BI Journée mondiale des vétérinaires

Rage : la contamination d'un chat par une chauve-souris est exceptionnelle

La seule mesure de prévention raisonnable aujourd'hui est, comme cela a été fait aux Baléares, d'interdire l'accès aux grottes abritant des chauve-souris susceptibles d'être infectées.

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Jeanne BRUGÈRE-PICOUX

Membre de l'Académie vétérinaire de France et de l'Académie nationale de médecine

Santé publique

Comme nous l'avons rapporté précédemment (lire ici), le 7 mai, un cas de rage lié à une morsure de chauve-souris a été confirmé chez un chat, en Côte-d'Or. Il s'agit du troisième cas de ce type sur notre territoire. Des études ont démontré le caractère exceptionnel du risque de transmission de la rage par les chauves-souris européennes et confortent ainsi la décision prise en Europe de les protéger en ne détruisant pas les colonies dans lesquelles le virus rabique circule.

La rage est une maladie systématiquement mortelle lorsque les symptômes apparaissent. Elle provoque près de 59 000 décès annuels dans le monde.

Chaque année, près de 30 millions de personnes reçoivent un traitement prophylactique après une exposition permettant d'éviter le développement de la maladie.

Le plus souvent, la maladie est transmise par la morsure par un chien enragé mais d'autres animaux domestiques et sauvages peuvent transmettre cette maladie dont les chauves-souris (voir figure). 

Depuis 1954, plusieurs génotypes de lyssavirus, dénommés European bat lyssavirus (EBLV) ont été isolés de chauves-souris en Europe. La plupart des EBLV sont du type 1 et sont distribués très largement en Europe, de la Russie jusqu'à l'Espagne.

L'EBLV de type 2, moins fréquent, est surtout rencontré aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, à la Suisse, à l'Allemagne et à la Finlande.

45 espèces infectées en France

En France, selon Bourhy (2010), 45 chauves-souris (sur 1 900 espèces différentes analysées) ont été confirmées infectées de 1989 à 2009, l'espèce Eptesicus serotinus étant presque exclusivement impliquée.

Lorsqu'elles sont infectées, ces chauves-souris présentent souvent un comportement anormal, des difficultés pour voler, voire une activité en plein jour pouvant favoriser un contact à risque avec l'Homme ou un animal domestique.

Le Centre national de référence de la rage (CNRR) a identifié, la semaine du 4 mai, un lyssavirus appartenant à l'espèce European bat 1 lyssavirus (EBLV-1) de sous-type b chez un chat originaire de Source-Seine (21), expédié par le Laboratoire départemental de Côte d'Or.

Ce chat domestique avait présenté une modification brutale de son comportement le 25 avril et un prélèvement pour recherche de rage a été réalisé après son décès et expédié au CNRR par les services vétérinaires car le chat avait été à l'origine d'exposition humaine (morsure et griffures) (en vertu de l'arrêté du 21 avril 1997 relatif à la mise sous surveillance des animaux mordeurs ou griffeurs visés à l'article 232-1 du Code rural).

Typage moléculaire

L'encéphale de l'animal a été reçu au CNRR le 6 mai et le diagnostic d'infection par un lyssavirus a été confirmé de façon définitive le 7 mai par des techniques d'immunofluorescence directe et d'isolement viral sur culture cellulaire. Le typage moléculaire du virus identifié a montré qu'il s'agissait d'un lyssavirus appartenant à l'espèce EBLV-1 de sous-type b. Plus précisément, ce virus appartient au cluster B1, rassemblant des souches virales circulant préférentiellement dans l'Est de la France (Troupin et al., 2017).

Un pourcentage de près de 99,8 % d'homologie (séquence nucléotidique complète) a été montré entre ce virus et un isolat précédemment diagnostiqué en 2008 au laboratoire chez une sérotine commune (N/Ref : 08341FRA) provenant d'Aillant-sur-Tholon (89).

Les personnes exposées à cet animal (morsures, griffures ou léchage de peau lésée ou muqueuses) ont été prises en charge au Centre anti-rabique de Dijon afin de bénéficier d'une prophylaxie post-exposition.

Autres cas en Europe

Il s'agit du troisième cas observé chez des chats domestiques en France, après deux cas rapportés en 2003 et en 2007 (Dacheux et al., 2009). Le premier cas a concerné une chatte âgée de 6 mois retrouvée dans un jardin public à Vannes et suspectée du fait d'une agressivité suivie d'un décès brutal. Le deuxième cas a été observé en Vendée chez une chatte décédée après des troubles nerveux (agressivité notamment). Ces deux chats étaient infectés par les virus EBLV-1 de type 1b (à Vannes) et 1a (en Vendée).

D'autres cas de rage ont pu être observés en Europe chez d'autres espèces animales, comme le mouton (au Danemark en 1998 et 2002) ou la fouine (en Allemagne en 2001), l'infection expérimentale ayant pu être reproduite expérimentalement chez le mouton et le renard.

On a pu observer aussi l'infection de deux colonies de chauves-souris (Roussetus aegyptiacus) qui ont dû être éliminées dans des zoos au Pays-Bas et au Danemark, en 2000 et 2002 respectivement.

Aussi chez l'Homme

L'Homme n'a pas été épargné avec quatre cas référencés suite à une morsure de chauve-souris : le premier a concerné une jeune fille de 15 ans en Ukraine en 1977, le deuxième une jeune fille de 11 ans en Russie en 1985, le troisième un biologiste suisse ayant été mordu par des chauves-souris en Malaisie puis en Suisse 4 ans et un an avant son décès en Finlande en 1985, puis le quatrième cas en Écosse chez un biologiste travaillant sur les chauves-souris, décédé en 2002, ces deux derniers cas étant les seuls liés à une infection par un EVLV-2 (Fooks et al, 2003).

Ces évènements doivent être considérés comme exceptionnels et aucun cas de transmission d'un animal terrestre infecté vers l'Homme n'a été rapporté à ce jour (mais, par précaution, un traitement prophylactique contre la rage est toujours instauré).

Contaminante pendant 5 jours

Une étude franco-espagnole (Amengual B et al., 2007) rapportant le suivi de 800 chauves-souris insectivores de l'espèce Myotis myotis aux îles Baléares, en Espagne, sur une période de 12 ans, a permis de noter que les infections survenaient par vagues, dont la période variait dans le temps en fonction du taux d'individus présentant une immunité humorale, sans observer forcément un changement de comportement permettant de suspecter l'infection, comme c'est le cas des sérotines communes en France ou chez d'autres animaux infectés, ni de mortalité, contrairement à ce qui survient chez les réservoirs animaux terrestres des virus rabiques (renards, chiens...).

Les chercheurs ont pu calculer que la chauve-souris infectée était contaminante pendant 5 jours, montrant ainsi que le risque de transmission de la maladie est limité dans le temps et non persistant.

Cette étude démontre le caractère exceptionnel du risque de transmission de la rage par les chauves-souris européennes et conforte la décision prise en Europe de les protéger en ne détruisant pas les colonies dans lesquelles il y a de la rage.

Le risque vient essentiellement des animaux importés

La seule mesure raisonnable aujourd'hui est, comme cela a été fait aux Baléares, d'interdire l'accès aux grottes abritant des chauve-souris susceptibles d'être infectées.

Rappelons qu'il est strictement interdit en France et en Europe de tuer, de capturer, de transporter ou de commercialiser des chauves-souris, qu'il ne faut pas chercher à attraper une chauve-souris malade ou toucher un cadavre de chauve-souris, et qu'il est vivement conseillé en cas de morsure, griffure ou léchage par de tels animaux de consulter rapidement un centre anti-rabique.

Comme le souligne notre confrère Hervé Bourhy, directeur du Centre national de référence de la rage à l'Institut Pasteur de Paris, le risque de rage en France vient essentiellement d'animaux (chiens, singes) importés illégalement.

On se souvient de l'épisode du chiot importé du Maroc qui avait déclenché, lors de l'été 2004, une alerte à la rage sur le territoire français.

Bibliographie

Amengual B et al. Temporal dynamics of european bat lyssavirus type 1 and survival of Myotis myotis bats in natural colonies ", PLoS ONE, 27 juin 2007. DOI : 10.1371/journal.pone.0000566.

Bourhy H. De la négligence à la réémergence de la rage. In Les maladies infectieuses exotiques. Risques d'importation et d'implantation en Europe. Brugère-Picoux J et Rey M. Rapports de l'Académie nationale de Médecine. Éd Lavoisier, Paris 2010. p. 117-132.

Dacheux et al. European Bat Lyssavirus Transmission among Cats, Europe. Emerg Infect Dis. 2009, 15, 280-284. DOI: 10.3201/eid1502.080637.

Fooks AR et al. European bat lyssaviruses: an emerging zoonosis. Epidemiol. Infect. (2003), 131, 1029-1039. DOI: 10.1017/S0950268803001481.

Troupin C et al. Host Genetic Variation Does Not Determine Spatio-Temporal Patterns of European Bat 1 Lyssavirus. Genome Biol Evol. 2017 Nov 1;9(11):3202-3213. DOI : 10.1093/gbe/evx236.


Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1530

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