Campagne Nature's variety

Qu'est-ce qu'un manager courageux ?

De Frédy Perez

« Le courage est la première des qualités humaines car elle garantit toutes les autres. » Aristote

La question posée ainsi laisserait à penser qu'il existe une essence du courage que nous pourrions écrire, décrire, décliner et théoriser. Or le courage s'approche autrement qu'au travers d'une essence. On ne tranchera pas ici le débat entre les philosophes qui perdure depuis l'Antiquité, notamment celui entre Platon et son élève Aristote. Pour Platon, la vertu désigne la pleine réalisation de la capacité propre de l'âme dans une perspective formelle, perspective toutefois volontaire qui signifie que l'on a des choix à poser 1. Aristote conteste cette essence du courage, au même titre que d'autres vertus comme la justice par exemple. Aristote pense que c'est dans le réel qu'il faut chercher la vertu du courage et non pas dans l'absolu d'une essence qu'il faudrait incarner. Aristote, pour qui le but de la vie est d'atteindre la vertu, prône le tâtonnement en prenant en charge le réel, en faisant de son mieux. Le courage tel que l'exprime Aristote, est un courage qui s'apprécie en situation, dans un contexte d'univers instable comme peut l'être celui de l'entreprise. Alors, qu'est-ce qu'un manager courageux ?

Où se situe le courage ?

Il est intéressant de voir que selon Aristote, et pour tous ceux qui se réclament de sa philosophie, le courage est une vertu empreinte de modération (médiété2). Le courage se situant au juste milieu entre la témérité et la lâcheté, ces deux pôles symétriques indiquent qu'il faudrait être aussi peu téméraire que lâche. Or, bien souvent en management, la témérité est confondue avec le courage, confondu lui-même avec l'audace etc. Comment ne pas se soucier des conséquences ? Le management ne devrait-il pas se méfier de cet amour du risque inconsidéré, parfois juste pour se sentir vivant, voire frôler la mort (de soi, de son entreprise...). Notons que le courage n'est pas dépourvu du sens du risque : le manager reste responsable mais en anticipant, en décidant en toute connaissance de cause. Dans le courage il reste donc le risque, mais il est mesuré par l'intelligence et le sens des responsabilités, il est donc réduit à son minimum.

Un courage de raison

Que peut bien vouloir signifier pour le manager un courage de raison ? Est courageux celui qui est capable d'endurer le risque, « au milieu des périls les plus grands et les plus glorieux » nous dit Aristote. Le responsable se considère-t-il courageux et en quoi peut-il l'être ? Selon Aristote, ses actes doivent être guidés par la raison, cela signifie qu'il doit acquérir la conviction que soutenir les périls en question est ce qui beau, c'est-à-dire au sommet du système des valeurs de la cité. Nous pouvons supposer qu'en management, ce qui est au sommet, c'est l'intérêt supérieur de l'entreprise qui lui-même correspond à la préservation des individus qui y travaillent. Il n'y a pas de véritable courage sans noblesse du motif de l'action. Le courage est donc guidé par la raison, il nécessite un but noble et il est socialement construit de manière à écarter ce qui n'est que l'apparence du courage et qui n'est qu'une forme de bravoure. Il s'agit alors de réconcilier acte et parole, fermeté et connaissance afin de clarifier la vertu du courage.

Les modalités de la lâcheté

Si être courageux c'est viser le juste milieu entre témérité et lâcheté, quelles sont les modalités qui empêchent le courage et qui invitent plutôt à la lâcheté ? Rechercher toutes les bonnes raisons de ne pas passer à l'action, faire preuve de mauvaise foi, invoquer en permanence la conjoncture, ne pas avoir les bonnes personnes dans son équipe, déplorer le manque de moyens... sont autant d'autolimitations. Toutefois la peur de l'échec reste le premier facteur du manque de courage au point de ne même pas envisager un essai. Enfin, il existe un autre travers (souvent maquillé en vertu) particulièrement répandu qui peut faire que l'individu est lâche, c'est le perfectionnisme : « je ne suis pas prêt », « quand je serai prêt... » etc. Et si en définitive, le courage était plutôt la capacité « d'y aller » ? Lorsque tous les éléments ne sont pas réunis pour agir maintenant, c'est là que se situe le véritable couragec'est là que se situe le véritable courage. Le secret de l'action c'est de s'y mettre aime à répéter le philosophe Alain.

Un courage par soumission

Qu'est-ce qui se rapproche le plus du véritable courage ? Devoir agir courageusement sous contrainte, est-ce du courage ? Prenons l'exemple du courage des collaborateurs contrains par le manager ; ce type de courage peut légitimement être décrit comme d'ordre inférieur. En effet, agir par crainte, par peur d'une remontrance ou du déshonneur, ce n'est pas agir avec courage. Se montrer courageux, ici, n'est pas une visée vertueuse mais une soumission à une autorité. La fin visée par l'individu est toute autre (ne pas faire de vague par exemple) et n'a en aucun cas les traits du courage.

Lorsque l'expérience se déguise en courage

En quoi, quelquefois, l'expérience se prend-elle pour du courage ? Qu'en est-il de ce manager qui fort de son expérience, est capable d'identifier dans certaines situations des dangers : un manager expérimenté, dans telle situation, par exemple capable de faire la différence entre un danger et une situation sans véritable risque. Ici il y a une apparence du risque mais c'est l'expérience qui permet d'évaluer la véritable nature du danger. Non pas que l'expérience ne soit pas une grande qualité mais elle n'est pas du courage. Ainsi, un manager expérimenté peut paraître courageux en situation de dangers que seul lui sait être inoffensifs.

Lorsque les émotions prennent l'apparence du courage

Certaines situations managériales peuvent-elles générer une émotion si forte que l'action peut-être indument attribuée au courage ? Prenons l'exemple d'un manager qui serait en colère et agirait sous son emprise : le comportement, l'attitude non verbale, les choix opérés sous l'emprise de la passion peuvent-ils être considérés comme du courage ? Ce courage, s'il en est un est primaire au point de pouvoir dire qu'il n'existe que sous condition d'une émotion forte. Pouvons-nous donc qualifier de courageux l'individu aiguillonné par des passions ? Agit-il réellement courageusement ? Le manager n'est-il pas courageux uniquement lorsqu'il est guidé par la raison en poursuivant un but noble ?

Lorsque la confiance est illusion du courage

Peut-il arriver qu'un individu, fort de victoires passées, puisse aborder une situation présente non pas avec courage mais grâce au fait d'être rassuré ? Combien de situations difficiles et ayant été surmontées peuvent donner le sentiment que nous convoquons le courage alors que nous traitons la problématique présente grâce à la confiance en soi (prendre la parole en public par exemple) ? Le courage procuré par la confiance n'est pas un véritable courage, il est néfaste de confondre une qualité par une autre. Cette confiance permet parfois au manager de penser qu'il n'a rien à craindre car il a déjà résolu ce genre de problème. Malheureusement, cette illusion (trop) rassurante n'était peut-être pas la qualité requise aujourd'hui face à un nouveau problème et un revers peut survenir par manque de courage justement. Le courage de ne pas répéter un schéma habituel pourrait cependant être ici, en lieu et place de la confiance, un courage véritable.

Ignorer le danger, est-ce du courage ?

Quelquefois, le manager doit faire face à un danger qu'il ne perçoit pas. Comment peut-il s'inquiéter dès lors que le danger n'est pas perçu ? Peut-on parler de courage lorsqu'il fonce aveuglément ? En quoi cette inconscience pourrait-être être du courage ? L'inconscience du danger ne s'apparente en aucun cas avec le courage et donc n'a aucune vertu.

Avoir une éthique du courage c'est assumer que la vision absolue de Platon est très exigeante : L'Etre courageux. S'agissant d'incarner l'Être courageux nous pouvons en effet nous demander si cela est réellement accessible pour le commun des managers ? A défaut, pouvons-nous humblement envisager de faire vivre (plutôt qu'incarner), comme le suggère Aristote, la valeur du courage ? « L'homme courageux est à l'épreuve de la crainte autant qu'homme peut l'être. Aussi, tout en éprouvant même de la crainte dans les choses qui ne sont pas au-delà des forces humaines, il leur fera face comme il convient et comme la raison le demande, en vue d'un noble but » 3. Le courage est donc cette vertu personnelle, consciente et volontaire, conforme à des valeurs elles-mêmes choisies. Ces valeurs souhaitées et profitables pour le plus grand nombre sont conduites au nom d'un motif noble. Et même s'il s'agit d'une vertu individuelle, le courage est donc politiquement construit et s'insère dans un faisceau de représentations de l'entreprise qui indique à tous ses membres ce qui est noble ou ne se fait pas, pour éloigner les écueils de la témérité et de la lâcheté.

 

Article paru dans La Dépêche Technique n° 200

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