Propagande - La manipulation de masse dans le monde contemporain
Samedi 21 Mars 2020 Lecture 41788Thierry JOURDAN, docteur vétérinaire
Il n'a échappé à personne que nous étions entrés dans un monde de la post-vérité et des fake-news. Il sera donc utile de prendre du recul sur l'histoire de la propagande. Celle-ci est née sur le terreau de la démocratie naissante à Athènes puis à Rome et n'est donc pas qu'une arme au service de la dictature ou des totalitarismes.
David Colon, agrégé d'histoire et chercheur à Sciences Po, enseigne l'histoire de la propagande, les techniques de persuasion et l'éthique de la communication. L'utilisation moderne et massive de la propagande survient lors de la révolution française parce qu'il fallait gouverner l'opinion ou être gouvernée par elle. Dans le domaine des entreprises, ce sont les sociétés minières, les sociétés de transports qui vont utiliser la propagande pour gérer les accidents et leur exposition médiatique au tournant du XXe siècle. Les travaux de psychologues sociaux comme Gustave Le Bon ou le philosophe Tarde vont mettre à jour les mouvements des foules, la notion de masse. C'est avec la presse que se coaguleront les opinions du grand public avec des diffusions par millions d'exemplaires.
La propagande moderne prend son essor avec la première guerre mondiale, d'abord en Grande-Bretagne puis aux Etats-Unis avec l'utilisation de leaders d'opinion.
Edward Bernays et Walter Lippman sont les théoriciens de la propagande qui devient un outil pour modeler et façonner la volonté du peuple. Les notions de stéréotype et de fabrique du consentement apparaissent. Pour eux, seule une oligarchie peut gouverner et entraîner le peuple. Harold Lasswell fera de la propagande une science et élabore les techniques de communication.
Surviennent dans les années 20 la production de masse et le consumérisme, et la propagande prend la nouvelle forme de la publicité. Les sondages d'opinion émergent dans le mitan des années 30 et seront largement utilisés aux États-Unis durant la seconde guerre mondiale. L'après-guerre et ses besoins notamment dans le cadre de la guerre froide aboutit dans les démocraties occidentales à la fabrique du conformisme.
La propagande a aussi une face sombre s'apparentant au viol des foules tels que l'utilisation des symboles ou le matraquage totalitariste de phrases simplistes.
Les sciences sont recrutées, de la psychologie sociale au neuromarketing, afin d'étudier comment influencer et orienter les individus et foules pour la consommation ou les élections, pour les manipulations mentales mais encore pour les besoins de la santé publique et des bonnes pratiques. La méthode douce pour inspirer la bonne décision s'appelle le Nudge. D'inspiration néolibérale, c'est un paternalisme libertaire d'efficacité correcte pour améliorer la propreté des espaces publics, pour augmenter la marche dans les escaliers, pour changer modérément les comportements.
La parole est évidemment traitée avec toutes ses techniques de manipulation, d'euphémisation et l'utilisation de la radio. S'ensuit l'avènement de l'âge narratif au travers du storytelling : les politiques, les marques inventent des histoires qui font sens au moment de proposer un produit. Les nations évidemment remodèlent l'histoire, fabriquent des symboles, occultent des évènements pour proposer un projet de civilisation ou se dresser contre d'autres nations.
La télévision est un prodigieux instrument de propagande par l'image. Des tableaux étaient déjà des outils d'influence et les affiches puis les photographies encore plus, le cinéma au travers des informations et des scénarios de films aura son influence. Mais la massification de cet objet consumériste par excellence qu'est la TV sera pendant plusieurs dizaines d'années le média le plus utilisé pour la propagande ou pour la publicité. Chaque média est traité en profondeur et les guerres modernes analysées et remises en perspective pour les messages qu'elles veulent faire passer à l'opinion.
En 2004, pour la première fois, le terme de post-vérité est utilisé pour qualifier le règne d'une information marquée par un relativisme généralisé. L'expression est reprise par un journaliste, David Roberts, pour qualifier les climato-sceptiques. C'est en 2016 que cette notion exprime l'avènement d'une ère politique. La perte de confiance des médias traditionnels, la perte de la neutralité dans les débats publics par la création de chaines télévisées très orientées, l'utilisation massive des tablettes et ordinateurs qui ont considérablement abaissé les capacités de concentration, d'attention et de discernement ont permis l'élection de nombreux populistes.
C'est ainsi que les rumeurs, les complots deviennent des armes de manipulation massive sur le net, mais le net lui-même fournit les informations aux manipulateurs pour amplifier la propagande individualisée et influencer les opinions et les élections, ou déstabiliser une nation concurrente. Internet est encore un instrument de cloisonnement idéologique où les consommateurs recherchent des informations qui les confortent et les algorithmes fournissent des produits mésinformationnels supplémentaires.
Les industries ou multinationales fabriquent aussi du mensonge, le tabac en était le maître étalon en termes de propagande. Mettre l'opinion dans sa poche, discréditer les adversaires par tous les moyens, créer de la peur sur d'autres sujets, décrédibiliser la science, présenter des faits alternatifs, gagner la cause d'experts et décideurs par lobbying ou financements de projets, l'information est militarisée.
Militaires sont les actions des russes surtout par terrorisme informatique, par la création d'usine à trolls.
Nous sommes dans l'âge de la propagande totale.