« Notre pays est passé à côté d'une approche One Health lors de la crise Covid »
Mercredi 14 Octobre 2020 Vie de la profession 37579Jean-Yves Gauchot est président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France.
© M.J.
Le confinement lié à la Covid-19 a été pour nombre d'acteurs de santé publique une intense période de réflexion sur ce qu'il serait possible de faire pour prévenir de nouvelles pandémies. Trois organisations très impliquées sur les enjeux associant santé et environnement se sont tournées vers la Fédération des syndicats vétérinaires de France pour essayer de faire évoluer la situation.
■ La Dépêche Vétérinaire : Le concept One Health (faisant le lien entre les trois santés : humaine, animale et environnementale) est sur toutes les lèvres mais est-il vraiment mis en pratique en France, notamment à la lumière de la crise due à la Covid-19 ?
Jean-Yves Gauchot, président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF) : Grâce à l'action conduite depuis une quinzaine d'années par l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE), en partenariat avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le concept One Health/Une seule santé est désormais largement présent dans le débat public. C'est une très bonne chose !
Ce concept a été également mobilisé pour conduire des actions efficaces dans certains domaines, comme l'a montré le plan de lutte contre l'antibiorésistance, avec une très forte implication de la profession vétérinaire.
Cependant, la pandémie liée à la Covid-19 a montré dans notre pays que la mise en pratique de ce concept devait surmonter de nombreux blocages, notamment du côté du ministère de la Santé.
Pour lutter efficacement contre une maladie contagieuse, chacun sait qu'il faut organiser rapidement un dispositif de dépistage virologique et sérologique. Or, il aurait été possible, dès le mois de mars, d'utiliser des réactifs mis au point en France par des professionnels de la santé vétérinaire et de mettre à disposition les outils analytiques de nos laboratoires vétérinaires. Deux mois ont été perdus au début de la pandémie, avec des conséquences qu'il est difficile de mesurer.
Dans de nombreux pays, les autorités sanitaires ont su mobiliser les compétences vétérinaires afin de renforcer leur dispositif de santé.
En France, malheureusement, nous avons constaté un manque de pragmatisme des autorités sanitaires, lié certainement à une séparation excessive entre les deux médecines comme l'a montré il y a 10 ans le dossier de la biologie médicale humaine, qui s'est totalement coupée de la biologie vétérinaire.
Il est également possible que le poids de certains intérêts financiers ait joué un rôle négatif.
C'est certain, notre pays est passé à côté d'une approche One Health dans la gestion de cette crise.
■ D.V. : La FSVF a créé une alliance avec des ONG environnementales en phase avec ce concept. Quels sont les parties prenantes et les objectifs ?
J.-Y. G. : Le confinement a été pour nous tous une intense période de réflexion sur ce qu'il serait possible de faire pour prévenir de nouvelles pandémies.
Durant cette période, trois organisations très impliquées sur les enjeux associant santé et environnement se sont tournées vers la FSVF car il leur paraissait indispensable d'associer la profession vétérinaire qui se situe elle-même au carrefour des trois santés. Ces organisations sont :
- l'Association santé-environnement France (Asef), qui regroupe des médecins développant des actions sur le champ de la santé environnementale ;
- France nature environnement, qui regroupe au niveau national les associations de protection de la nature et de l'environnement ;
- Humanité et biodiversité, qui inscrit son action dans le cadre global de la préservation de la biodiversité, dont dépend l'humanité.
En s'associant à ces organisations, l'objectif de la FSVF est de permettre à la profession vétérinaire d'agir avec les acteurs de la santé humaine et de la santé des écosystèmes, afin de renforcer la prise en compte des interactions entre toutes les santés. Bien entendu, la FSVF associe dans sa démarche, au-delà des syndicats qu'elle représente, l'ensemble des organisations professionnelles vétérinaires, notamment techniques et ordinales.
Notre premier objectif a été de proposer des actions dans le cadre de la préparation du
4 e Plan national santé-environnement (PNSE). J'ai, à ce titre, été invité au groupe Santé Environnement qui s'est réuni au mois de juillet sous la présidence de la députée Elisabeth Toutut-Picard.
Le PNSE 4 devrait faire une large place à la prise en compte du concept One Health.
Nous préparons également, en partenariat avec VetAgroSup et la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, une conférence sur le thème « Prendre soin du vivant, une seule santé : en pratique ? », qui devrait se dérouler à Lyon, au début du printemps.
■ D.V. : VetAgro Sup a mis sur pied un diplôme One Health en pratiques. Peut-on aller plus loin pour le moment ?
J.-Y.G. : Ce diplôme est le meilleur exemple d'une approche décloisonnée entre toutes les santés, dont l'objectif est de permettre de renforcer le dialogue entre les différentes professions concernées en contribuant à une meilleure prise de conscience de l'unité du vivant.
La mise en pratique du concept One Health implique que les différentes professions disposent d'éléments de référence communs afin de construire une approche la plus large possible. Or, le fonctionnement administratif est cloisonné entre les différents ministères et administrations (santé, agriculture, environnement...) ainsi qu'entre les différents lieux de formation.
Le résultat est que le One Health des uns n'est pas le même que le One Health des autres et, lorsque qu'il faut passer à des actions concrètes, les référentiels de pensée ne sont pas les mêmes. Certaines difficultés rencontrées dans la lutte contre certaines maladies animales (quelles actions conduire à l'égard des animaux sauvages pour lutter contre la tuberculose bovine ou la brucellose bovine dans le massif du Bargy, par exemple) illustrent la nécessité de construire des approches partagées.
L'initiative de VetAgro Sup pourrait être étendue dans le cadre de formations organisées par les facultés de médecine et de pharmacie, les écoles d'ingénieurs d'agronomie ainsi que dans tous les lieux d'enseignement des sciences du vivant.
Il reste beaucoup à faire pour développer une approche One Health véritablement intégratrice des différentes santés. La formation a un rôle essentiel à jouer. La conférence prévue à Lyon contribuera à cet objectif. ■