Plainte pour harcèlement et discrimination sexiste à l'ENVA : le SNVEL appelle à la lucidité, à l'écoute et à la responsabilité collective
Pour notre confrère David Quint, président du SNVEL, il s'agit de défendre la justice, pas un camp.
© Jacques Graf
Société
Réagissant à la plainte déposée pour harcèlement et discrimination sexiste à l'école vétérinaire d'Alfort, le Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral appelle à ne pas céder à la défense réflexe ni à la condamnation sommaire et alerte sur le risque d'emballement médiatique. Il ne confond cependant pas le soutien que le syndicat accorde à l'établissement à de l'aveuglement et s'en remet à la justice.
■La Dépêche Vétérinaire : Quelle a été votre réaction aux révélations publiques et à l'enquête en cours sur des faits présumés de harcèlement et de discriminations à l'école vétérinaire d'Alfort ?
David Quint, président du SNVEL* : Comme beaucoup, j'ai été profondément choqué par la gravité des accusations portées et par la violence médiatique. Mais j'ai aussi ressenti de la tristesse : tristesse pour les personnes qui disent avoir souffert mais aussi pour l'ensemble d'une communauté éducative soudain jetée dans la tourmente.
Il est essentiel, dans une telle situation, de maintenir deux principes : la présomption d'innocence d'un côté et le respect inconditionnel de la parole de celles et ceux qui témoignent de l'autre. Nous devons pouvoir tenir ces deux exigences sans céder ni à la défense réflexe, ni à la condamnation sommaire.
■ D.V. : Le SNVEL soutient-il la direction de l'école ?
D.Q. : Oui, sur un plan institutionnel, le SNVEL soutient la nécessité de défendre l'honneur et la réputation d'un établissement public prestigieux, pilier de la formation vétérinaire française.
Mais ce soutien ne signifie pas aveuglement. Il s'agit de défendre la justice, pas un camp. Nous savons que les faits devront être examinés par la justice, et c'est à elle qu'il appartiendra de dire le droit.
En attendant, la communauté vétérinaire doit éviter de s'abandonner aux jugements de réseaux ou aux emballements médiatiques.
■ D.V. : Vous parlez de souffrances réelles. Le rapport Truchot montre-t-il que le problème dépasse le cas d'Alfort ?
D.Q. : Tout à fait. Le rapport Truchot, commandé par les écoles nationales vétérinaires (ENV), met en évidence un mal-être étudiant diffus dans toutes les ENV (lire DV n° 1770), sans distinction, mais, même au-delà, dans de nombreuses formations exigeantes (lire DV n° 1621, 1705 et 1766).
Les jeunes vétérinaires sont exposés à une pression académique, émotionnelle et financière considérable, parfois dès la prépa. Ce n'est donc pas un phénomène isolé mais un signal d'alerte global sur la santé mentale des étudiants et la qualité du climat institutionnel dans nos écoles. Et ailleurs !
■ D.V. : Comment concilier ce constat avec les accusations graves d'un « système sexiste » ?
D.Q. : Il faut être précis. Le sexisme, les discriminations ou le harcèlement ne sont tolérables nulle part et surtout pas dans un lieu d'enseignement.
Mais il serait aussi injuste de laisser croire qu'Alfort serait traversé par un « système » organisé de violences sexistes. Ce terme est peut-être excessif et ne rend pas justice aux nombreux enseignants, encadrants et étudiants qui oeuvrent chaque jour avec bienveillance. Toutefois, si certains ou certaines ont dépassé les limites admissibles, ils devront répondre de leurs agissements et être sanctionnés sans complaisance.
Nous devons traiter les faits, pas nourrir les fantasmes. C'est ainsi qu'on protège à la fois les victimes potentielles et la crédibilité des institutions.
■ D.V. : Quel rôle le SNVEL peut-il jouer dans ce contexte ?
D.Q. : Nous avons un rôle de médiation et d'appui collectif. Comme nous l'avons rappelé récemment, les praticiens sont en première ligne pour accueillir les jeunes diplômés, souvent fragilisés par leurs années d'études. Nous devons donc être partie prenante d'une réflexion de fond : comment préparer nos étudiants à entrer dans la vie professionnelle sans qu'ils s'y effondrent ? Nous avons d'ailleurs commencé, il y a déjà quelques mois, collectivement à notre initiative en réunissant celles et ceux qui y travaillent dans toutes les instances professionnelles.
Le SNVEL est prêt à collaborer avec les ENV, les associations étudiantes, le Conseil national de l'Ordre des vétérinaires, les organisations professionnelles vétérinaires, le ministère et tous ceux qui veulent aider pour développer des dispositifs d'écoute, de mentorat et de prévention, y compris en associant les praticiens de terrain. Ces pistes ne sont pas exhaustives mais le travail doit concerner toutes les parties prenantes.
■ D.V. : Certains estiment que la profession n'a pas su anticiper ce malaise étudiant. Partagez-vous ce reproche ?
D.Q. : Nous avons sans doute tous, collectivement, sous-estimé la profondeur du mal-être. Pas seulement dans les écoles, d'ailleurs : les jeunes praticiens souffrent eux aussi d'un déséquilibre croissant entre engagement personnel, charge émotionnelle et reconnaissance.
Mais ce constat n'appelle pas qu'à l'autoflagellation : il appelle une prise de conscience partagée. Il faut maintenant transformer l'émotion en action constructive : mieux accompagner, mieux écouter, mieux réguler les charges et restaurer la confiance entre générations.
■ D.V. : Craignez-vous que ce scandale ne nuise durablement à l'image des écoles vétérinaires ?
D.Q. : Il faut éviter que cette crise se transforme en caricature. L'immense majorité des enseignants et des cadres des ENV sont des professionnels exemplaires, passionnés et engagés. Ce qui doit sortir renforcée de cette épreuve, c'est une exigence accrue de transparence et de bienveillance, pas une défiance généralisée.
Je crois profondément que les écoles sauront se relever, à condition de ne pas se recroqueviller sur la défense mais d'ouvrir un dialogue sincère avec les étudiants et les praticiens.
Cette affaire nous rappelle que nos institutions ne sont pas infaillibles mais qu'elles demeurent indispensables. Plutôt que de dresser les uns contre les autres, faisons de ce moment un tournant collectif vers plus d'écoute, plus d'humilité et plus d'exigence.
Je veux redire ma solidarité à toutes celles et ceux qui souffrent - comme à ceux qui se sentent injustement mis en cause - et réaffirmer la responsabilité partagée de toute la profession dans la construction d'un environnement d'apprentissage sûr, respectueux et humain. ■
* SNVEL : Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral.





