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Marketing versus publications scientifiques - Comment s'y retrouver ?

© David Quint

Pierre BESSIÈRE

L'auteur de cet article déclare ne pas avoir de lien d'intérêt avec le sujet traité.

Le marché des médicaments est partagé entre de nombreux acteurs dont les objectifs commerciaux rendent la concurrence parfois féroce. Pour commercialiser leurs produits, les laboratoires montent des dossiers d'autorisation de mise sur le marché (AMM). Les résultats des essais qui les composent sont parfois publiés dans des journaux scientifiques, quasi systématiquement en langue anglaise. Arriver à déchiffrer les informations qu'ils contiennent n'est pas toujours aisé, au contraire de celles des plaquettes publicitaires. C'est justement tout l'objet de ces dernières : rendre accessible l'information que le laboratoire veut voir mise en avant. Dans quelle mesure pouvons-nous leur faire confiance ?
Le but de cet article est, à partir d'exemples de vaccins pour animaux de compagnie, d'illustrer les (parfois fortes) différences qui existent entre une publication scientifique et les publications marketing ou publicitaires.

DIFFÉRENTS DISCOURS, DIFFÉRENTES RÈGLES

Une étude scientifique, dès lors qu'elle est publiée dans un journal sérieux, est relue par les pairs et se doit d'être transparente : les conflits d'intérêts sont nécessairement déclarés et, sauf exception, les données brutes doivent être disponibles pour la communauté. Les tentatives de fraude sont sévèrement punies et peu d'auteurs se risquent à ces pratiques, sous peine d'être fortement discrédités par la communauté scientifique. Un laboratoire aurait beaucoup à perdre s'il était pris en flagrant délit de fraude et donc, on peut généralement faire confiance aux articles scientifiques, y compris lorsque les travaux sont financés par des entreprises pharmaceutiques.

Le service marketing de ces dernières a lui un rôle totalement différent : il met en avant les éléments avantageux pour permettre une commercialisation fructueuse. Il n'est donc pas soumis aux mêmes contraintes et dans une publicité ou le discours d'un commercial, des résultats peuvent être sortis de leur contexte et des informations peuvent manquer, enjolivant ainsi la réalité.

LE CHAMP DE BATAILLE DES PUBLICATIONS SCIENTIFIQUES

Publier dans des journaux scientifiques est primordial pour un chercheur du monde académique ; ce n'est pas le cas pour les laboratoires. Ces derniers le font toutefois fréquemment, soit en réalisant eux-mêmes les travaux, soit en finançant des instituts de recherche pour le faire à leur place. Ce sont ces essais (ou ceux d'autres équipes scientifiques) qui alimentent les campagnes marketing.

Constatons d'ailleurs que dès qu'un laboratoire publie un essai clinique sur un de ses vaccins, il n'est pas rare que d'autres publient peu de temps après.

Concernant la leptospirose par exemple, Merial ouvrit le bal en 2009, avec un article sur son Vaccin Eurican. Trois ans plus tard, deux études, financées par MSD et Virbac vantèrent les mérites des vaccins Nobivac et Canigen respectivement. Les technologies vaccinales classiques entraînent facilement la mise en place d'une immunité à la fois protectrice et durable et, quel que soit le laboratoire qui les a financées, les études arrivent à des résultats satisfaisants et reproductibles.

QUELQUES COUPS BAS...

Nous l'avons dit, si les laboratoires financent des publications scientifiques, c'est souvent pour tenter de prouver la supériorité de telle ou telle spécialité vis à vis de ses concurrentes et parfois l'occasion de tirer dans les jambes de ses concurrents. En 2013, Boehringer (aux Etats-Unis, avant la fusion avec Merial) sortit un article sur son vaccin à agent atténué protégeant contre Bordetella bronchiseptica, un des agents de la toux du chenil. Administrable par voie orale ou nasale, ce vaccin était comparé à un vaccin à agent inactivé, administré par voie sous-cutanée. Les animaux étaient infectés par la bactérie quelques semaines plus tard, en utilisant un nébuliseur. Les animaux ayant reçu le vaccin à agent inactivé furent les moins bien protégés. Il était en effet assez prévisible qu'en utilisant une souche atténuée de la bactérie par voie locale, l'immunité mucosale allait être particulièrement stimulée alors qu'elle ne le serait que peu par une injection par voie sous cutané d'une souche inactivée. Le laboratoire utilisa comme vaccin à agent inactivé celui de Zoetis, faisant au passage une mauvaise publicité à l'un de ses concurrents.

Les coups pendables ne sont cependant pas l'apanage de tel ou tel laboratoire : l'exemple suivant, un parmi de nombreux autres, les concernant tous ou presque, est encore plus notable.

Nous sommes en 2014 et Zoetis vient de publier une étude comparant son vaccin contre le FeLV à celui de Merial, en infectant les animaux quelques jours après la seconde injection de primo-vaccination. Les conclusions sont saisissantes : le vaccin de Zoetis confère des taux de protection bien plus élevés que celui de son concurrent, qui peine à atteindre les 35 % d'efficacité. Comment expliquer une telle différence ? L'étude est plutôt bien menée, à un détail près : l'inoculum contenant le FeLV a malencontreusement été contaminé par du parvovirus félin (FPV), l'agent de la panleucopénie féline. Anodin ? Pas tout à fait ! Selon la technologie vaccinale utilisée, cette contamination peut avoir des conséquences majeures. Le vaccin de Merial est un vaccin vectorisé dont les effets reposent sur une forte réponse immunitaire à médiation cellulaire, au contraire du vaccin Zoetis, qui est un vaccin à agent inactivé adjuvé. Le FPV provoquant la destruction des leucocytes, le vaccin Merial était dès lors considérablement désavantagé par rapport à celui du concurrent.

Malgré cela, le service marketing de Zoetis s'empara alors de ces résultats pour montrer à quel point son produit était révolutionnaire, omettant de préciser que l'étude était considérablement biaisée (cf. fig. 1). Depuis, les documents publicitaires avec ces résultats ont été retirés.

...ET QUELQUES POSSIBLES SURINTERPRÉTATIONS

Pendant des années, le seul vaccin disponible contre la leishmaniose était le vaccin Canileish, commercialisé par Virbac. La littérature scientifique abonde d'articles arrivant aux conclusions suivantes : ce vaccin a une efficacité autour de 70 % et la protection conférée repose notamment sur la production d'interféron gamma - ce dernier étant le témoin d'une réponse cellulaire protectrice.

En 2016, arrive un concurrent : le Letifend, commercialisé par MSD et le laboratoire espagnol Leti. Alors que le Canileish est un vaccin adjuvé pour lequel trois injections de primo-vaccination sont nécessaires, le Letifend est sans adjuvant et une seule injection serait suffisante pour atteindre les 72 % de protection. Ces allégations reposent sur une étude, publiée en 2018 dans le journal Vaccine, dont les résultats ont été repris par le service marketing (cf. fig. 2).

Pourtant, la lecture approfondie de l'article amène à des résultats beaucoup moins tranchés...

549 chiens ont été enrôlés dans l'étude et répartis en 19 sites, situés dans la Drôme, en Corse et en Espagne. C'est en excluant tous les chiens français et même de nombreux chiens espagnols qu'ils arrivent au chiffre de 72 % d'efficacité : ce pourcentage se base sur quelques dizaines de chiens présents seulement sur deux sites (avec pour justification que ces derniers étaient les plus représentatifs d'une zone où le parasite est endémique).

Par ailleurs, l'évaluation de l'intensité de la réponse immunitaire suite à l'injection repose sur le taux d'anticorps (ces derniers ne sont pas indicateurs d'une réponse protectrice), sans étudier la réponse cellulaire via la production d'interféron gamma. Les auteurs peinent à montrer une augmentation de ce taux suite à la vaccination.

D'autres études seraient certainement utiles pour démontrer que le Letifend est bien efficace dans la prévention de la leishmaniose.

DES LABORATOIRES EXEMPLAIRES LA PLUPART DU TEMPS

Cet article n'est pas un pamphlet contre l'industrie pharmaceutique : ne l'oublions pas, les exemples ci-dessus restent anecdotiques.

Le travail fourni par les laboratoires est quasi-systématiquement excellent -les articles portant sur les vaccins contre la parvovirose ou la leptospirose sont par exemple irréprochables, quel que soit le laboratoire (cf. fig. 3). Un produit présenté comme révolutionnaire par un service marketing peut tout à fait l'être ! 

Prenons comme autre exemple le bedinvetmab, un anticorps monoclonal ciblant le facteur de croissance des nerfs, et commercialisé par Zoetis sous le nom déposé Librela. Ce produit a apporté une alternative novatrice aux anti-inflammatoires non stéroïdiens dans le traitement de l'ostéoarthrose chez le chien, ces derniers ayant été le traitement standard de cette affection pendant des décennies. L'essai clinique randomisé avec groupe placebo du dossier d'AMM du Librela a fait l'objet d'une publication scientifique parfaitement en accord avec les données présentées par le service marketing du laboratoire (cf. fig. 4).

EN CAS DE DOUTE : TOUJOURS ALLER À LA SOURCE

Au final, s'il fallait retenir une chose de cet article, c'est que dès qu'une information semble être trop belle pour être vraie, il faut aller vérifier ce qu'indiquent les publications scientifiques à ce sujet.

Les plaquettes publicitaires, comme leur nom l'indique, sont des outils commerciaux dont l'objectif est de promouvoir tel ou tel produit et elles le font souvent très bien.

Bien entendu, la vérification des sources nécessite un niveau minimal d'anglais, car ces dernières ne seront souvent pas rédigées en français et leur lecture prend du temps. Mais il existe différentes bases de données pour nous y aider, les plus connues étant Google Scholar et PubMed.

Lire soi-même les articles permet de juger de la qualité des protocoles : au détour d'une phrase, on peut par exemple réaliser que les animaux ont accidentellement été contaminés par du parvovirus !

Retenons également qu'on peut d'autant plus avoir confiance en un résultat que plusieurs articles issus d'équipes de recherche différentes arrivent aux mêmes conclusions. Une même information peut être reprise d'article en article à grands renforts de « as previously described », mais dès lors que des expériences indépendantes sont menées et que les résultats sont reproductibles, la fiabilité des conclusions est très renforcée.

Article paru dans La Dépêche Technique n° 198

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