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Sentir et Savoir : une nouvelle théorie de la conscience

Thierry JOURDAN

Nous avions déjà chroniqué, il y a quelques années, un ouvrage de Antonio Damasio, immense neuroscientifique, intitulé : « L'ordre étrange des choses : la vie, les émotions et la fabrique de la culture ».
Il a commis cette fois-ci un ouvrage court, écrit en langage courant et composé comme un haïku, destiné à dire l'essentiel des recherches que l'auteur mène depuis le début des années 1990 sur les perceptions, les émotions, les décisions et la conscience.

Les organismes vivants unicellulaires ont commencé par sentir ! Sentir la présence de molécules ou d'autres organismes et ils ont résolu des problèmes qui leur étaient soumis par des compétences. Cette intelligence non explicite, basée sur des phénomènes moléculaires et inclus dans les organelles, a pris soin de la vie, l'a organisée suivant des règles et l'a ajustée suivant les principes de l'homéostasie.

Cette dernière, en passant à des organismes multicellulaires, a reçu l'aide précieuse du système nerveux. Ce qui rend possible l'expérience de la chair, c'est un mélange de signaux corporels issus du si particulier système nerveux intéroceptif qui pénètre dans toutes les parties du corps et des signaux neuronaux des ganglions nerveux ou du cerveau. Ce système nerveux gérait les actions, aidait à la représentation de modèles, de patterns puis engendrait des cartes et images neuronales ayant chacune leur configuration géométrique.

Avec la naissance de l'esprit, l'homéostasie devenait encore plus efficace par des représentations explicites, des raisonnements créatifs et des connaissances mémorisées. De la survie, nous passions à une abondance potentielle de bien-être.

L'esprit ouvre la voie au sentiment et à la conscience.

Être, ressentir et connaître constituent donc trois stades d'évolution consécutifs.

Les sentiments, hybrides du corps et de l'esprit, sont une capacité à éprouver sa vie et fournissent à l'organisme une évaluation fine du succès de son aptitude à vivre : le résultat est perçu en termes de qualité agréable ou désagréable, modérée ou forte. La création d'un soi en advient et ce soi est interdépendant de l'organisme. Les sentiments s'ancrent dans le corps et permettent la conscience de celui-ci.

A côté, les canaux sensoriels donnent des informations venues de l'extérieur permettant de créer des cartes et images du monde prenant racine dans des réseaux neuronaux.

C'est la mise en oeuvre coordonnée de l'être, du sentir et du savoir qui permet aux cartes et aux images d'être attribuées à son propre organisme, à la conscience du soi.

De la sorte, un organisme doué de sentiments et de conscience construit une histoire élaborée de l'existence, de ses interactions avec l'environnement et avec les autres.

S'ensuit la clarification des trois concepts de l'intelligence, de l'esprit et de la conscience.

Pour Damasio, il est très clair que tous les vertébrés sont doués de conscience et il pense que les insectes sociaux en possèdent une aussi (NDLR : les céphalopodes de même).

Damasio aborde le grand paradoxe des virus, des non vivants qui perpétuent la vie.

Les anesthésiants dont nous considérons qu'ils font perdre la conscience en induisant la perte de l'éveil, agissent sur les bactéries et les plantes signalant qu'en réalité des mécanismes agissant sur la conscience existent depuis des milliards d'années.

Il aborde les nouvelles technologies et l'intelligence artificielle dont il dit qu'elles seront capables de sentiments homéostasiques mais qu'elles se heurteront à la complexité des représentations internes dont seront capables les machines, pour aboutir à une conscience équivalente à celle du vivant. Il lui apparaît que la conscience des machines ne sera jamais similaire à celle des vivants.

En un peu plus de deux cents pages très abordables et lumineuses, Antonio Damasio ne cesse de plonger ses lectrices et lecteurs dans de profondes et fructueuses réflexions, dans une prise de conscience que la vie et la conscience de celle-ci est une élaboration complexe qui court sur un temps très long et que de nombreux secrets sont encore à découvrir.

 

Article paru dans La Dépêche Technique n° 196

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