Les enfants du frêne et de l'orme, une histoire de VIKINGS
Samedi 14 Octobre 2023 Lecture 48780Les vikings recrutent un imaginaire profond chez nos contemporains, basé sur une mythologie et des sagas, quelques rares idées justes mais surtout des poncifs. L'intérêt porté depuis des siècles à ce peuple surgit des mers en 793 à Lindinsfarne, se projetant sur la côte atlantique et en Méditerranée au siècle suivant, puis se dissolvant en 1050 par acculturation chrétienne, ne baisse pas de régime au XXIe siècle, en attestent séries télévisées et ouvrages de vulgarisation.
Neil Price est un archéologue anglais, titulaire de la chaire de l'université d'Upsalla en Suède et membre du conseil suédois de la recherche. Il nous livre des clefs historiques, ethnologiques et archéologiques pour éclaircir l'avènement et l'expansion de cette culture mystérieuse.
Après l'effondrement de l'empire romain d'Occident subsiste en 565 celui d'Orient et les royaumes francs ou wisigoths se sont constitués, les peuples bretons, saxons, alamans, frisons sont présents, des colons germaniques se sont implantés en Angleterre, les tribus slaves ou baltes s'organisent ; les scandinaves sont aussi présents, commerçant avec les peuples environnants et vivants en étroites relations avec les Sames, le peuple du tambour.
La stupéfaction des chroniqueurs britanniques ou carolingiens en 800 ne provient pas du surgissement sauvage d'un peuple inconnu venu des mers se livrant à des massacres, à du pillage et à des enlèvements massifs, mais plutôt que les relations précédentes avec les scandinaves étaient commerciales, pacifiques. Les raids vikings avaient en réalité commencé depuis quelques décennies en direction de l'est vers les Baltes et les Slaves.
Qu'il soit clair que les vikings étaient des esclavagistes, que la hache et l'épée revêtaient une importance considérable et que les droits de l'homme et de la femme des autres peuples étaient réduits à la plus simple expression. Néanmoins, leur hygiène corporelle était de loin supérieure aux autres peuples, les femmes vikings pouvaient avoir de hautes destinées et leur place dans la mythologie était importante, même si nous n'avons aucun renseignement sur leur place dans l'après vie terrestre, et les enfants bénéficiaient de beaucoup d'attention.
Ils ont évidemment construit des établissements, des emporia ou des comptoirs sur les iles britanniques et ailleurs, ont souvent émigré avec femmes et enfants, devenant éleveurs et cultivateurs, ont pénétré le territoire franc par les fleuves, rançonnant ou pillant les autochtones, ont créé l'entité Normandie qui envahira l'Angleterre par la suite, Angleterre qui fut l'objet d'âpres batailles, région par région durant tout le siècle précédent.
L'expansion des vikings les a amenés à être en contact avec les peuples slaves en suivant les routes commerciales et les Rous, peuple majoritairement scandinave, sont allés jusqu'à Kiev, ont été mercenaires à Constantinople et ont eu des échanges avec les Arabes.
Ils ont envahi l'écosse et les îles Shetland et Orcades, colonisé les îles Féroé, puis l'Islande (pays boisé avant leur arrivée) et, de là, ont pu gagner le Groenland puis encore le Vinland où ils ont rencontré, commercé, et guerroyé avec les indiens en l'actuel Canada.
Les ressources nécessaires pour cette expansion résidaient sur la navigation et les capacités de construction des bateaux (dont rares étaient ceux avec une tête de dragon), la fabrication des voiles et des vêtements pour naviguer, et la fabrication des armes : la laine des moutons, la main d'oeuvre humaine esclave et le bois. Les localités ont commencé à s'urbaniser et les mentalités aussi. Le christianisme exerça son influence politique et de la prédation brutale sur les monastères ou églises à la diffusion du corpus théologique vers les élites puis les peuples, il se passa trois siècles.
La mythologie norroise est extrêmement riche et fait l'objet d'une étude en profondeur.
Pour les vikings il n'existe pas de scission précise entre les mondes et les êtres qui les peuplent, et le dialogue est possible et constant. Les sagas sont très ambiguës, contradictoires, foisonnantes et les sources chrétiennes sont souvent des palimpsestes : Les vikings naissent de l'Ask et de l'Embla c'est-à-dire du frêne et peut-être de l'Orme. Le lieu spirituel dans lequel ils vivent est le Midgard.
Comment le peuple scandinave a-t-il radicalement changé de culture et de spiritualité en un siècle ?
Le nord de l'Europe, dontla Scandinavie, a vécu un dépeuplement massif longtemps expliqué par des luttes armées de tribus les unes contre les autres lors de la déprise de l'empire romain signalé archéologiquement par des fortifications de plus en plus importantes et par une diminution des circuits commerciaux ou par l'abandon des cimetières. L'invasion des Huns (présents de manière vivace dans les sagas) ou bien les épidémies constituaient des candidats crédibles.
L'explication qui recueille aujourd'hui l'approbation des archéologues, des naturalistes et des historiens est celle d'un impact massif aux conséquences locales majorées : en 536 et en 539/540 eurent lieu deux éruptions volcaniques majeures, l'une dans les tropiques, l'autre dans l'actuel Salvador au lac Ilopango. Les conséquences furent celles d'un hiver sans fin où les cultures céréalières dépérirent et où il neigea en Norvège en plein été. Les sources écrites en Chine et en Inde décrivent des récoltes difficiles et une météo déréglée.Sur le pourtour méditerranéen les sources décrivent des famines et des émeutes. En Scandinavie, les conséquences furent plus dramatiques, la température moyenne baissa de 3,5 degrés et la raréfaction des ressources dura trois ans.
La bataille finale du Ragnarök, récit de l'écroulement des mondes, apocalypse des vikings a donc réellement eu lieu. La dépopulation a vraisemblablement été de 50 % et le peuple scandinave a inscrit dans sa mythologie toute la brutalité de la vie qu'ils avaient enduré pendant cet hiver « nucléaire ». Les sagas le racontent : Snorri dans son Edda « la neige tombera alors en rafales des quatre points cardinaux et il y aura de grandes gelées et des vents acérés, le soleil ne brillera pas. Trois hivers semblables se succèderont et, entre eux, il n'y aura pas d'été » ; dans la prophétie de la voyante « noir sera l'éclat du soleil, dans les étés suivants, épouvantables, toutes les tempêtes » ; dans le Kalevala finlandais « quel prodige cachait la lune, quel voile masquait le soleil, le gel s'abattit sur les plantes, la vie des bêtes fut affreuse, étrange celle des oiseaux, ennuyeuse celle des hommes car le soleil ne chauffait plus, la lune ne luisait jamais ».
L'image de la roue solaire flamboyante, motif central de l'iconographie sacrée scandinave depuis des millénaires, disparut. Les scandinaves ne disparurent pas mais leur cohésion sociale s'effondra et ils durent réinventer un récit fédérateur et créateur de sens : la fin était le début et les vikings apparurent.