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Les invasions biologiques en Europe - décryptage de leur coût

Le ragondin, originaire d'Amérique du Sud, a été introduit en France dans les années 1880 pour sa fourrure. Il est devenu aujourd'hui une espèce invasive en France.

© Pascale Bradier-Girardeau

Hélène SOUBELET

Les invasions biologiques constituent la cinquième pression directe qui s'exerce sur la biodiversité d'après la classification de la plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes, 2019).

Le nouvel indicateur développé pour l'Observatoire national de la biodiversité à partir d'une sélection de 84 espèces révèle que, sur les quarante dernières années, un département français voit s'installer en moyenne cinq nouvelles espèces exotiques envahissantes tous les dix ans. La définition officielle d'une espèce exotique envahissante inclut la notion « d'introduction » qui correspond au déplacement, par suite d'une intervention humaine, d'une espèce hors de son aire de répartition naturelle (Règlement (UE) n ° 1143/2014). Ces introductions sont parfois volontaires (plante ornementale comme la renouée du Japon, animaux d'élevage comme le ragondin) mais, dans leur grande majorité, elles sont accidentelles (cf. photo 1) et sont directement liées aux échanges commerciaux globalisés. Les travaux de Haubrock et al. (2021) présentés ici, synthétisent l'état des connaissances sur les coûts économiques associés aux espèces exotiques envahissantes au niveau européen.

INVACOST : UNE GROSSE BASE DE DONNÉES INTERNATIONALE SUR LE COÛT DES INVASIONS

Les impacts écologiques des espèces exotiques envahissantes sont de mieux en mieux connus mais il restait à évaluer leurs potentiels impacts économiques qui, sauf pour quelques espèces ou habitats, restaient largement inconnus, en partie en raison de l'absence de données fiables ou disponibles. C'est le travail qui a été mené par l'initiative InvaCost (Diagne et al. 2020a, 2020b) qui a constitué une base de données avec plus de 7 000 entrées de coûts économiques déclarés d'espèces exotiques envahissantes, extraits de littérature grise et académiques (coûts standardisés dollars US, 2017, avec 1 USD = 0,8852 €).

- 80,71 % des coûts déclarés présentent un degré élevé de fiabilité.

- 55,4 % des couts déclarés sont dérivés d'observations réelles, (44,6 % sont des coûts potentiels non empiriquement observés).

Après un gros travail de traitement des données (nettoyage, suppression des doublons, recalcul des coûts sur une base annuelle, désagrégation des coûts par pays etc.), l'équipe de chercheurs a produit près de trente publications scientifiques sur les coûts annuels moyens des invasions au fil du temps pour la période de 1960 à 2020. Cette base n'inclut pas, pour l'instant, les territoires européens d'outre-mer (par exemple, la Guyane française, la Réunion, Pitcairn et les îles Canaries).

Il existe un décalage temporel d'environ huit ans entre la survenue des coûts, leur publication et leur enregistrement dans InvaCost (Leroy et al. 2020). L'année 2013 est donc, en 2021, la dernière année avec des coûts observés fiables, les années postérieures ayant des coûts estimés.

Malgré des biais et des limites à ce recueil de données, inévitables à une telle échelle (cf. encadré 1), l'étude apporte de nombreux enseignements très précieux.

COÛTS DES ESPÈCES EXOTIQUES ENVAHISSANTES EN EUROPE

Le coût total des espèces exotiques depuis 1960, réel (jusqu'en 2013) puis extrapolé (jusqu'en 2020), dans 39 pays d'Europe
(y compris la partie européenne de la Russie) a été estimé à 140,20 milliards de dollars (116,61 milliards d'euros). Les coûts d'invasion ont atteint 24 milliards de dollars US pour la seule année 2013 (dernière année avec des données « complètes »). Notons qu'avec un produit intérieur brut de 15 300 milliards de dollars US 2017, ce coût représente annuellement moins de 0,01 % du PIB de l'Union européenne mais est plus élevé que le PIB annuel de certaines économies nationales, telles celle de Malte (12,8 milliards de dollars US). Ces coûts présagent donc d'une pression monétaire problématique pour les petites économies.

- Une forte augmentation linéaire sur une échelle logarithmique des coûts induits par les espèces exotiques envahissantes en Europe est constatée au cours de la période 1960-2013.

Les chercheurs ont estimé, par modélisation, la dynamique temporelle des coûts cumulés, leur quantification annuelle moyenne, leurs variations rapportées aux PIB des pays européens à partir de l'année où le coût a eu lieu (c'est-à-dire les coûts divisés par le PIB par an), pour déterminer si les coûts d'invasion augmentent plus ou autant que la croissance économique.

En Europe, le coût des invasions biologiques n'a cessé d'augmenter : de 0,16 milliard de dollars US 2017 par an entre 1960 et 1969, il est passé à 6,35 milliards de dollars par an en 2010-2020. En moyenne, ce coût est donc de 2,3 milliards de dollars US 2017 par an (1,91 milliard d'euros en 2017) sur la période 1960-2020.

Les coûts fiables (antérieurs à 2013) représentent un coût annuel moyen de 963,9 millions de dollars US par an (802,9 millions
d'euros), avec 26,1 millions de dollars US en moyenne entre 1970 et 1979 et 3,75 milliards de dollars par an entre 2000 et 2010 avant de chuter à 944,3 millions de dollars entre 2010 et 2020, probablement en raison de décalages entre les coûts et leur déclaration.

Les modèles ont tous prédit une augmentation de 10,7 fois chaque décennie pour les coûts observés fiables, augmentation allant jusqu'à 12,6 à 14,1 fois tous les dix ans pour l'ensembles des coûts induits par les espèces exotiques envahissantes. 

Les impacts monétaires ont continué à augmenter de manière significative au cours des dernières décennies, indépendamment de la croissance économique concomitante en Europe. En conséquence, la part proportionnelle du PIB consacrée aux coûts d'invasion a augmenté au fil du temps, les coûts d'invasion augmentant à un rythme supérieur au taux de croissance économique, comme en témoigne la forte augmentation ces dernières années.

- Les coûts économiques sont inégalement répartis entre les pays (cf. fig. 1).

Des différences marquées ont été observées dans la déclaration des coûts entre les pays européens, avec des impacts plus importants déclarés sur les économies britannique, espagnole, française, allemande, russe, portugaise, hollandaise. Les coûts observés signalés pour les autres pays étant inférieurs à 1 milliard de dollars US par pays.

Les histoires coloniales et la dépendance au commerce sont les premiers facteurs explicatifs des différences observées. C'est notamment très explicite pour le Royaume-Uni (Clark et al. 2014), l'Espagne et la France (Hulme 2009). Mais d'autres facteurs peuvent expliquer ces différences (cf. encadré 1 sur les biais et limite de la base de données).

- Les coûts varient également selon les secteurs touchés (cf. fig. 2).

Les secteurs les plus touchés sont les secteurs agricoles, la foresterie et les interventions des autorités publiques et des ONG (qui gèrent les invasions lorsqu'elles se produisent). Les secteurs non représentés dans la figure 2 ont des coûts de moins de 1 milliard de dollars US. Il persiste des incertitudes sur l'affectation aux différents secteurs, une part substantielle des coûts déclarés (29 % ; 41,17 milliards de dollars) n'ayant pas pu être attribuée à un seul secteur.

- La proportion des dommages par rapport aux coûts de gestion diffère considérablement d'un pays européen à l'autre et d'un secteur à l'autre.

Lorsque c'était possible, les coûts ont été séparés entre les dommages ou pertes subis par l'invasion (par exemple, les dommages, frais de réparation, pertes de ressources, soins médicaux) et les mesures relevant de la gestion préventive (par exemple surveillance, entretien, recherche, communication, éducation).
- La majorité (60 %) des coûts économiques totaux déclarés sont liés aux dommages et aux pertes pour un total de 84,18 milliards de dollars américains dont 21,52 milliards de dollars américains de couts observés fiables.
- Les coûts de gestion (par exemple pour la prévention, le contrôle, l'éducation) totalisent 28,17 milliards de dollars américains (20 %) dont 2,76 milliards de dollars américains de coûts observés fiables.
- Les coûts combinant à la fois les dommages et la gestion s'élevent à 27,85 milliards de dollars américains dont 26,69 milliards de dollars américains de coûts observés fiables.
- Il existe une grande variabilité des coûts économiques déclarés entre les pays européens : en France, par exemple, moins de 1 % des coûts totaux déclarés sont associés à la gestion, contre 86 % en Allemagne ou 92 % aux Pays-Bas.

- Il existe aussi une grande différence entre les secteurs avec globalement, sauf pour l'action de la puissance publique, une forte proportion des coûts relatifs aux dommages au moment de la crise, qui indique que les secteurs subissent la crise plus qu'ils ne l'anticipent (cf. fig. 3).

Pour comprendre ces différences, les chercheurs ont évalué si la répartition des deux principaux types de coûts, « gestion » et « dommages- pertes », pouvait s'expliquer par des variables socio-économiques potentiellement liées aux invasions biologiques.

Ils ont trouvé des corrélations positives significatives avec les variables suivantes : taille de la population humaine, superficie, PIB (lié à l'effort de recherche, le nombre d'articles publiés sur la biologie invasions, les dépenses en R&D, le nombre de chercheurs), tourisme international (en dépenses et en nombre d'arrivées) et importations de biens et services.

Les autres variables socio-économiques testées ne montrant aucune corrélation significative.

- Dans les pays à forte population, grande superficie et fort tourisme international, les nouvelles espèces sont plus susceptibles d'être introduites, se propager et envahir.

- Une population humaine plus élevée peut a contrario, induire une prise de conscience accrue des types de dommages spécifiques, par exemple aux infrastructures (Mooney et Cleland 2001 ; Hulme et al. 2009 ; salle 2015).

- Il existe une relation positive entre les coûts observés déclarés des invasions et le PIB du pays, sauf dans certains pays d'Europe de l'Est qui malgré un PIB plus modeste exhibent des coûts fiables élevés (Ukraine, Serbie, Roumanie, Moldavie et Hongrie). Un PIB plus élevé entraîne une augmentation des ressources disponibles pour comprendre et gérer les espèces exotiques envahissantes, des investissements plus importants dans la recherche vont de pair avec des efforts accrus pour documenter et déclarer les coûts, des niveaux plus élevés de sensibilisation aux impacts négatifs sont positivement corrélés à des mesures de gestion.

- L'augmentation des importations de biens et services est associée à des dépenses de gestion plus importantes, signalant une réflexion, même partielle, sur l'ampleur des dommages subis ou potentiels.

- Cependant, il n'y avait pas de relation significative entre les dommages et les coûts de gestion déclarés. Cela peut refléter un financement disponible fixe et indépendant du nombre d'espèces exotiques envahissantes présentes et de leurs impacts économiques négatifs dans le pays.

La différence entre les coûts engendrés par les dommages et les coûts de gestion consentis est alarmante, car la prévention des invasions est reconnue comme plus efficace pour réduire les coûts que les interventions de crise (Ahmed et al. 2021) : les pays qui consacrent plus d'argent à la biosécurité subissent généralement des coûts de dommages inférieurs.

10 ESPÈCES EXOTIQUES ENVAHISSANTES ONT ÉTÉ IDENTIFIÉES COMME LES PLUS IMPACTANTES

Cinq invertébrés, trois vertébrés et deux plantes étaient présents dans le « top 10 » des espèces exotiques envahissantes les plus coûteuses (cf. fig. 4).

Toutes les analyses sont effectuées sans la Russie en raison de son caractère transcontinental.

Connectivité spatiale et taxonomique des coûts des espèces exotiques envahissantes

Les travaux suggèrent que les États européens sont touchés par un large éventail d'espèces exotiques envahissantes. Cependant, huit corrélations particulières ont été mises en évidence entre des pays et des taxons :
- le Royaume-Uni a été principalement fortement touché par les mammifères terrestres, les oiseaux, les plantes herbacées et les organismes aquatiques ;
- les Pays-Bas et la Finlande ont été principalement affectés par les arthropodes terrestres ;
- la Norvège a été touchée par des micro-organismes aquatiques.
- l'Allemagne et l'Estonie sont impactées par les mammifères semi-aquatiques ;
- la Suède est affectée par les micro-organismes, les mollusques et les arthropodes et plantes aquatiques ;
- l'Espagne est touchée par un large éventail de groupes, à l'exception des taxons comme les macroalgues et les nématodes ;
- la Belgique est impactée par des amphibiens semi-aquatiques et des plantes terrestres ;
- en France, en Italie, ainsi que dans de multiples pays d'Europe orientale, les impacts ont été causées par des plantes herbacées terrestres (groupe le plus impactant en Europe).

CONCLUSION

La gestion des espèces exotiques envahissantes peut être compromise par une série de facteurs, notamment la connaissance insuffisante de l'origine et de la biologie des espèces, l'absence de mesures de gestion appropriées (par exemple, les financements de la biosurveillance et des plans d'éradication sont souvent d'une durée insuffisante, la coopération entre les pays est limitée), l'ignorance sociétale et le manque de ressources.

De telles informations sur les coûts des espèces exotiques envahissantes sont particulièrement importantes pour la planification de réponses coordonnées et d'actions de coopération entre les pays européens et non européens. Une évaluation complète des coûts contribuerait, à terme, à des investissements bien ciblés dans des mesures de conservation à l'échelle de l'UE et du continent.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ET RESSOURCES

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Phillip Haubrock, Anna Turbelin, Ross N. Cuthbert, Ana Novoa, Nigel Taylor, Elena Angulo, Liliana Ballesteros Mejia, Thomas Bodey, César Capinha, Christophe Diagne, Franz Essl, Marina Golivets, Natalia Kirichenko, Melina Kourantidou, Boris Leroy, David Renault, Laura Verbrugge, Franck Courchamp. 2021. Economic costs of invasive alien species across Europe. NeoBiota. Special Issue "economic costs of invasive alien species worldwide". 67:153-190. https://doi.org/10.3897/neobiota.67.58196

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Article paru dans La Dépêche Technique n° 192

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