Révolution des pratiques évaluatives
Samedi 20 Novembre 2021 Anesthésie Douleur 42365© Thierry Poitte
DEFINITIONS
Chez les animaux de compagnie, l'expression clinique de la douleur est parfois traduite par des plaintes (c'est notamment le cas des intenses douleurs neuropathiques) mais le plus souvent, elle relève de signes fonctionnels et/ou de changements comportementaux en relation avec le mal-être des douleurs chroniques.
Les praticiens vétérinaires rompus à l'exercice de l'hétéro-évaluation (c'est-à dire l'évaluation par un autre être que celui qui subit la douleur, par opposition à l'auto-évaluation faite par les êtres communicant oralement) savent conjuguer une triple approche fonctionnelle, qualitative et émotionnelle de la douleur.
Le bien-fondé de cette démarche repose sur la nature multidimensionnelle de la douleur dont les quatre composantes sont associées à différentes régions cérébrales interconnectées 27.
Ce modèle multidimensionnel confère un rôle dynamique à une matrice cérébrale qui se substitue à un centre unique de la douleur et qui module la perception de la douleur via les émotions et la cognition :
- la composante sensori-discriminative renseigne sur la localisation, la durée, la qualité et l'intensité de la douleur (décodage du message sensoriel) ;
- la composante émotionnelle confère à la douleur un caractère plus ou moins désagréable, pénible et supportable, variable d'un individu à l'autre (lors de chronicisation, l'évolution vers l'anxiété ou la dépression est de règle) ;
- la composante comportementale est représentée par l'expression orale (vocalises, gémissements), motrice (jeux, sauts, dynamisme), relationnelle (dont l'agressivité) et par le retentissement végétatif ;
- la composante cognitive, apanage du cortex préfrontal des mammifères supérieurs, participe à la construction de l'image de la douleur (parfois éloignée de la réalité fidèle des lésions tissulaires), projette l'individu douloureux dans l'avenir et l'interroge sur ses rapports avec sa souffrance.
Le lien entre douleur et handicap fonctionnel est facilement observable par le propriétaire mais doit être exploré avec minutie par le vétérinaire au cours de son examen clinique.
Le lien entre douleur et émotions est avéré mais il doit être expliqué simplement aux propriétaires pour améliorer la pertinence de leur évaluation.
La première étape est de choisir une définition compréhensible des émotions. Les émotions sont des états affectifs intenses et fugaces, à valence positive ou négative, en réponse à la perception par les cinq sens d'un événement déclencheur appétitif ou aversif.
- Un évènement appétitif procure de la joie ou parfois de la surprise.
- La suppression de cet évènement appétitif entraîne de la colère ou de la tristesse.
- Un évènement aversif procure de la peur ou du dégoût.
Ces six émotions primaires et universelles de Darwin 28 sont instinctives et innées : elles apportent une réponse adaptative favorisant la survie de l'individu et de l'espèce ; elles décernent une qualité hédonique à valeur positive (agréable, non menaçante) ou négative (désagréable, menaçante), à l'origine de quatre réponses :
- réponse physiologique traduite par l'augmentation des taux de noradrénaline (médullo-surrénales) et des minéralo et glucocorticoïdes (corticosurrénales) ;
- réponse musculaire et motrice objectivée par les expressions faciales, les postures, les mouvements ...;
- réponse comportementale menant à des actions d'évitement (peur), de repli (tristesse) ou d'agression (colère) ;
- réponse subjective mentale exprimée par ce que l'individu ressent (sentiment) et donc moins accessible à l'évaluateur ; la réalité de cette réponse subjective chez les animaux ne rencontre pas de consensus mais plusieurs études suggèrent l'existence de certaines formes moins complexes que chez l'humain 29.
ÉMOTIONS ET CHANGEMENTS COMPORTEMENTAUX INDUITS PAR LA DOULEUR
La deuxième étape est de s'interroger sur les émotions et changements comportementaux induits par la douleur au sein d'une relation réciproque : les émotions négatives tendent à augmenter la sensation de douleur alors que les émotions positives la diminuent 30,31.
Au risque d'une simplification excessive, toutes stimulations nociceptives sont à l'origine de trois émotions négatives : la peur, la tristesse et la colère 32,33.
Cette coloration émotionnelle est mémorisée dans le proche hippocampe et conduit à des motivations comportementales fondées sur l'apprentissage.
Lorsque ces émotions négatives sont ignorées ou prolongées, elles se transforment en émotions secondaires ou évoluent vers des perturbations comportementales 34.
1° La peur
La peur (état émotionnel fugace d'alarme et d'agitation déclenché par un danger spécifique et identifié, présent ou menaçant) provoque la fuite (flight), parfois l'immobilité (freeze) et a pour fonction la protection.
La peur liée à la douleur aiguë est adaptative puisqu'elle focalise l'attention sur la lésion et suspend les activités habituelles afin de faciliter le processus de guérison. Chez l'humain, au cours d'une douleur prolongée, la peur se manifeste par de l'hypervigilance et des attitudes d'évitement exagérées, à l'origine de comportements inadaptés teintés de pessimisme ou de catastrophisme.
La peur peut évoluer vers des états d'anxiété qui sont des états émotionnels généralisés déclenchés par une menace non spécifique, non identifiée, souvent imaginaire et attendue (cf. photos 1).
L'anticipation appréhensive d'un danger s'accompagne de sentiments d'inquiétude, de détresse et de mécanismes psychophysiologiques simples tels l'hypertonie marquée de certains muscles, source de symptômes somatiques de tension et de cercle vicieux « émotion - contracture - douleur ».
L'anxiété abaisse les seuils de la douleur et participe ainsi à sa chronicisation 35.
2° La tristesse
La tristesse peut évoluer vers des états dépressifs qui sont des troubles émotionnels durables en relation avec un dérèglement de l'humeur et sources de conséquences délétères sur les activités quotidiennes.
Chez les animaux de compagnie, les états dépressifs se traduisent par une asthénie, un regard triste, des refus de jeu ou de promenade, la recherche d'isolement, la perte d'interactions avec le propriétaire, etc.
Les états dépressifs sont souvent accompagnés par des activités répétitives (plaies de léchage), puis des comportements stéréotypés : « hallucinations », polydyspsie, mâchonnements, ingestion de denrées non alimentaires, mordillements, sucion des flancs, tournis, aboiements compulsifs, etc. (cf. photos 2).
Douleurs chroniques et états dépressifs partagent les mêmes neurotransmetteurs, des voies de communication et des structures cérébrales communes : les unes entraînant les autres dans un cercle vicieux auto-aggravant 35.
3° La colère
La colère est une émotion aversive graduelle, entre irritation et fureur.
La colère peut évoluer vers l'irritabilité puis l'agressivité (fight). Ici les comportements d'agression sont relationnels et fondamentalement réactionnels en réponse à des situations aversives provoquées par les accès paroxystiques des douleurs neuropathiques ou inflammatoires ou par le bruit de fond constant des douleurs chroniques (cf. photos 3).
États anxieux et/ou dépressifs, irritabilité et agressivité diminuent les seuils nociceptifs et participent à l'aggravation de la douleur (modèle circulaire).
Des troubles du sommeil (dyssomnies) surviennent et la perturbation de la continuité du sommeil (et non la restriction) viennent altérer les contrôles inhibiteurs descendants 36.
L'ensemble de ces changements comportementaux altère les relations sociales, les liens affectifs avec les propriétaires et nuisent ainsi particulièrement à la qualité de vie.
ÉVALUATION DE LA DOULEUR
La troisième étape est de proposer une méthode évaluative inspirée par une triple approche fonctionnelle, qualitative et émotionnelle de la douleur.
Médecine narrative
Née aux États-Unis au début des années 2000, la médecine narrative est une nouvelle approche s'inscrivant dans les soins de santé centrés sur le patient. Elle se définit comme une compétence qui permet de " reconnaître, absorber, interpréter et être ému 37 " par les histoires de personnes malades. Appliquée à la médecine vétérinaire, la médecine narrative devient une compétence acquise par le praticien qui sait interpréter les récits de l'histoire douloureuse de l'animal de compagnie ainsi que les circonstances de survenue des douleurs.
Grâce à la métaphore narrative, elle valorise la subjectivité à la fois de l'expérience douloureuse du propriétaire mais aussi de sa sensibilité à traduire celle de son animal. La médecine narrative répond à la demande d'écoute du propriétaire, affiche l'empathie du praticien, amarre un premier ancrage relationnel de confiance et devient une source dynamique de collaboration et d'adhésion thérapeutique. Elle atteste de la pertinence du modèle de l'animal douloureux présentant des douleurs spécifiques, fonction d'un bagage génétique propre, d'un vécu particulier et d'un environnement émotionnel et cognitif influent.
Les CSOM : formulation écrite des items les plus douloureux 38
Les Client Specific Outcome Measures - CSOM - sont des grilles évaluatives de la douleur chronique, inspirées des Patient Reported Outcome (PRO), développées en rhumatologie humaine et qui se basent sur des symptômes ressentis et exprimés par les malades. Appliquées en médecine vétérinaire, les CSOM font appel aux capacités d'observation d'un propriétaire partageant le quotidien de son animal pour évaluer le mal-être associé aux douleurs chroniques : handicap fonctionnel, qualité de la douleur et perturbations émotionnelles à l'origine de changements comportementaux 38.
La particularité réside notamment dans le fait que chaque grille est unique à l'animal douloureux. En effet, il ne s'agit pas d'un questionnaire standard mais plutôt d'un outil unique adapté à l'animal douloureux, avec son identité propre (patrimoine génétique et vécu douloureux) replacé dans son environnement émotionnel et cognitif.
Les CSOM renforcent la pertinence du projet thérapeutique multimodal, pluridisciplinaire et individualisé. Le vétérinaire échange avec le propriétaire pour définir avec lui la liste des items les plus emblématiques de la douleur observée au cours de la dernière semaine. Une fois les critères de douleur définis d'un commun accord entre le vétérinaire et le propriétaire, ce dernier va pouvoir lui-même effectuer les évaluations à la maison, dans l'environnement familier de l'animal.
Pour cela, le vétérinaire :
1° discute de l'activité de l'animal avec le propriétaire, cherchant à lister « les activités que l'animal a des difficultés à faire ou qu'il a cessé de faire » ;
2° recherche des qualificatifs évocateurs de douleurs mécaniques (diminuant au repos, contemporaines de l'exercice), inflammatoires (nocturnes, diminuant à l'exercice, raideur matinale), neuropathiques (spontanées, de type décharges électriques, paresthésies, dysesthésies), nociplastiques (vulnérabilité, hyperalgésie, allodynie) ;
3° échange avec le propriétaire sur l'état émotionnel à l'origine de changements de comportement : anxiété, dépression, irritabilité, dyssomnies, altération des relations sociales, etc.
Une fois cette première liste établie, le vétérinaire demande au propriétaire de classer ces items par ordre d'importance pour déterminer les trois principaux à suivre. Le choix doit se porter sur des activités ou comportements clairement altérés, susceptibles de s'améliorer grâce à la thérapie analgésique qui sera mise en place.
L'ensemble des items choisis doit refléter si possible la variété des composantes douloureuses présentes.
Une fois les items sélectionnés et précisés, les propriétaires sont invités à évaluer, avec une note de 0 à 4, le degré de difficulté à effectuer ces activités ou la fréquence des modifications de comportement au cours de la dernière semaine (cf. encadré 2).
Le score CSOM est l'addition des scores pour les trois items.
Le score CSOM est calculé à chaque nouvelle étape du parcours de soins de l'animal douloureux. Il permet ainsi de contrôler l'efficacité du projet thérapeutique et de suivre sur le long terme les ajustements nécessaires à la dégradation de l'affection chronique douloureuse.
Par rapport au format papier, les versions digitales facilitent le remplissage des données, transmettent immédiatement les résultats au praticien, autorisent l'archivage, visualisent graphiquement l'évolution de la douleur, participent à l'alliance thérapeutique et renforcent l'expertise douleur du praticien.
La grille CBPI : Canine Brief Pain Inventory
Il est essentiel de disposer de mesures quantitatives de la douleur chronique validées et fiables chez les patients afin de permettre le développement et l'évaluation d'approches thérapeutiques (telles que médicaments ou procédures chirurgicales) conçues pour réduire cette douleur. Historiquement, les études évaluant la douleur chronique chez les chiens souffrant d'arthrose se sont fortement appuyées sur l'évaluation de la boiterie, soit par une évaluation vétérinaire, soit par diverses méthodes d'analyse de la démarche. L'évaluation du vétérinaire reste cependant tout aussi subjective et est souvent affectée par la présence du chien à la clinique qui ne va pas se comporter comme dans son environnement naturel. Cela impacte aussi l'analyse de la démarche.
Bien qu'elle soit utilisée régulièrement dans la pratique clinique pour aider à orienter les décisions thérapeutiques, ce n'est que relativement récemment que l'évaluation par le propriétaire de la douleur chronique chez le chien a été systématiquement incluse dans l'évaluation des résultats des études cliniques.
Au cours de la dernière décennie, plusieurs programmes ont pris l'initiative d'élaborer et de valider des questionnaires remplis par le propriétaire qui peuvent collecter de manière fiable des données sur la gravité de la douleur chronique et son impact sur les activités de routine de leur chien dans son environnement domestique. Ces approches ont aussi été développées chez le chat (cf. encadré 3).
Le Canine Brief Pain Inventory (CBPI) est un court questionnaire qui peut être rempli par un propriétaire en moins de cinq minutes, rassemblant des informations sur la gravité de la douleur et comment cette douleur interfère avec les activités d'un chien au quotidien.
Les réponses à quatre questions sont compilées pour obtenir un score de gravité de la douleur (Pain Severity Score - PSS) et les réponses à six questions supplémentaires sont utilisées pour obtenir un score d'interférence de la douleur (Pain Interference Score - PIS). Une dernière question interroge sur la qualité de vie selon les qualificatifs suivants : faible, moyenne, bonne, très bonne, excellente.
Le CBPI a été développé en anglais et, grâce à de nombreuses études 39, s'est avéré être un outil valide et fiable pour collecter des données sur les chiens souffrant d'arthrose et de cancer des os. Le CBPI est souvent utilisé pour évaluer l'efficacité des interventions contre la douleur chronique chez les chiens souffrant d'arthrose. Pour cette utilisation, il est important d'avoir un questionnaire capable de détecter des changements cliniquement importants chez les chiens au fil du temps. Cet aspect est connu sous le nom de réactivité. Il a permis ensuite l'évaluation de nombreuses approches thérapeutiques et facilite les études multi-sites, souvent nécessaires pour obtenir un nombre de cas suffisant pour permettre d'établir des conclusions fiables 40.
La traduction du CBPI en français a été une étape importante dans la poursuite de l'adoption généralisée de ces évaluations propriétaires pour une utilisation dans la recherche et la pratique clinique. Cela a aussi permis des collaborations multinationales (cf.fig. 4).
EXAMEN CLINIQUE ET ORTHOPEDIQUE
Examen clinique
Un examen clinique attentionné, soucieux d'éviter les douleurs procédurales, complète ces deux premières étapes : localisation de la douleur, intensité, qualité, répercussions anatomiques (amyotrophie, ankylose, etc.), fonctionnelles (boiterie, raideur, crépitations, etc.), hyperalgésie et allodynie.
L'examen clinique précède l'examen orthopédique pour rechercher les multimorbidités particulièrement fréquentes chez l'animal senior douloureux.
Examen orthopédique
Avant même de voir le propriétaire et l'animal, le signalement peut nous guider car les maladies orthopédiques ont des prévalences assez constantes chez les chiens de race de grand format, chez les chiens de race de petit format ou chez les chats. De même, les ostéochondroses et les dysplasies vont plutôt toucher les chiens jeunes alors que les chiens âgés auront plus de risque d'avoir de l'arthrose, des lésions dégénératives ou des atteintes cancéreuses.
1° L'anamnèse
Elle est primordiale car elle permet de hiérarchiser les hypothèses diagnostiques dégagées par l'examen clinique. Les propriétaires ont souvent beaucoup d'informations à donner même si ces dernières sont parfois à interpréter avec précaution. Ils ont souvent mieux observé la démarche que ce que nous pouvons faire en clinique.
Les domaines dans lesquels on recherche une information la plus exacte possible sont :
- le mode de vie habituel du patient ;
- les circonstances d'apparition de la boiterie ;
- la description de la boiterie et des postures ;
- les traitements mis en oeuvre et les résultats obtenus.
Les questionnaires semi quantitatifs constituent des outils utiles pour aider à objectiver la description que font les clients des signes cliniques de leur chien et de leur chat.
Les observations de signes cliniques par le vétérinaire sont limitées et moins riches que celles du maître de l'animal.
Il existe peu de démarche typique d'une affection précise à quelques exceptions près comme la contracture du muscle sous épineux qui provoque une circumduction caractéristique du membre thoracique du fait du « verrouillage » de l'épaule.
2° L'examen à distance
L'observation à distance est principalement utile pour localiser le membre atteint plutôt que l'articulation en particulier.
Le balancier cervico-céphalique développe une amplitude augmentée en cas de boiterie du membre thoracique. La tête s'élevant lors de l'appui côté atteint et s'abaissant lors de l'appui côté sain.
Pour une boiterie du membre postérieur, c'est parfois subtil, mais il est possible d'objectiver une « remontée de hanche » lorsque le membre douloureux est en appui.
Il est utile d'établir une gradation de la boiterie à laquelle se référer ultérieurement au cours du suivi du traitement. Une classification en cinq grades de boiterie est couramment utilisée et est bien pratique pour suivre la réponse au traitement :
- grade 1 : boiterie intermittente, plutôt faible ;
- grade 2 : boiterie permanente, légère ;
- grade 3 : boiterie permanente, modérée ;
- grade 4 : boiterie permanente, sévère (du bout des doigts) ;
- grade 5 : boiterie sans appui.
Toujours au cours de l'examen à distance, il faut déterminer si l'anomalie de démarche comporte une part d'ataxie ou de parésie (faiblesse, déséquilibre et raclement des ongles notamment).
La posture est aussi importante. L'accroupissement est, par exemple, important à observer dans sa symétrie. Les patients atteints de maladie du ligament croisé, pour éviter de trop fléchir le genou, le gardent en extension et tout le membre en abduction.
En évaluant la qualité de l'appui et le positionnement des membres, on peut noter une asymétrie qui traduit souvent une anomalie.
La répartition de l'appui entre l'avant et l'arrière-main est également évaluée ; en effet, les reports de poids sont plus visibles sur l'animal à l'arrêt.
On note également la présence de reliefs osseux ou de déformations anormaux ainsi que la musculature du patient en comparant la symétrie des masses musculaires controlatérales.
Il est très fréquent de confondre l'origine neurologique de signes qui paraissent de cause orthopédique. C'est pour ces raisons qu'aucun examen orthopédique ne peut être conduit sans examen neurologique de base et examen général préalables. Une pratique rigoureuse des tests de la proprioception est essentielle (soutenir le plus possible le poids du corps pour un test fiable).
Si le résultat est normal, on peut raisonnablement supposer qu'il n'y a pas de problème neurologique.
3° L'examen orthopédique rapproché(cf. photos 5)
Il doit permettre la localisation de la zone d'intérêt. Une séquence routinière de manipulations qui va de la tête à la queue, des épaules aux doigts et des hanches aux doigts permet d'être complet dans cet examen.
Avec le patient en position debout, la palpation du rachis permet de rechercher une douleur, une raideur, un craquement ou une anomalie de conformation. Il faut mobiliser la tête et le cou dans les quatre directions et palper la colonne de la tête à l'extrémité du sacrum pour évaluer les masses musculaires et une sensibilité anormale. Cette position permet aussi de se concentrer sur la palpation des masses musculaires et leur comparaison bilatérale.
L'objectif est de rechercher une atrophie, une asymétrie et une contracture. L'atrophie musculaire est souvent plus facilement visible en évaluant les masses musculaires scapulaires, glutéales ou quadriceps.
Les membres sont ensuite évalués pour rechercher des signes de douleur, tuméfaction ou déformation, turgescence et de modification des repères anatomiques. Il est idéal d'avoir une manipulation systématique en partant de l'extrémité du membre et en remontant proximalement.
La mobilisation permet de localiser précisément le siège de la lésion. Elle met en évidence des douleurs, des crépitations, des ankyloses ou des mouvements anormaux.
On réalise dans un premier temps des mouvements normaux dans les différents plans en fonction de l'articulation examinée puis on peut réaliser des mouvements forcés permettant d'accentuer une douleur ou une position anormale des angles articulaires.
En plus des palpations systématiques, certains tests plus spécifiques à certaines articulations peuvent être réalisés.
Pour l'épaule, le test du biceps, sensible pour mettre en évidence une douleur articulaire ou une atteinte du tendon du biceps, consiste en une flexion extrême de cette articulation le long du thorax avec le coude en extension.
Pour le coude, des mouvements de pronation et supination avec le coude et le carpe fléchis à 90° permettent aussi de mettre en évidence une sensibilité exacerbée, particulièrement lors de pronation lors d'atteinte du processus coronoïde médial.
Pour la hanche, l'hyperextension progressive reste le moyen de corréler une arthrose radiologique à une réalité algique symptomatique. Le test d'Ortolani est plutôt utile pour les chiens jeunes sans signe clinique ou pour évaluer l'intérêt d'indications chirurgicales.
Pour le grasset, le test de Henderson ou « tiroir indirect » permet de repérer une poussée tibiale crâniale, pathognomonique d'une rupture du ligament croisé. Cependant, palper la synovite, une fibrose médiale et/ou percevoir l'inconfort à l'hyperextension restent des signes plus sensibles.
Il faut aussi évaluer la stabilité de la rotule, idéalement avec le grasset en extension.
4° Les examens complémentaires
Le diagnostic différentiel orthopédique exhaustif concernant l'épaule, le coude, la hanche et le genou canin peut toucher tous les domaines retrouvés dans le vocable VITAMIN D (V: vasculaire, I: infectieux, T: traumatique, A: anomalie congénitale, M: métabolique, I: iatrogène, N: néoplastique, D: dégénérative) mais il est rarement indispensable de dresser une liste exhaustive de diagnostics différentiels dans le dossier de l'animal. Au terme de l'examen clinique, avec une anamnèse et un signalement précis, une courte liste de deux ou trois possibilités diagnostiques très plausibles ressortent le plus souvent et permettent de hiérarchiser les besoins d'examens complémentaires éventuels.
- Lors de l'évaluation de patients arthrosiques, l'examen radiographique est souvent un examen de choix car disponible, peu coûteux et sensible. Cependant, les signes radiologiques de l'arthrose sont mal corrélés avec les symptômes algiques car ils sont davantage les témoins de la dégradation cartilagineuse que des processus inflammatoires réactifs ; ils sont d'autre part un médiocre indicateur de l'évolution clinique de la maladie arthrosique 41.
-L'IRM a la capacité d'analyser l'arthrose comme une maladie pluritissulaire impliquant davantage avec réalisme l'os sous-chondral et la membrane synoviale. Ainsi, en rhumatologie humaine, il a été montré une corrélation faible à nulle entre ostéophytes et douleur, une corrélation modérée à forte entre épanchement articulaire et douleur, une corrélation forte entre oedème, fissures, nécroses de l'os sous-chondral, mesure de l'épaisseur de la membrane synoviale et douleur 42. Les radiographies ont ainsi comme principal objectif de comprendre la cause afin de mieux définir les approches thérapeutiques à privilégier.
PARCOURS DE SUIVI
La douleur est multimorphe, c'est-à-dire qu'elle se transforme tout au long de l'évolution défavorable de la maladie causale (dégénérative, inflammatoire ou proliférative) mais aussi de l'évolution heureusement favorable du projet thérapeutique.
La douleur peut être tour à tour de nature nociceptive, inflammatoire (par excès de nociception), neuropathique et/ou nociplastique.
Par conséquent, l'évaluation doit être un processus continu et partagé entre le praticien et le propriétaire. Les visites en présentiel seront utilement complétées par des visioconsultations qui autorisent l'évaluation de la douleur dans le milieu familier de l'animal et qui permettent de conseiller les meilleures stratégies d'adaptation à l'environnement de l'animal (coping).
La fréquence de remplissage des grilles CSOM ou CBPI par le propriétaire est également définie (cf.photos 6).
CONCLUSION
Les interactions entre douleurs, émotions et cognition sont complexes, interactives et très souvent auto-agravantes.
La douleur est construite par rapport à un contexte préexistant d'un vécu douloureux et en fonction de conditions environnementales : la situation, les émotions, les attentes de l'animal et le lien avec le propriétaire ont une influence positive comme négative.
La prise en charge raisonnée et protectrice des douleurs chroniques doit dorénavant s'intéresser à ce triptyque (vétérinaire-propriétaire-animal) en explorant davantage l'expérience construite de la douleur.
La méthode évaluative proposée (médecine narrative, CSOM, CBPI, FMPI, examen clinique et parcours de suivi) devrait aider à réaliser cet objectif.
Focus sur l'apport de la téléconsultation en médecine de la douleur
Encadrée pour la première fois par le décret du 19 octobre 2010, la télémédecine est une pratique médicale à distance reposant sur cinq actes : la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance, la téléassistance et la régulation médicale.
Les structures vétérinaires spécialisées dans la douleur sont rares et non reconnues pour l'instant par l'Ordre national des vétérinaires.
Les consultations « douleur chronique » pour les animaux de compagnie sont peu proposées en France.
La téléassistance médicale permet à un vétérinaire (spécialiste ou pas) d'aider ses confrères à mener ce type de consultation dédiée à la
douleur et de répondre ainsi à une forte demande sociétale du respect du bien-être animal. Des solutions développées par plusieurs sociétés facilitent les échanges avec les experts, notamment le partage du dossier médical de l'animal malade sous forme de textes (examens de biologie), d'images fixes (radiographies), d'images animées (échographies) ou de sons (auscultation, plaintes, etc.).
La téléconsultation, dans le domaine de la douleur, ne doit s'envisager qu'après un examen clinique préalable : le contact physique avec l'animal est indispensable à l'exploration de la sensibilité, de sa composante spatiotemporelle et de ses troubles (hyperalgésie, hyperpathie et allodynie).
Un outil numérique permet de réaliser une « visioconsultation » et est capable d'étoffer particulièrement la pertinence de l'évaluation de la douleur. En effet, cette dernière s'exprime différemment selon l'ambiance protectrice de la maison ou de l'environnement contraint, voire perturbant, de l'établissement de soins.
Certains comportements douloureux sont associés à la prise alimentaire, à la période postprandiale, à des activités difficilement reproductibles à la clinique ou surviennent plus fréquemment la nuit ou de façon imprévisible.
La visioconsultation permet le clavardage ou « chat » (conversation en temps réel par écran interposé) et le partage aisé de photos, de vidéos enregistrées ou de séquences en direct, dirigé par le praticien. C'est aussi un outil d'observance remarquable, qui permet aujourd'hui d'ajuster précisément la thérapeutique antalgique en tenant compte des variations individuelles et permettra aussi prochainement de relever des données issues des objets connectés.
L'éducation thérapeutique initiée dans la clinique vétérinaire et prolongée à domicile gagnera en efficacité (une vidéoassistance pourrait par exemple être proposée pour des techniques de massage des chiens arthrosiques).
Il existe donc des outils métiers facilitant les échanges et les partages avec les clients sous l'autorité du vétérinaire, qui garde la maîtrise des données, le choix du temps imparti pour la consultation et la possible monétisation de son acte à distance.