Médecine vétérinaire comportementale : une nouvelle dominante avec plusieurs approches

58 % des vétérinaires constatent une fréquence de 10 à 30 % de troubles comportementaux au sein de leurs consultations.

© Isabelle Vieira

Maud LAFON

Exercice

A mesure que l'animal changeait de statut pour devenir un membre du foyer à part entière, une discipline a pris une importance croissante pour réparer les conséquences d'un traitement plus toujours approprié à son égard : la médecine vétérinaire comportementale. Si elle fait consensus dans sa nécessité et son importance au sein des cabinets aujourd'hui puisque les vétérinaires canins remarquent des troubles du comportement lors d'une consultation sur cinq1 , ce n'est pas le cas dans ses approches et le comportement est certainement un des domaines qui divise le plus la profession.

S'il y a un domaine qui ne fait pas consensus dans la pratique vétérinaire, c'est bien celui de la médecine vétérinaire comportementale canine et féline. On aurait pu croire que la reconnaissance officielle, en 2013, d'un collège européen dédié à la discipline améliorerait les choses. Il n'en est rien.

Ce dernier, qui comporte un volet médecine comportementale (ECVBM-CA2 ) et un volet bien-être animal (ECAWBM-AW3 ), n'a d'ailleurs été reconnu que pour sa première partie mais pas encore dans sa dimension bien-être animal qui est pourtant la plus développée aujourd'hui (104 personnes, vétérinaires ou non, certifiés versus 43, toutes vétérinaires sauf une qui a le statut d'associé, en médecine vétérinaire comportementale).

Discipline récente

Différents courants de pensée et d'approches thérapeutiques continuent donc de coexister avec plus ou moins de bienveillance mutuelle.

Est-ce le sort de toutes les disciplines « récentes » (l'ostéopathie en est un autre exemple) ? Peut-être car il est sûr que la médecine vétérinaire comportementale n'a fait son apparition dans l'enseignement et sur le terrain qu'il n'y a qu'une petite trentaine d'années.

Notre confrère belge Joël Dehasse, dip. ECAWBM-CA et pionnier dans la discipline qu'il aborde sous l'angle zoopsychiatrie, définit la médecine vétérinaire comportementale comme « l'application au comportement animal du modèle médical centré sur la notion de pathologie (maladie) » et l'oppose à l'éthologie. Une vision que ne partagent pas tous les pratiquants.

Pour d'autres vétérinaires comportementalistes, spécialistes ou non, ce sont justement les conditions environnementales et la qualité de vie dont jouit l'animal qui impactent son comportement, l'individu n'étant pas intrinsèquement malade.

Naissance de la zoopsychiatrie en 1994

Rappelons que la zoopsychiatrie est née en 1994 suite à la publication de l'ouvrage Pathologie comportementale du chien par notre confrère Patrick Pageat.

Les thérapies utilisées en médecine vétérinaire comportementale diffèrent logiquement selon les approches, les zoopsychiatres privilégiant la prescription médicamenteuse quand d'autres préfèrent miser, tout au moins initialement, sur une thérapie comportementale.

Pour éviter de froisser les uns et les autres, on peut reconnaître qu'associer les deux approches est souvent bénéfique.

Intérêt surtout chez les jeunes

Quoi qu'il en soit, la discipline ne laisse pas les vétérinaires indifférents et c'est nécessaire : plus de la moitié des vétérinaires (58 %) constatent une fréquence de 10 à 30 % de troubles comportementaux au sein de leurs consultations d'après une enquête réalisée en 2017 avec une fréquence moyenne de 19 % 1 . Pourtant, seuls 37 % des praticiens interrogés à cette occasion proposaient une consultation spécialisée de comportement.

Ils ont été longs à se l'approprier, laissant le champ libre à l'essor de professionnels divers et variés, des éducateurs sérieux aux chuchoteurs et autres communicants animaliers pas toujours honnêtes, et ne sont donc visiblement pas encore tous sensibilisés à la question. Cependant, les jeunes praticiens surtout en semblent de plus en plus férus. Les professeurs des écoles vétérinaires le confirment : cet enseignement fait partie des plus suivis et appréciés.

Il faut dire qu'en plus de l'examen de l'animal en lui-même, la médecine vétérinaire comportementale comporte un volet relationnel avec le propriétaire et l'entourage qui peut être passionnant à explorer.

Quatre diplômes

Outre la formation initiale dispensée dans les écoles, les vétérinaires ont à leur portée quatre diplômes en formation continue dans ce domaine :

- le certificat d'études approfondies vétérinaires (CEAV) de médecine du comportement des animaux domestiques ;

- le diplôme de spécialiste délivré par le collège européen du bien-être animal et de la médecine vétérinaire comportementale, désormais donc reconnu par le Conseil national de la spécialisation vétérinaire ;

- le diplôme inter-écoles de vétérinaire comportementaliste délivré dans les écoles vétérinaires ;

- le diplôme universitaire de psychiatrie vétérinaire délivré par l'université de Lyon 1 et VetAgro Sup.

Aux côtés de ces formations diplômantes, le groupe spécialisé de l'Afvac4, le Gecaf5, propose également des cours de base et formations approfondies sur le sujet.

Manque de connaissances

Le manque de connaissances est pourtant toujours le premier frein évoqué par les vétérinaires qui ne s'approprient pas la discipline 1 .

L'importance de la médecine vétérinaire comportementale ne peut être niée quand on sait que les problèmes de comportement sont la première cause d'abandon des chiens et la seconde pour les chats 1 . Sans forcément en arriver à cette extrémité, les comportements gênants (le terme « troubles » ne semble pas toujours approprié quand on sait que la plupart des comportements qui motivent une consultation vétérinaire font partie de l'éthogramme normal du chien ou du chat) nuisent incontestablement à la bonne relation entre un animal et ses propriétaires et doit donc être pris en charge.

Acteur du One health - le comportement revêtant aussi une dimension de santé publique quand il se traduit par des morsures par exemple - et en tant qu'interlocuteur privilégié des sujets liés à l'animal, le vétérinaire est un protagoniste incontournable dans ce domaine.

Il doit lui aussi s'adapter notamment parce que la discipline s'est élargie ces dernières années à mesure qu'une espèce longtemps mineure prenait une place croissante dans le coeur des Français et, du même coup, les cabinets vétérinaires : le chat.

Vaste champ d'application

Le comportement ne se résume plus aux chiens agressifs, aux diagnoses de races et à l'anxiété de séparation (à appeler désormais autonomopathie essentielle par rupture d'attachement chez un chien, selon l'association Zoopsy). Il faut désormais compter aussi avec les problèmes de malpropreté urinaire, de chat caressé-mordeur et autres agressions émanant du félin préféré des Français. Pourtant, comme le reconnaissent les associations professionnelles qui s'en occupent, la médecine comportementale féline accuse encore un certain retard par rapport à celle du chien.

L'ensemble de la discipline est d'ailleurs en devenir et fait l'objet de fréquentes remises en question grâce notamment à l'éclairage de la recherche et particulièrement des neurosciences. L'arsenal thérapeutique mis à disposition des vétérinaires dans ce domaine évolue lui aussi avec l'arrivée de nouvelles molécules, pas forcément toujours sur prescription à l'instar du cannabidiol (CBD).

Après le pas énorme franchi en reconnaissant, enfin, le caractère sensible de l'animal (jusqu'au milieu du siècle dernier, les castrations de chats se faisaient sans anesthésie), le fait de concéder de plus en plus de facultés émotionnelles à l'animal, comme l'empathie, va de pair avec une meilleure prise en compte de son bien-être et donc de son comportement. La discipline en bénéficiera.

Thèse de doctorat vétérinaire de Pierre Dufour. Le comportement animal et sa pratique en médecine vétérinaire : enquête auprès des vétérinaires canins, école nationale vétérinaire de Toulouse, 2017.

2 ECAWBM-CA : European College of Animal Welfare and Animal Behavioural Medicine-Companion Animals.

3 ECAWBM-AW : European College of Animal Welfare and Animal Behavioural Medicine-Animal Welfare.

4 Afvac : Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie.

5 Gecaf : Groupe d'étude en comportement des animaux familiers.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1659

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