Révolution sémantique et nosographique
Samedi 20 Novembre 2021 Anesthésie Douleur 42361La douleur (état pathologique) est individuelle, différente de la nociception (phénomène physiologique) et peut être explicitée autrement que par la seule expression verbale.
Elle a récemment bénéficié d'une double révolution :
- sémantique du fait d'une nouvelle définition internationale ;
- nosographique liée à l'introduction de la DC dans la classification internationale des maladies (CIM).
Définition et notes clés
La définition officielle de la douleur proposée par l'Association Internationale d'Étude et de Traitement de la Douleur (International Association for the Study of Pain - IASP) a été récemment revue. Elle prend désormais en compte la difficulté d'expression de leur douleur par certains patients, du fait d'une absence de verbalisation ou de difficulté à communiquer. Ainsi, la douleur est définie comme : « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle 6 ».
https://icd.who.int/browse11/l-m/en#/http://id.who.int/icd/entity/1581976053
Six notes clés complètent cette nouvelle définition.
- 1 et 2 : des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux participent à la construction de douleurs individuelles qui ne sauraient être confondues avec les mécanismes neuronaux exclusivement nociceptifs (assurant la détection, conduction, transmission et modulation d'influx nerveux perçus comme douloureux).
- 3, 4 et 5 : les effets néfastes des DCs sur l'histoire de l'individu, sa mobilité et son bien-être sont reconnus et doivent être pris en considération.
- 6 : le changement essentiel de cette définition, par rapport à la version de 1979, réside dans la reconnaissance de la capacité d'une personne à décrire, d'une façon ou d'une autre, l'expérience de douleur. La version 1979 excluait de facto les êtres vivants non verbalement communicants : nourrissons, handicapés (affections neurodégénératives, déficit cognitif), états comateux ... et les animaux.
Les DCs sont des maladies
Les DCs sont trop simplement définies comme des douleurs persistantes ou récurrentes durant plus de trois mois et répondant insuffisamment aux traitements. Pourtant, les mécanismes d'hypersensibilisation sont à l'origine d'une grande vulnérabilité, source de détériorations fonctionnelles et de perturbations émotionnelles venant altérer le comportement et dégrader la qualité de vie.
A la suite d'une publication de l'IASP 7, une évolution nosographique importante est publiée par l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) dans la onzième CIM 8. Cette CIM-11 est la première version à reconnaître les DCs comme des maladies, répertoriées en deux catégories primaires (maladies en soi) ou secondaires (symptomatiques d'une maladie sous-jacente).
L'intégration des douleurs chroniques dans cette classification est vraiment une révolution car elle permet la reconnaissance de nombreux syndromes douloureux chroniques jusque-là non reconnus comme entités pathologiques.
La classification des douleurs chroniques comme maladies permet, au-delà de leur reconnaissance, une meilleure identification des différents syndromes, une meilleure analyse épidémiologique grâce à une démarche diagnostique affinée. Il est probable que cette évolution aura dans l'avenir des répercussions sur la rigueur et la pertinence des études cliniques qui seront menées.
Vers l'animal douloureux
Cette double révolution sémantique et nosographique nous conduit à envisager la prise en charge pluridisciplinaire et individualisée de l'animal douloureux.
A l'instar de l'homme douloureux et à partir de différentes affections (traumatiques, dégénératives, inflammatoires, prolifératives, etc.), l'animal « construit » ses propres douleurs (nociceptives, inflammatoires, neuropathiques ou nociplastiques) en fonction d'un contexte préexistant, façonné par son patrimoine génétique, ses expériences singulières, son vécu douloureux (les traces mnésiques) au sein d'un environnement influent 9.
Ainsi il n'y a pas une douleur mais des douleurs propres à un être vivant avec ses particularités anatomiques, émotionnelles, cognitives et motivationnelles, vivant dans un environnement spécifique. Ainsi il n'y a pas une douleur figée mais plutôt une douleur multimorphe, se transformant au gré de l'évolution mécanistique malheureusement défavorable de la maladie et de l'évolution heureusement bénéfique du projet thérapeutique réussi.
Le « tout pharmacologique », l'abus de procédures automatisées, l'excès de raisonnement statistique et son corollaire de thérapeutique populationnelle entraînent les médecines humaines et vétérinaires vers les impasses thérapeutiques, source de nomadisme médical infructueux 10.
L'individualisation du projet thérapeutique ainsi que la pluridisciplinarité nécessaire du fait de la complexité de ces états pathologiques deviennent des prérequis à la prise en charge actualisée des douleurs chroniques. Pour réussir ce défi, l'évaluation régulière et partagée avec le propriétaire de la douleur devrait inscrire l'animal douloureux dans un parcours de suivi : vétérinaires, ASV et propriétaires deviendraient des acteurs d'une médecine pro-active (versus réactive) de la douleur où la double culture de la prévention et de l'adaptation permettrait de corriger le mal-être associé aux DCs.