Les groupes d'investissement risquent-ils de mettre à mal l'activité vétérinaire mixte ?

Fait plutôt nouveau, certains groupes d'investissement affichent leur volonté de racheter des cabinets ayant une activité rurale importante, voire exclusive.

© David Quint

Exercice

Des éleveurs et des vétérinaires s'inquiètent des conséquences possibles de l'arrivée des groupes d'investissement sur le marché de la médecine vétérinaire rurale : accélération de la désertification, intérêts financiers primant sur ceux des Hommes et des animaux... Les groupes avancent des arguments plus positifs.

« Le monde agricole suit de près ce phénomène, craignant notamment qu'il n'accélère la désertification vétérinaire », révèle Agra presse Hebdo dans une enquête consacrée aux groupes d'investissement qui opèrent des rachats d'établissements vétérinaires* et notamment ceux orientés vers les productions animales.

Cette restructuration partielle du secteur ne touche en effet pas exclusivement l'activité canine. Fait plutôt nouveau, certains groupes d'investissement affichent leur volonté de racheter des cabinets ayant une activité rurale importante, voire exclusive.

Attentisme prudent

« Le monde agricole garde un oeil sur l'évolution du secteur », affirme Agra Presse.

« C'est un sujet d'interrogation qui peut avoir des conséquences positives comme négatives », observe le président de Chambres d'agriculture de France, Sébastien Windsor. « Nous sommes attentifs au maintien d'une approche sanitaire globale. Si les groupes capitalistiques n'interviennent que pour garder une approche purement mercantile et abandonner toutes les missions sanitaires et de service public, ce sera une vraie difficulté », met-il en avant.

Cette prudence semble justifiée au regard de l'affaire qui avait fait grand bruit fin 2021 dans la profession lorsque deux structures vétérinaires situées en Ardèche avaient suspendu leur activité rurale après leur rachat par un groupe suite au départ, dans le délai légal, des confrères qui y exerçaient. Cette situation avait plongé les éleveurs de leurs clientèles dans l'embarras et avait retenti sur les structures vétérinaires alentour (lire DV n° 1598).

Dans un rapport de juin 2021, le SNVEL** alertait sur le risque de voir le secteur vétérinaire prendre le même chemin que la médecine humaine qui « réserve les actes qui représentent le plus de contraintes et le moins de rentabilité aux structures hospitalières publiques ».

« L'État français a-t-il anticipé le fait que l'arrivée de modèles financiers privés en médecine vétérinaire reportera à sa charge les activités non rentables, telles que les prophylaxies ou la veille sanitaire, voire impactera l'activité rurale dans son ensemble ? », soulevait le syndicat.

Accélération de l'arrêt de l'activité rurale ?

Dans certains cas, le rachat par un groupe accélérerait en effet l'arrêt de l'activité de médecine vétérinaire rurale. « Cela arrive surtout quand cette activité est très minoritaire. Ce sont des ratios financiers qui s'appliquent et les activités les moins rentables sautent » , décrit notre consoeur Caroline Dabas, présidente du Syndicat des structures et établissements vétérinaires indépendants de France.

Le président du SNVEL, notre confrère Laurent Perrin, confirme : « La poursuite de l'activité rurale dans une structure mixte est liée à la question de la rentabilité mais aussi de l'organisation globale de la structure ».

« Quand le maintien d'un service de qualité aux éleveurs handicape la réponse à la demande croissante des propriétaires de chiens et de chats, la question se pose. C'est le cas en particulier dans les secteurs où la densité de l'élevage baisse », poursuit-il.

« Quand les investisseurs sont des financiers, la comptabilité analytique est leur bible. Ils décident de la rationalisation de l'activité plus vite que les vétérinaires et sans état d'âme. Pour autant, les contraintes économiques amèneront les vétérinaires à avoir la même réflexion à plus ou moins long terme », prévient Laurent Perrin.

Manque d'attractivité des territoires ruraux pour les jeunes, déclin de l'élevage, modèle économique à revoir... Le déclin du maillage vétérinaire est lié à des facteurs qui ne sont pas inhérents à l'appartenance à un groupe vétérinaire, mettent en avant les porte-paroles des groupes interrogés aussi par le média.

« Lorsque l'activité rurale s'arrête après un rachat, c'est le fruit de plusieurs années de stratégie de la société qui font que, de toute manière, l'activité rurale était vouée à s'arrêter dans cette clinique », commente, pour sa part, notre consoeur Lucile Frayssinet du cabinet de conseil Phylum.

Des politiques volontaristes

Pour le moment, le rachat de cabinets ruraux reste marginal. Quelques groupes affichent cependant leur volonté de développer leur réseau sur ce créneau, comme VetPartners, groupe britannique détenu par des banques.

Arrivé en France en 2020, il veut être « représentatif du paysage vétérinaire français », explique sa directrice Marketing et communication France, Aurélie Verhulst.

VetPartners possède un peu plus de soixante établissements vétérinaires français dont une vingtaine avec une activité auprès des animaux de production (ruminants et filières organisées).

L'organisation du groupe peut présenter des avantages pour maintenir l'activité rurale en déclin dans les campagnes, avance l'équipe de direction. « Nous avons neuf cliniques dans le Morbihan. Non seulement les vétérinaires partagent les gardes mais aussi les informations, le matériel... Ils ne sont pas seuls », détaille le directeur général de VetPartners France, notre confrère Vincent Parez.

« Nous croyons fortement à l'exercice en rurale. Nous sommes même pourfendeurs de certaines idées reçues qui voudraient que l'exercice auprès des animaux de production soit un exercice moins rentable », explique de son côté le directeur régional de Wivetix Services, notre confrère Antoine Bottiau. Il a la charge du développement de l'offre en médecine vétérinaire rurale chez IVC Evidensia (lire DV n° 1637).

Le groupe anglo-suédois, le plus grand groupe vétérinaire en Europe et le numéro deux mondial, possède un peu plus de 260 établissements en France, dont une quarantaine avec un exercice mixte.

« Faire moins de tâches administratives permet de se recentrer sur l'exercice de la rurale », observe Antoine Bottiau.

Les indépendants se réorganisent

Les groupes proposent en effet des services externalisés pour la formation, la gestion des ressources humaines ou encore le recrutement.

Leur force résiderait aussi dans leur capacité à attirer les jeunes vétérinaires auxquels ils peuvent vendre des perspectives d'évolution et de mobilité professionnelle.

La concurrence des groupes sur le terrain du recrutement a poussé les vétérinaires indépendants à proposer de nouvelles garanties aux jeunes, notamment sur la formation.

« Les indépendants se sont organisés à une vitesse incroyable », souligne ainsi Lucile Frayssinet, conformément à ce que Phylum avait déjà affirmé aux universités de printemps 2022 du SNVEL (lire DV n° 1615). Preuve, selon les observateurs, de la résilience de la profession.

« Si les investisseurs s'intéressent au marché vétérinaire, c'est qu'ils en espèrent un retour sur investissement. J'engage les vétérinaires à s'organiser et à conserver la rentabilité de leurs outils à leur bénéfice », souligne le président du SNVEL.

« Cela demande évidemment d'y travailler mais c'est possible. A ce sujet, les fonctions support et la comptabilité analytique ne sont pas l'apanage des groupes. Le SNVEL a développé Résovet pour permettre à tous de bénéficier de ces services », précise Laurent Perrin. M.J.

* Agra Presse Hebdo du 13 février 2023, n° 3876.

** SNVEL : Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral.

Gros Plan : Regroupements, associations : les alternatives aux investisseurs en activité rurale

Contrairement au secteur des chiens et chats, beaucoup de vétérinaires ruraux n'ont pas attendu les groupes d'investissement pour rassembler leurs forces.

La concentration des cabinets vétérinaires ne date pas d'hier en médecine vétérinaire rurale. Le mouvement de consolidation est parti des vétérinaires eux-mêmes, soucieux de se regrouper pour améliorer leur quotidien et les services proposés aux éleveurs. Ils n'ont donc pas n'ont pas attendu les groupes d'investissement pour rassembler leurs forces, explique Agra Presse Hebdo dans un dossier qu'il consacre aux groupes d'investissement qui opèrent des rachats d'établissements vétérinaires* et notamment ceux orientés vers les productions animales.

« Les vétérinaires ruraux sont dans une phase d'organisation plus avancée qu'en canine. Cela s'explique notamment parce que les contraintes sont fortes », souligne ainsi notre confrère Jacques Guérin, président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires.

De manière générale, les cabinets à dominante rurale sont de taille plus importante.

Le groupe Anibio, créé à la fin des années soixante, regroupe aujourd'hui une dizaine de sites d'exercice vétérinaire mixtes ou spécialisés en productions animales dans le Sud-Ouest.

« Nous avons des spécialistes dans toutes les disciplines au sein du groupe. Cela permet, lorsqu'un collaborateur est sollicité par un éleveur ou un propriétaire, de trouver facilement la réponse en interne auprès d'un collègue, quel que soit le domaine d'expertise », met en avant notre confrère François Landais, spécialiste des volailles.

Autre exemple de regroupement : le cabinet Chêne Vert. Établi dans le Grand Ouest, ce cabinet regroupe onze sites spécialisés dans les filières animales organisées (porc, volailles, veaux de boucherie) et les élevages bovins laitiers.

Mutualisation

Chêne Vert s'est structuré dans un premier temps comme un groupement de cabinets vétérinaires indépendants, avant de devenir en 2021 un cabinet unique avec plusieurs sites d'activité.

« Ce n'est pas une réponse directe à l'arrivée des groupes d'investissement », précise Séverine Chuberre, en charge de la communication du groupe. « Nous avions besoin de structuration, d'avoir des services supports centralisés et une offre de service uniformisée pour nos clients ».

Sur un autre modèle, le réseau Cristal se définit comme un « réseau mutualiste d'entreprises vétérinaires indépendantes dont le coeur de métier est l'activité en productions animales », explique son président, notre confrère Hugues Perrin.

Indépendance

L'association s'est montée en 1994 avec quatre cabinets vétérinaires. Elle repose sur le principe d'une mise en commun des moyens et réunit aujourd'hui 29 structures et plus de 70 sites d'exercice.

« Le mot indépendant est important. Les vétérinaires sont maîtres chez eux. Le réseau ne détient pas de parts dans les cabinets », indique Hugues Perrin.

Il défend un modèle « alternatif » à celui proposé par les groupes d'investissement : « Le choix de vendre n'est ni bien ni mal mais j'ai l'entrepreneuriat chevillé au corps et je souhaite laisser la possibilité aux jeunes d'entreprendre ». M.J.

* Agra Presse Hebdo du 13 février 2023, n° 3876.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1654

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