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Les vétérinaires savent-ils ce qu'ils désirent ?

Frédy Perez

« J'ai juste eu envie de courir !» Forrest Gump de Robert Zemeckis

 Parler de désir c'est convoquer les concepts de volonté, besoin, envie, souhait, penchant, velléité, tendance, fantasme, passion... Ce désir est la base de toute inclination qui fait tendre un individu ou un groupe d'individus dans une direction donnée. Il déclenche des émotions plus ou moins fortes qui seront ses moteurs et ses freins divisées en deux voies, une qui va vers le BON et une autre qui va vers le MAUVAIS 1. Un désir assouvi aura tendance à nous rendre joyeux et si nous sommes tristes c'est que nous n'obtenons pas ce qui est vu comme bon pour nous-même.

Désirons-nous ce dont nous avons besoin ?

Souvent les notions de désir et de besoin sont distinguées car le besoin est une nécessité alors que ce n'est pas obligatoirement le cas du désir. Un besoin peut être considéré comme un écart entre ce que nous n'avons pas et ce qu'il nous faudrait, entre ce que nous avons et ce qu'il nous faudrait en plus ou en mieux. Le désir pourrait venir d'un élan plus superficiel que naturel, moins nécessaire qu'artificiel. Mais la limite est ténue. On peut aussi tenter de distinguer désir et besoin en supposant que le besoin est plus personnel que le désir car nous désirons souvent sous influence de notre entourage. Des questions alors demeurent : notre désir suppose-t-il un besoin ? est-il propre à nous ? désirons-nous finalement ce que les autres désirent sans pour autant en avoir besoin ?

Vouloir et désirer est-ce la même chose ?

Nous voulons des choses que nous ne désirons pas ou peu. Désirons-nous ou voulons-nous aller au travail ? Désirons-nous ou voulons-nous nous associer ? Désirons-nous ou voulons-nous céder notre entreprise ? Si, comme évoqué plus haut, le désir est une inclinaison confondue par l'émotion, la volonté, elle, est une élaboration plutôt née de la raison. Le manager peut avoir de nombreux désirs, contradictoires, utopiques... la raison pourra l'aider à arbitrer ce qui, passé par le crible d'une certaine rationalité, restera une volonté. La volonté est donc souvent commandée par une moralité qui se pose la question du possible auquel nous devrions obéir 2. Certains managers occultent totalement la part rationnelle de leur processus de décision en ne se référant qu'à leur envie.

Désirons-nous ce qui nous fait plaisir ?

Nous pouvons facilement constater que le désir est intimement lié au plaisir. Obtenir une satisfaction, une joie, un plaisir est le résultat attendu du désir. A quelle famille de désirs pouvons-nous rattacher ce plaisir ? Au bonheur ? Souhaitons-nous par la réalisation de nos désirs être plus heureux ? Mais que pouvons-nous mesurer à priori, depuis notre désir ? Est-il possible de garantir que ce désir corresponde au bonheur escompté ? Ce vétérinaire, membre d'une structure de grande envergure, souhaite recruter un responsable des ressources humaines : est-ce que ce désir lui donnera son bonheur ? Souvent, le fait irrationnel du désir ne correspond pas au fait non moins irrationnel du plaisir. Le désir se trompe et nous trompe souvent.

Désirons-nous notre devoir ?

Et si nous désirions ce que nous devons ? Le philosophe Emmanuel Kant se place du point de vue moral et nous indique que le devoir de l'homme n'est pas d'obéir à ses désirs en recherchant son propre bonheur mais de résister à son désir afin d'obéir à loi morale 3. Il s'agirait ici de faire son devoir moral y compris en faisant des sacrifices sans nécessairement obtenir de récompenses personnelles en retour. Cela signifie que le manager ne cherche pas son bonheur personnel mais essaie de s'en rendre digne car pour Kant, le simple plaisir n'est rien à côté du bonheur éprouvé (mérité) car nous agissons selon les maximes de la morale. Cela pose la problématique de ce qui est moral pour le vétérinaire en tant qu'il fait partie d'une profession dans son ensemble ? Kant invoque un impératif catégorique tel que « Agis uniquement d'après la maxime que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle ». Traduisons par « si tout le monde faisait comme moi sans prendre en compte l'ensemble, où irions-nous ? ».

Alors, que désire réellement le vétérinaire ?

Quel est l'objet réel de notre désir ? Cette question a-t-elle un sens ? Une réponse unique est-elle possible ? Les réponses à ces questions supposeraient qu'il n'y ait qu'un type de désir or le problème est bien là : nous voulons tout et son contraire, c'est la multitude de désirs qui complexifie les choses. Pour un vétérinaire regardant la possibilité de vendre sa clinique à un groupe : sécuriser sa retraite MAIS être libre, ne plus gérer d'équipe MAIS continuer à commander, céder son entreprise MAIS ne pas être dirigé... Une liste sans fin de bénéfices contradictoires qui en dit long sur l'égarement possible à venir, entre frustration et ennui (Schopenhauer).

Une aversion en creux

Mais le désir pour certains, si difficile à définir, est plutôt à trouver du côté des non-désirs. Si le manager ne sait pas ce qu'il désire, il est souvent capable de dire ce qu'il ne désire pas ou plus. Cette tension peut être motrice car il n'est pas nécessaire de poursuivre un but (désir) pour ne pas être dans une direction. Fuir une situation, un contexte, des missions, des individus... dit « ce que je ne veux pas » donc par contraste quelque chose de l'ordre du « ce que je veux... », car si le désir indique une direction sur la boussole, le non-désir n'en fait pas moins. Cette polarisation subjective, qu'elle soit désir ou crainte, a la même fonction structurelle à l'égard du changement. Alors quelle différence entre ces deux moteurs ? Il s'agira d'une question de ressenti car la peur ne conduit pas le manager de la même manière que l'envie. Notons ici que certains préfèrent un moteur par rapport à l'autre. Pour un collaborateur, aller chercher une prime ou éviter une remontrance sont deux ressentis bien distincts. Schopenhauer 4 pense que cette différence est négligeable car, quoi qu'il en soit, tout désir est manque donc souffrance, et le désir est défini comme fuite de la souffrance. Spinoza 5, au contraire, classe ces deux conceptions avec d'un côté ce qu'il nomme les passions tristes (peur, agressivité, tristesse, haine etc.) et les passions joyeuses (désir, joie, plaisir, amour etc.) nous invitant donc à être mus par des désirs plutôt que par des aversions.

Que veut le vétérinaire en tant qu'il agit universellement pour la profession vétérinaire ? Sa propre disparition sous la forme actuelle pour assouvir son désir, lui-même insatisfait donc propice à l'installation d'un processus cyclique ? une pulsion fondamentale visant la conservation ? la restauration d'un passé ? Le désir d'une nouvelle dimension anhistorique ? le désir d'écrire une nouvelle page, le désir de se perdre, de se diluer, de gommer une singularité pour agir comme le modèle entrepreneurial classique ? le désir de ne plus être soi ? Assiste-t-on à une volonté indéterminée ? Le vétérinaire désirerait agir par mimétisme ? Spinoza 6 suggère : « pour que nous désirions une chose, il suffit que nous imaginions qu'autrui la désire » et « du fait que nous imaginons qu'un objet semblable à nous [...] est [...] affecté d'un certain affect, nous sommes par-là affectés d'un affect semblable ». Le vétérinaire saura-t-il syncrétiser avec médiété les différents courants qui traversent sa profession et résoudre ces équations dissensuelles sans trop de dommages ?


Article paru dans La Dépêche Technique n° 182

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