adaptée puis modifiée en médecine vétérinaire. Ainsi, chez l'animal, les souffles sont actuellement « notés » de 1 à 6 selon, entre autres, l'accroissement de leur intensité. Le grade 1 fait parfois hésiter le praticien sur sa réelle présence car il peut être intermittent. « Il est de si faible intensité et si localisé qu'il faut un environnement très calme pour l'entendre ».

L e souffle de grade 2/6 est également de faible intensité et localisé mais plus facilement audible. Le souffle de grade 3/6 est d'intensité moyenne (généralement audible sur un hémithorax) et celui de grade 4/6 est d'intensité forte (audible sur l'ensemble de l'aire d'auscultation cardiaque).

Enfin, les souffles 5 et 6/6 s'accompagnent d'un frémissement cataire, celui de grade 6/6 étant audible en décollant le stéthoscope de 1 cm de la paroi thoracique. Une classification en quatre stades existe aussi dont voici la correspondance avec la classification en 6 grades : les souffles faibles correspondent aux grades 1/6 et 2/6, les souffles moyens à 3/6, forts à 4/6 et frémissants à 5/6 et 6/6.

« Il est fondamental de noter le grade dans son compte-rendu clinique car, dans certaines affections, telle la MVDM, l'évolution vers des grades plus élevés au cours du temps traduit le plus souvent une aggravation de la maladie », a souligné la cardiologue Valérie Chetboul de l'unité de cardiologie de l'école vétérinaire d'Alfort. A.H.

Gros Plan : Une classification à connaître

Les souffles peuvent être classés selon leur origine. Les plus fréquents sont organiques (ou dits « pathologiques » chez nos confrères anglo-saxons). Les autres souffles sont qualifiés d'anorganiques (ou de « non pathologiques » par nos confrères anglo-saxons) car ils ne résultent d'aucune lésion structurelle cardiovasculaire.

Parmi eux, le cardiologue distingue les souffles innocents des souffles physiologiques. Les causes les plus fréquentes des souffles physiologiques sont la fièvre et l'anémie.

Ces souffles sont liés aux turbulences et à l'augmentation de la vitesse du flux sanguin. « Un pouls bondissant peut être un piège diagnostique pour le praticien car, s'il est présent lors de fièvre et d'anémie, il peut accompagner certaines affections cardiovasculaires, comme l'insuffisance aortique ou la persistance du canal artériel », a précisé le Pr Valérie Chetboul de l'unité de cardiologie de l'ENVA.

Les souffles anorganiques répondent à la règle des 6S, pour la première lettre des mots anglais :

Sensitive (intensité variable, réduite au repos, augmentée à l'effort ou lors de stress) ;

- Short (court) ;

- Systolic (généralement audibles en début de systole seulement) ;

- Single (isolé, donc non associé à une autre anomalie auscultatoire comme un bruit de galop ou une arythmie) ;

- Small (localisé dans l'aire d'auscultation, le plus souvent chez le chien en région basale gauche) ;

- Soft (doux, musical, généralement de grade 1/6 à 2/6). A.H.

Gros Plan : N'oublions pas les fondamentaux

L'examen clinique cardiovasculaire passe par plusieurs étapes : l'inspection, la palpation (du pouls et du choc précordial notamment), l'auscultation et la percussion (pour certaines dyspnées par exemple). L'auscultation repose sur quatre étapes : le calcul de la fréquence cardiaque, la détermination du rythme et de l'intensité des bruits cardiaques et, enfin, la recherche de bruits surajoutés. Les bruits surajoutés les plus fréquents sont les souffles cardiaques.

Un souffle est un bruit anormal vibrant, de timbre et d'intensité variables qui peut accompagner les bruits B1 et B2 ou qui peut les masquer. Ces souffles peuvent survenir en systole (ventriculaire) ou en diastole (ventriculaire).« La systole ventriculaire est délimitée par les bruits B1 (correspondant au Boum) et B2 (correspondant au Ta) », a rappelé notre consoeur Valérie Chetboul, de l'unité de cardiologie de l'école vétérinaire d'Alfort.

Le souffle apparaît lorsque l'écoulement du flux sanguin, au sein du coeur ou de ses vaisseaux, change. Ce bruit correspond à un passage d'une zone de haute pression vers une zone de basse pression. A.H.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1579

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