Sauver la liberté d'expression

Thierry JOURDAN

Monique Canto-Sperber est directrice de recherche au CNRS*, philosophe et a écrit de nombreux livres sur la morale et la politique.
Dans cet ouvrage qu'elle avait initié avec Ruwen Ogien, elle réfléchit sur la liberté d'expression particulièrement mise à l'épreuve ces dernières années, liberté constituant un droit précieux de l'homme dans la déclaration de 1789.

On a sur les réseaux sociaux une expression sans limites ni repères, stimulée par des algorithmes recherchant l'audience.

On a aussi une parole confisquée par des minorités qui exigent, de manière préventive, de ne pas être offensées.

La liberté d'expression était un idéal de liberté qui reconnaissait à tous le droit d'exprimer ses pensées et de contribuer à l'intelligence collective. S'émancipant de la religion, elle a été liberté de conscience. Elle permet la démocratie, le progrès scientifique, la création artistique. Elle s'est progressivement transformée en un droit général de parler pour les individus et la vertu de tolérance s'est appliquée à la parole en société.

Si la liberté d'expression a été limitée par des lois successives concernant des injures, des diffamations, des publicités mensongères, des appels à la haine, des opinions négationnistes, le législateur est concurrencé par des groupes, des instances, des personnes qui se considèrent légitimes pour imposer leurs règles de la parole publique. A l'opposé, les abus d'expression et provocations foisonnent, affranchis de toutes limites racistes ou xénophobes.

Entre les discours de haine d'auteurs qui se prétendent censurés et les défenseurs de causes ou de valeurs qui font taire les autres, la liberté d'expression est menacée et le débat confisqué. Exclusion, incommunicabilité, interdiction idéologique de caricatures, arrêt des dessins dans la presse par peur de perdre des lecteurs, censure préventive dans les lieux de débats universitaires, propagande agressive ne cessent de grossir.

Monique Canto-Sperber retrace l'évolution de la liberté d'expression, sa philosophie de la lettre sur la tolérance à la notion de faire du tort à autrui. Elle s'appuie sur toutes les polémiques, les débats sociétaux et politiques actuels et tente de trouver une voie raisonnable et libérale débarrassée de postures morales inefficientes et sans base philosophique.

Le législateur et la justice sont piégés entre le laisser faire qui fait de l'espace public un lieu de guerre ou bien la sanction systématique qui aboutit à la censure.

La liberté d'expression est une dynamique de communication, une liberté relationnelle qui doit s'inscrire dans les limites définies par la loi et les trois axes de l'espace public pour la défendre sont de refuser la censure a priori, de s'en tenir à la littéralité des propos sans interprétation, et ne pas pratiquer l'interdiction préventive.

La liberté d'expression sera ce que nous en ferons collectivement et en étant juste chacune et chacun d'entre nous.

Article paru dans La Dépêche Technique n° 195

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