Pourquoi les femmes vétérinaires sont plus stressées que leurs confrères ?

© David Quint

Auteure : Charlotte Devaux

Dans un sondage publié par le SNVEL*, les femmes vétérinaires rapportaient être plus stressées que leurs confrères face à la crise du Covid-19 : 55 % se déclaraient très ou assez stressées contre seulement 31 % des hommes. Pendant ce temps-là, dans le milieu académique, il a été noté que moins de femmes rendaient des publications depuis le début du confinement 1 alors qu'à l'inverse, les hommes en proposaient davantage qu'avant. Ce qui signifierait qu'ils ont plus de temps que d'ordinaire. Quelles hypothèses face à cette disparité ? Que disent les chiffres et les études sur ce sujet ?

Si, à première vue, la crise semble plus stresser les femmes que les hommes, il n'existe pas d'enquête similaire hors crise comme groupe témoin. Une des hypothèses pourrait donc être que le stress « basal » des femmes praticiennes libérales serait en permanence plus élevé que celui de leurs confrères. Cette hypothèse serait cohérente avec les chiffres obtenus chez les salariées ainsi que dans la population générale. Ainsi, l'Observatoire du Stress au Travail a fait une étude 2 sur plus de 30 000 salarié.es entre janvier 2013 et juin 2017 dans laquelle les résultats sont également en faveur d'un stress plus important chez les femmes : 28 % de femmes sont en hyperstress contre 20 % d'hommes et 46 % de femmes sont avec peu de stress contre 55 % d'hommes.

Concernant la source de ce stress, un sondage OpinionWay 3 sur « les français et le stress » réalisé sur 1000 personnes en octobre 2017 donne des chiffres susceptibles de nous éclairer. Si on retrouve un stress plus important chez les femmes avec 60 % qui se disent stressées contre 38 % des hommes, l'information la plus intéressante dans ce sondage réside dans la hiérarchie des causes de ce stress. Pour les hommes, la principale cause de stress est la vie professionnelle, suivie des problèmes financiers puis des problèmes de santé, tandis que pour les femmes, la première source de stress est la vie personnelle, suivie des problèmes financiers et enfin de la vie professionnelle. Le recoupement de toutes ces données permet de penser que les femmes vétérinaires sont effectivement plus stressées que leurs confrères mais probablement par leur vie personnelle et non professionnelle.

* Le Syndicat national vétérinaire d'exercice libéral (SNVEL) a entrepris une enquête réalisée par l'institut Imago Research (site Internet : www.imagoresearch.com) auprès d'un échantillon national représentatif de 215 praticiens libéraux, sondés par téléphone, du 8 au 11 avril 2020, et qui visait à évaluer leur ressenti face à la crise sanitaire actuelle.

Le profil de l'échantillon enquêté comportait une majorité de vétérinaires canins (57 %) et des praticiens répartis sur toute la France.

Le stress des femmes dû à une répartition inégale des tâches ?

Retour aux chiffres, les données de référence concernant les taches ménagères sont issues de l'enquête « emploi du temps » réalisée périodiquement par l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques). La dernière date de 2010 4 et les chiffres sont sans équivoque : le temps domestique par jour pour les salariés hommes est de 2h06 contre 3h27 pour les femmes. Ce temps inclus le bricolage, le jardinage et le temps consacré aux animaux et aux enfants. En ne s'intéressant qu'aux tâches ménagères pures, toujours chez les salarié.es, les hommes y consacrent 1h11 par jour contre 2h36 pour les femmes.

Chez les indépendant.es, c'est pire. Si les femmes gardent le même temps de taches ménagères (2h37), les hommes eux n'y consacrent plus que 52 minutes. Il serait tentant de penser que les choses se sont surement améliorées depuis 2010, cependant cela semble peu probable d'après un rapport de l'INSEE de 2012. En effet, celui-ci stipule : « En 2010, les hommes effectuent 2h13 de tâches domestiques en moyenne par jour (contre 4h01 pour les femmes), soit une durée équivalente à celle effectuée en 1999 (2h13) et 1986 (2h07). Pourtant en 25 ans, leur durée moyenne de travail professionnel s'est écourtée de 32 minutes ».

Ces chiffres sont identiques sur le plan international. Les danois qui sont les hommes qui passent le plus de temps dans le monde à effectuer du travail non rémunéré (donc des tâches ménagères et parentales), y passent toujours moins de temps que les femmes qui en font le moins dans le monde : les norvégiennes.

Même au sein des couples qui font appel à une aide-ménagère, ce sont toujours les femmes qui assument la plus grande partie du travail non rémunéré restant. Chose intéressante, lorsque des discussions ont lieu sur le partage des tâches au sein des couples, par exemple sur les groupes professionnels sur les réseaux sociaux, si tout le monde est d'accord pour dire que ces chiffres sont injustes, tout le monde trouve, qu'à titre personnel, ils ont de la chance car chez eux, ce n'est pas comme cela, homme et femmes confondues.

Le sociologue François de Singly s'est intéressé à cette question, dans son livre « L'injustice ménagère ». Il rapporte une étude de 1994 qui comparait les ressentis des personnes et leurs activités réelles. Les hommes qui jugeaient la répartition du travail ménager équilibrée dans leur couple faisaient un tiers des tâches alors que les femmes qui trouvaient la situation « juste pour les deux » en faisaient les deux tiers. Pour que les femmes perçoivent la distribution des tâches domestiques comme injuste, il fallait qu'elles assurent les trois quarts de celles-ci.

Dans son livre « Libérées », la journaliste Titiou Lecoq propose une explication à ce phénomène. « Personne n'a envie de critiquer son propre couple. D'ailleurs c'est souvent quand le couple traverse une crise que la même inégalité qui était jusque-là supportable devient brusquement insupportable ».

En attendant « les statistiques qui pointent cette inégalité et qui pourraient fonctionner comme un électrochoc ont l'effet inverse. Elles renforcent l'inégalité en donnant à chaque individu l'impression qu'il s'en sort mieux que la moyenne des autres Français.es ».

Pour quantifier précisément la part de tâche ménagère réalisée par chacun, il existe l'application Maydée qui permet de chronométrer le temps passé par chacun. Seul moyen fiable de savoir si son couple échappe effectivement aux statistiques.

Charge mentale, les femmes stressées de devoir penser à tout ?

La charge mentale est la gestion, l'organisation et la planification constantes des tâches domestiques et parentales.

D'après un sondage IPSOS (entreprise de sondages française) 5, deux tiers des femmes disent la subir de manière excessive contre seulement un tiers des hommes. Dans cette étude, 77 % des femmes déclarent avoir trop de choses auxquelles elle doivent penser et avoir peur d'en oublier.

Le sociologue Jean-Claude Kaufmann analyse les résultats de cette étude de la façon suivante : « Les activités masculines relatives au foyer relèvent moins de la gestion du quotidien : bricoler, jardiner, sortir les poubelles, nettoyer et réparer la voiture. Elles peuvent parfois même être assimilées à des loisirs. Les femmes, elles, sont généralement au coeur de l'intendance du foyer et les activités qui leur échoient sont d'une toute autre ampleur : entretien du linge, ménage, cuisine, enfants. D'où la charge mentale dont elles sont victimes, car elles doivent à la fois faire l'essentiel, et toujours anticiper, réfléchir à la résolution des problèmes, coordonner la logistique de l'ensemble. Elles portent donc les angoisses de leurs responsabilités, ce qui peut produire de fortes insatisfactions ».

Dans son essai, Titiou Lecoq ajoute : « Les calculs officiels masquent une grande partie de la réalité. Par exemple dans les cas où le père emmène un enfant chez la pédiatre, c'est quasiment toujours la mère qui a pris le rendez-vous. Dans les statistiques, il est donc noté que le père a fait la tâche, mais en réalité il a été un exécutant et la femme en a conservé la charge mentale. Et même quand la tâche n'est effectuée par aucun des deux, par exemple dans le cas de l'emploi d'un.e aide-ménagère, c'est la femme qui va l'embaucher et régler tout l'administration afférente. De même pour la nounou, la baby-sitter, l'obtention d'une place en crèche, l'inscription à la cantine, au centre de loisirs ou l'organisation des activités extrascolaires. »

Penser le travail en fonction des contraintes des femmes

Quelles solutions pour mieux répartir les tâches domestiques et la charge mentale ? Les pays où les tâches sont les mieux réparties ont en commun une politique de congés paternité et parentaux incitative pour les pères. Ainsi, en Suède, trois mois du congé parental sont ainsi réservés au père et indemnisés à hauteur de 90 % du salaire. Prendre très tôt leur place auprès de leurs enfants pendant que la mère retourne au travail permet ainsi de découvrir la charge mentale associée et de mieux la partager par la suite.

A un niveau plus individuel, celui de nos petites entreprises, diminuer le stress des femmes pourra être effectué en tenant compte du fait que celles-ci ne sont pas toujours des salariées sans contraintes, étant bien souvent le « parent par défaut » : celui que l'école appellera en premier si l'enfant est malade. Des exemples de politiques women-friendly existent : offrir du temps et un espace pour pouvoir tirer son lait au travail, bannir les réunions tard le soir, considérer les frais de baby-sitting pour assister à un événement comme des frais professionnels (au même titre qu'une chambre d'hôtel).

Dans notre profession, une réflexion pourrait être menée sur la PCS (permanence et continuité des soins) pour les parents célibataires, qui sont souvent des femmes.

Le constat est posé, les chiffres sous nos yeux, il ne tient qu'à nous, vétérinaires et instances dirigeantes, de nous en saisir pour rétablir l'équilibre.

Références bibliographiques

1."Women Academics Submitting Fewer Papers to Journals during Coronavirus - The Lily," accessed May 25, 2020,
https://www.thelily.com/women-academics-seem-to-be-submitting-fewer-papers-during-coronavirus-never-seen-anything-like-it-says-one-editor.

2. "Eclairage-Observatoire-Sante-Psychologique-Au-Travail.Pdf," accessed May 25, 2020,
https://www.stimulus-conseil.com/wp-content/uploads/2018/04/Eclairage-Observatoire-Sante-Psychologique-au-Travail.pdf.

3. "Edocman.Pdf," accessed May 25, 2020,
https://www.opinion-way.com/fr/component/edocman/?task=document.viewdoc&id=1762&Itemid=0.

4."L'emploi Du Temps En 2010 - Insee Résultats - 130," accessed May 25, 2020,
https://www.insee.fr/fr/statistiques/2118074.

5. "O2_chargementale_infographie.Pdf," accessed May 25, 2020,
https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2018-02/o2_chargementale_infographie.pdf
.

Article paru dans La Dépêche Technique n° 180

Envoyer à un ami

Mot de passe oublié

Reçevoir ses identifiants