Les médecines complémentaires en oncologie vétérinaire - partie 2
Samedi 17 Avril 2021 Thérapeutique 40473© David Sayag
David Sayag
L'auteur de cet article déclare déclare des liens d'intérêt (conférencier et collaboration scienti?que) avec le laboratoire OSALIA qui commercialise un complément alimentaire en mycothérapie.
La phytothérapie représente un large champ d'applications en oncologie, malgré une littérature encore parcellaire. Plus anecdotiquement, l'homéopathie et les médecines ethnovétérinaires peuvent prendre place, de manière raisonnée, au sein d'un plan personnalisé de soins.
PHYTOTHÉRAPIE EN ONCOLOGIE VÉTÉRINAIRE : QUELQUES APPLICATIONS
Nombre de molécules cytotoxiques utilisées en oncologie sont issues des plantes, tels les vinca-alcaloides (vincristine et vinblastine, issues de la pervenche) ou les taxols (paclitaxel et docetaxel, issus de l'If). Cependant, il n'existe que peu d'études à haut niveau de preuve ayant évalué l'apport de la phytothérapie dans la stratégie thérapeutique en oncologie chez les animaux de compagnie.
Nous proposons ici quelques exemples d'applications.
Chardon-Marie (Silybum marianum)
- Principes actifs
Le principal principe actif extrait du chardon-Marie est un mélange de flavonoïdes polyphénoliques, la silymarine, dont le principal composé est la silybine.
Plusieurs spécialités vétérinaires sont commercialement disponibles, soit contenant des extraits de graines de chardon-Marie, soit directement de la silymarine.
- Mécanismes d'action
La silymarine possède une action chimio-préventive et chimiosensibilisante via plusieurs voies physio-pathologiques 1:
- elle entraîne une inhibition des transporteurs d'anions organiques et des transporteurs de type ATP-binding cassettes ABC ;
- elle force les cellules cancéreuses à évoluer vers la mort cellulaire via l'activation de voies physiopathologiques intrinsèques et extrinsèques modulant le rapport de protéines pro-apoptotiques/anti-apoptotique et ayant une synergie avec des agonistes des récepteur du domaine de mort ;
- elle permet le recrutement des cellules cancéreuses dans une même phase du cycle, entraînant une synergie d'action avec les molécules cytotoxiques.
- Données d'efficacité à partir d'études in vitro et in vivo
La silymarine fait l'objet de nombreuses études in vitro et in vivo, en utilisant l'animal (le plus fréquemment la souris) comme modèle 1-5.
Ainsi, une action antitumorale forte dans les cancers ovariens a été mise en évidence, via la diminution de l'expression du VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) et de l'EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor) (EBM 2) (Evidence-based medicine ou niveau de preuve 2). Des interactions synergiques avec le cisplatine et la doxorubicine sont d'autre part rapportées. Enfin, un rôle hépatoprotecteur est mis en évidence 3-5.
C'est ce dernier rôle qui a bénéficié d'une étude chez le chien atteint de cancer et recevant une chimiothérapie à base de lomustine 6. Une diminution de la toxicité hépatique, bien connue avec cette molécule, est observée chez les animaux recevant une dose de 20 mg/kg/jour de silybine, durant toute la durée de la chimiothérapie (EBM 3).
- Limites à l'utilisation
Il est important de garder à l'esprit que la silymarine a une action inhibitrice sur les cytochromes P450 3A4 démontrée in vitro, ce qui doit inciter à une prudence dans les prescriptions (EBM 4) 7. En effet, il existe un risque d'interaction médicamenteuse, bien qu'aucune donnée in vivo chez l'Homme n'ait à ce jour démontré de différence sur le métabolisme de certains agents cytotoxiques, tel l'irinotecan, un anticancéreux inhibiteur de la topoisomérase I.
Gui blanc (Viscum album)
- Principes actifs et mécanismes d'action
L'extrait de gui blanc fermenté possède plusieurs groupes de principes actifs (viscotoxines, lectines, polysaccharides, polysterols...) qui, ensemble, seraient susceptibles d'avoir une action anti-cancéreuse et d'améliorer la qualité de vie lors de cancer, notamment via
l'induction de l'apoptose et une inhibition de l'expression de VEGF.
- Efficacité et tolérance en oncologie vétérinaire
Des preuves d'efficacité in vitro et in vivo sont disponibles dans la littérature internationale, mais régulièrement contestées par différentes revues systématiques de la littérature, en fonction des équipes à leur origine 8,9,12.
L'extrait de gui blanc Viscum album a fait l'objet d'une étude rétrospective de toxicité chez le chat atteint de sarcome au site d'injection et de lymphome cutané 13. Des injections sous-cutanées d'extraits aqueux fermentés de la plante fraîche de Viscum album étaient réalisées deux à trois fois par semaine, à doses croissantes, afin de déterminer la dose tolérable chez le chat.
La dose cible se situe autour de 5 mg/kg de principe actif. Une administration orale biquotidienne (0,5 mg par prise, soit 1 mg/chat/jour), notamment lors de sarcomes au site d'injection, est également décrite (EBM 4) 13.
Chez la chienne atteinte de tumeur mammaire, aucun bénéfice significatif des injections post-opératoires adjuvantes de Viscum album n'a été démontré (EBM 3) 14,15.
- Limites à l'utilisation
En médecine humaine, un vif débat existe quant à l'efficacité du Viscum album, et les liens entre ces traitements et l'antroposophie 8,9,12.
Au-delà de cette opposition, nous constatons à ce jour une faiblesse des preuves de la littérature sur l'efficacité en oncologie vétérinaire, limitant les indications d'utilisation. D'autre part, la forme injectable de l'extrait de Viscum album est interdit à la vente en France depuis 2018.
Carthame (Carthamus tinctorius)
- Principe actif et mécanisme d'action
L'acide linoléïque est un acide gras poly-insaturé oméga-6, qui peut avoir une action cytostatique sur les cellules cancéreuses en croissance via entre autres une action directe sur le cycle cellulaire et la création de dérivés actifs de l'oxygène activant la cascade pro-apoptotique des caspases 16.
- Efficacité en oncologie vétérinaire
L'acide linoléique, notamment contenu dans l'huile de carthame, a permis d'obtenir une rémission clinique chez six chiens atteints de Mycosis fungoides, une forme de lymphome cutané de bas grade 17 (EBM 3). Une dose de 3 ml/kg/jour est nécessaire, entraînant un apport calorique non négligeable.
-Limites à l'utilisation
La principale limite à l'utilisation est la quantité importante d'acides gras apportés par ce traitement, qui est en pratique parfois difficile à administrer à l'animal. D'autre part, lors de présence de certaines comorbidités (pancréatite notamment), une complémentation en graisses est contre-indiquée.
Enfin, l'acide linoléique est considéré comme une substance à potentiel carcinogène chez l'être humain, via l'activation des mécanismes d'angiogénèse, bien que les liens entre apport en acide linoléique et cancer soient encore sujets à controverses 18.
Aloe vera
- Principes actifs
Les principes actifs de l'Aloe vera varient en fonction de la localisation :
- l'aloïne est le principal principe actif de la partie externe de la feuille : c'est une anthraquinone qui possède une action anti-angiogénique, chimio-préventive et anti-oxydante 19, mais également des propriétés laxatives ;
- les polysaccharides / glycoaminoglycanes, notamment l'acémannane, possède une action cicatrisante et potentiellement immunostimulante.
- Efficacité en oncologie vétérinaire
Il n'existe à ce jour aucune étude ayant évalué l'efficacité de l'Aloe vera dans la lutte contre le cancer en médecine vétérinaire. Empiriquement, nous prescrivons l'Aloe vera dans le cadre de la prise en charge de certains effets secondaires de la radiothérapie (dermatite radique) et également en association avec la lactoférine lors de tumeur orale, avec pour objectif l'amélioration de la qualité de vie de l'animal (cf. photo 1) (EBM 4) 19-21.
- Limites à l'utilisation
Les effets bénéfiques de l'Aloe vera demeurent à ce jour controversés en médecine humaine, un effet cancérigène de l'aloïne n'étant pas exclu 21. Le gel de mucilage est lui dénué d'effet toxique rapporté.
Chanvre (Cannabis sativa L.)
- Principes actifs
Le cannabidiol (CBD) est le cannabinoïde le plus abondant au sein de l'huile de chanvre et est non-psychoactif. Hautement lipophile, l'absorption orale demeure très limitée (6 % de biodisponibilité chez l'Être humain) et le volume de distribution demeure important, bien que dépendant de l'âge, du score corporel, de la proportion de graisse et enfin de la perméabilité de la barrière hémato-tissulaire.
Le CBD est soumis à un intense métabolisme hépatique de premier passage, rendant la biodisponibilité orale d'autant plus limitée. La métabolisation hépatique se fait via les cytochromes p450 (principalement CYP2C19 et CYP3A4). Il existe une accumulation dans le tissu graisseux 22.
- Mécanisme d'action
Le CBD possède une faible affinité pour les récepteurs du système endocannabinoïde CB1 et CB2. La pharmacodynamie du CBD
demeure incomplètement comprise chez les animaux de compagnie mais des actions anti-tumorales, analgésiques, neuroprotectives, antiémétiques, anti-convulsivantes, anti-inflammatoires et anti-spasmodiques ont été décrites.
Le CBD entraîne l'apoptose via la régulation de nombreuses protéines pro- et anti-apoptotiques. Un effet anti-angiogénique est décrit in vivo dans les cancers colorectaux et sur les cellules endothéliales. Une action sur la nidification métastatique est également rapportée dans les cancers pulmonaires (EBM 2) 22.
Aucune étude chez le chien ou le chat atteint de cancer n'est à ce jour disponible dans la littérature.
Cependant, une récente étude a démontré l'intérêt de l'ajout de cannabidiol dans la thérapie analgésique multimodale chez le chien et le CBD jouera un rôle probable dans l'analgésie et le maintien d'une qualité de vie optimale chez le patient atteint de cancer (EBM 2) 23.
- Limites à l'utilisation
Le CBD possède une bonne tolérance globale, bien qu'un cas d'effet secondaire cutané soit rapporté chez un chien 24. Des interactions médicamenteuses avec d'autres médicaments sont cependant décrites en médecine humaine. Tout médicament activant ou inhibant l'action du cytochrome p450 est susceptible d'interagir avec l'action du CBD.
Les teneurs en CBD des huiles commercialisées sont variables et il est essentiel de privilégier une huile à teneur garantie, afin d'ajuster au mieux la dose.
Le peu de recul actuellement en oncologie vétérinaire, son coût non négligeable et l'indisponibilité de la spécialité vétérinaire peuvent être des freins à sa généralisation en pratique (EBM 4).
À PROPOS DES MÉDECINES ETHNOVÉTÉRINAIRES EN ONCOLOGIE
Les médecines ethnovétérinaires font référence à la santé animale populaire incluant les pratiques et les croyances traditionnelles prodiguées par les membres d'une communauté 25.
Les pratiques traditionnelles font rarement l'objet de publications dans la littérature scientifique internationale, bien que des efforts
récents d'inventaire soient mis en exergue, notamment pour la médecine traditionnelle chinoise ou, plus sporadiquement, pour les médecines traditionnelles des peuples autochtones nord-américains.
Les risques liés à l'intégration des médecines ethnovétérinaires résident dans la traçabilité des matières premières, le risque d'interactions médicamenteuses accru de par les mélanges de différentes substances (effets indésirables se surajoutant parfois à ceux de la chimiothérapie, interactions pharmacocinétiques et pharmacodynamiques).
Au regard de l'ensemble de ces arguments, nous ne recommandons donc pas l'utilisation de ces pratiques en oncologie vétérinaire (EBM 4).
QU'EN EST-IL DE L'HOMÉOPATHIE EN ONCOLOGIE VÉTÉRINAIRE ?
Une approche basée sur les preuves publiées dans la littérature scientifique internationale est, à ce jour, inenvisageable concernant les possibilités d'application de l'homéopathie dans le cadre d'une stratégie de traitement intégrative en oncologie vétérinaire.
Il est cependant nécessaire de rappeler que l'expérience individuelle a de la valeur. Elle doit néanmoins être confrontée à la démarche scientifique afin d'être analysée avec recul et discernement, ce qui est rarement le cas dans les quelques rapports ou séries de cas disponibles.
Les critiques principales de l'homéopathie demeurent dans les fondements même d'une approche scientifiquement discutable. S'il est vrai qu'une efficacité est rapportée chez de nombreux humains traités pour un cancer, l'impact de l'effet placebo semble être prédominant dans ces effets et l'homéopathie ne peut et ne doit en aucun cas se substituer aux traitements conventionnels (EBM 4) 26.
Elle peut cependant s'intégrer dans une prise en charge pluridisciplinaire, adaptée à l'animal, à partir des données disponibles dans la littérature scientifique d'oncologie humaine, en gardant l'indispensable recul scientifique nécessaire (EBM 4) 26.