Les leçons du Rhône : Que serions-nous sans nos fleuves ?

Thierry JOURDAN

Élisabeth Ayrault a une formation d'architecte urbaniste, puis a embrassé une carrière dans l'aménagement du territoire qui lui a permis d'être en contact avec les diverses populations locales ainsi que leurs élus. Elle a ensuite dirigé une entreprise de collecte, de gestions et de valorisation des déchets industriels, hospitaliers et des ordures ménagères pendant une dizaine d'années. Elle a enfin pris la direction de la Compagnie Nationale du Rhône qui constitue 3 % de la production électrique en France. L'auteure décrit son parcours professionnel afin de sensibiliser aux enjeux environnementaux locaux et à la manière de fédérer des énergies pour que chaque acteur pense intérêt général et durabilité. Sa fonction à la tête d'un « fleuve » lui a permis d'aller à la rencontre des autres grands fleuves dans le monde sachant que 80 % de la pollution maritime arrive par voie fluviale.

Le Rhône est long de 812 kilomètres mais rallonge et prend de la hauteur aussi car les glaciers, eux, reculent et sont amenés à disparaître aux alentours de 2050. En 200 km, il arrive au Lac Léman et a perdu 1900 mètres d'altitude. Les ingénieurs suisses tentent de domestiquer les crues. Mais 40 % du Lac Léman appartient à la France, il s'agit donc d'une co-gestion de l'eau et de sa retenue avec les suisses, d'autant que les tumultes de l'Arve viennent contrarier les circuits des eaux. Ces négociations sont d'importance car le niveau du Rhône a son importance pour les centrales nucléaires et leur refroidissement, notamment celle du Bugey qui n'est pas très éloignée de la frontière suisse. La quantité de sédiments a aussi son importance pour la gestion des populations de poissons. L'aménagement du fleuve doit tenir compte des possibilités de circulation des poissons en amont et en aval de tout obstacle ou infrastructure.

Les crues du Rhône restent, malgré tous les aménagements et les digues destructrices et, seuls les agriculteurs ne sont pas victimes des amnésies collectives qui saisissent tous les habitants ou élus de la vallée du Rhône. L'histoire et l'archéologie montrent l'importance du commerce et à quel point le fleuve a été dangereux y compris pour ses marins.

Le Rhône permet de saisir à quel point le dérèglement climatique est visible au travers des inondations, des sécheresses et, qu'en conséquence, son aménagement doit tenir compte des données de la science.

Gérer un fleuve c'est produire de l'électricité, c'est aménager ses berges, c'est négocier les besoins en eau avec les consommateurs, les agriculteurs, les industriels, les communes et villes, c'est aussi se préoccuper de biodiversité au travers notamment de son delta, c'est encore débarrasser l'eau de ses plastiques et déchets.

Gérer de l'énergie, c'est prévoir les apports d'eaux, faire appel à la météorologie et prévoir les besoins des consommateurs. L'hydroélectricité constitue 16 % de la production électrique mondiale et première source d'énergie renouvelable (deux tiers en France). Il y a des centrales au fil de l'eau ou d'éclusée ainsi que des centrales lacs de moyenne et haute chute.

Villes et fleuve ne font pas toujours bon ménage entre inondations et demande toujours plus importante d'eau de la part de villes qui ont besoin d'être nourries par les campagnes qui ont, elles aussi, besoin d'eau. Les villes doivent devenir des éponges vertes. Si l'on songe que le Rhône va perdre entre 10 et 40 % d'eau d'ici 2050, est-il raisonnable de l'exporter en Catalogne très déficitaire en eau ?

Le monde agricole consomme 68 % de l'eau douce en France mais il va falloir que les pratiques des agriculteurs changent dans un contexte de pénuries et d'incertitudes.

La résistance au changement concerne tout le monde, du producteur au consommateur en passant par les citoyens et le changement climatique induit toutes sortes de résistance.

Le Rhône est un condensé, un résumé local qui peut permettre de comprendre les enjeux globaux de la planète.