Le vautour fauve, un atout écologique et économique pour la région des Baronnies-Vercors

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Hélène SOUBELET

Le ministère de la transition écologique, avec le concours de l'association Vautours en Baronnies et des parcs naturels régionaux du Vercors et des Baronnies provençales, a publié en avril 2021, un gros rapport intitulé :
« Mettre en valeur les espèces sauvages et leurs fonctions écologiques dans les territoires. Recommandations à partir du cas de la réintroduction du vautour fauve dans les parcs naturels régionaux du Vercors et des Baronnies provençales ».
L'originalité de ce travail, conduit dans le cadre du programme d'évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques (Efese), repose, d'une part, sur les 25 ans d'expérience de réintroduction des vautours dans les deux parcs naturels régionaux et, d'autre part, sur la publication de 18 messages clés à destination des décideurs établis par consensus scientifique (approbation par le conseil scientifique du programme), puis sociétal (approbation par le comité des parties prenantes).

LA RÉINTRODUCTION, UN OUTIL EFFICACE DE PROTECTION DE LA BIODIVERSITÉ

Après l'extinction des populations de vautours entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle à la suite de leur persécution systématique (Bagnolini, 2006), des expériences de réintroduction ont été entreprises à partir des années 1970 dans le Massif Central et 1990 dans les Alpes et un plan national d'action a été publié (Poudré, 2017).

Dans les Alpes, c'est le gypaète barbu (Gypaetus barbatus) qui a fait l'objet des premiers programmes de réintroductions avec un premier lâcher en 1987 en Haute-Savoie, puis des lâchers à partir de 2010 dans le Vercors (13 jeunes réintroduits à ce jour) et dans les Baronnies (10 jeunes réintroduits à ce jour). Le vautour fauve (Gyps fulvus) a bénéficié d'une réintroduction en 1996 dans le massif des Baronnies (environ 60 individus), puis dans le Vercors en 1999 (une soixantaine de vautours) et enfin, dans les gorges du Verdon, la même année, grâce à une action conjointe de la Ligue pour la protection des oiseaux et le parc naturel régional. La vautour moine (Aegypius monachus), quant à lui, fait l'objet d'un programme de réintroduction plus récent (2004) dans les Baronnies et le Verdon.

- L'étude a permis d'estimer à 2500, le nombre de vautours fauves dans les Alpes, dont 1000 sur le territoire de l'étude, Baronnies-Vercors, avec 222 couples nicheurs dans les Baronnies provençales et 70 dans le Vercors.

23 ans après les premières réintroductions, les populations de vautours fauves ont donc dépassé le seuil de viabilité génétique, estimé à 500 individus efficaces (c'est-à-dire en âge de se reproduire).

-  Les populations des Alpes sont également en lien avec les populations des Cévennes et leur avenir semble assuré. En revanche, aucun couple de gypaète n'a encore été observé sur la zone d'étude (Baronnies - Vercors).

LES IMPACTS ÉCOLOGIQUES DE LA RÉINTRODUCTION

Retour d'autres espèces

Les vautours, comme les rapaces en général, sont en haut des chaînes alimentaires, ils constituent donc de bonnes espèces indicatrices permettant le suivi de l'état des milieux.

- Après avoir disparu au début des années 1980, trois couples de vautour percnoptères (Neophron percnopterus) (espèce migratrice) ont été observés dans la région Baronnies - Vercors en 2000. Ce retour est attribué à la mise en place des aires d'alimentation et des placettes éleveurs pour les vautours fauves.

- D'autres espèces comme le vautour de Rüppell (Gyps rueppellii), le pygargue à queue blanche (Haliaeetus albicilla), l'aigle de Bonelli (Aquila fasciata), l'aigle criard (Clanga clanga) et l'aigle pomarin (Clanga pomarina) ont également été observées sur le territoire d'étude.

Fonction écologique d'équarrissage de la faune sauvage

Grâce aux réintroductions successives et au retour du vautour percnoptère, le site Baronnies-Vercors est la seule région alpine qui possède la guilde complète des nécrophages. En effet, les différentes espèces de vautours sont spécialisées dans des parties différentes des animaux : le vautour fauve se nourrit des muscles et des viscères, le vautour moine se nourrit des tendons, cartilages et peau, le gypaète consomme presque exclusivement la moelle
osseuse et le vautour percnoptère nettoie en profondeur les carcasses après le passage des autres vautours.

- Les besoins individuels des vautours fauves sont de 200 kg de carcasses par an. Le potentiel d'équarrissage naturel dans les Alpes françaises est donc de 300 tonnes de carcasses pour cette espèce.

Le retour des vautours est concomitant du retour de grands herbivores à la faveur de l'afforestation, des réintroductions d'espèces à des fins cynégétiques (chevreuil) ou écologiques (bouquetins), (Arpin, 2020), des lâchers clandestins (sangliers), des retours naturels (chamois), ce qui a permis d'augmenter la ressource et donc le succès reproducteur des vautours (qui est régulé par la ressource disponible). Le rapport estime que, dans le périmètre d'étude, le nombre d'individus cumulés de chevreuils, cerfs, chamois, sangliers et bouquetins est passé de près de 7000 à un peu moins de 27 000 têtes, soit d'une biomasse potentielle de 300 tonnes à une biomasse potentielle de 1300 tonnes. Dans les conditions topographiques de la région, presque tous les cadavres de chamois ou de bouquetins peuvent être éliminés rapidement par les vautours, ce qui n'est pas le cas pour les autre espèces (notamment les espèces forestières, moins accessibles). Par ailleurs, les déchets de chasse représentent une manne importante, estimée entre 79 et 105 tonnes annuelles.

- Cette biomasse d'animaux sauvages représente entre 146 et 176 tonnes de carcasses accessibles sur la zone d'étude et permet de nourrir entre 730 et 880 vautours.

Régulation des populations de charognards opportunistes

- Le vautour est un charognard très efficace, sa présence permet donc de diminuer les densités de charognards opportunistes comme les renards, les corvidés, les fouines, les sangliers (Morales-Reyes, 2017, Moleon, 2014) qui prennent sa place lorsqu'il est absent.

Régulation des pathogènes et des maladies des animaux sauvages

Les vautours sont considérés comme des culs-de-sac épidémiologiques pour la plupart des maladies infectieuses pour deux raisons principales. D'une part, ils ont un pH stomacal très acide, aux alentours de 1 qui ne permet pas la survie de la majorité des microorganismes (alors que les mammifères ont un pH de l'estomac oscillant entre 1,5 et 5). D'autre part, ils débarrassent les milieux des cadavres de façon extrêmement rapide : une vache peut ainsi être consommée en quelques heures, contre plusieurs jours pour les chiens, par exemple, et une brebis est consommée en quelques minutes.

- La présence des vautours est particulièrement intéressante en cas de pathologie de la faune sauvage qui provoquerait de fortes mortalités (comme dans le cas de la gale sarcoptique ou de la pestivirose).

LES IMPACTS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX

Fonction écologique d'équarrissage pour les éleveurs et émissions carbone

Le rapport présente une estimation du tonnage des carcasses mises à disposition des vautours et compare les émissions de CO2 des différents systèmes de collecte sur la zone d'étude (cf. tableau 1). 

- Les 203 tonnes de carcasses issues de l'élevage permettent de nourrir un peu plus de 1000 vautours à elles-seules. Il y a donc un grand potentiel de développement de la population des vautours dans les Alpes au regard de la ressource alimentaire potentielle.

- 75 % de l'élimination des ovins, des caprins et des veaux de moins de 21 jours morts sont assurés par les vautours, 25 % par les équarrisseurs conventionnels.

Développement d'une économie locale d'écotourisme

Au moment de la réintroduction des vautours, le territoire d'étude avait déjà une économie rurale fortement tournée vers l'accueil touristique.

Avec plus de 35 000 visiteurs venus spécialement pour les vautours en 2018, l'observation des vautours est devenue un produit d'appel pour la région et ses autres attractions. Le service en lui-même (observation) n'est pas payant, mais des prestations annexes payantes sont proposées (par exemple accompagnateur montagne). Un évènement dédié, la fête des vautours à Villeperdrix, a draîné en 2018 plus de 500 personnes.

- Les retombées économiques pour la zone d'étude ont été estimées entre 1 et 1,4 million d'euros par an a minima (sortie découvertes, sentiers de randonnées dédiés) d'avril et à septembre.

Une étude sur le consentement à payer a montré qu'il variait entre + 35 et + 94 euros si une activité d'observation des vautours était proposée en plus des activités plus traditionnelles (allant de l'offre nature à l'offre bien-être et thermalisme), ce qui est le signe d'un marché potentiel important et en plein essor. Par ailleurs, les jeunes visiteurs (entre 18 et 34 ans) étaient enclins à dépenser 14 euros de plus par jour que leurs homologues âgés de plus de 35 ans.

- La mise en valeur d'activités en lien avec l'observation des vautours pourrait donc générer une augmentation de 25% de la fréquence de fréquentation des parcs naturels régionaux.

Aménités paysagères

La mutation du paysage de la région des Baronnies Vercors avait commencé avant l'introduction des vautours (afforestation, retour des grands herbivores, disparition des espèces des milieux ouverts, mitage du paysage par les résidences secondaires). En 150 ans, en raison de la déprise agricole et de l'exode rural massif dès le milieu du XIXème siècle, la région est passée d'un milieu agricole très dégradé et soumis à l'érosion à une zone forestière à 80% avec une faible urbanisation, mais en croissance rapide (+54% par endroits).

Les vautours sont devenus un élément du paysage améliorant le cadre de vie.

Par ailleurs, leur arrivée et leur acceptation par la population a conduit à financer l'enterrement d'une ligne électrique dans les gorges du Léoux (Baronnies) en raison des mortalités par collisions qu'elle occasionnait. Le site remarquable a ainsi vu l'attractivité de son paysage renforcée.

Dimension culturelle, patrimoniale et contraintes liées à la réintroduction

Les vautours sont devenus des supports à l'éducation, à la transmission de savoir (par exemple classe nature) et à la sensibilisation du public.

L'étude n'a pas pu évaluer les diverses dimensions patrimoniales, comme la valeur de legs (néanmoins estimée comme majeure), les valeurs culturelles, d'attachement ou d'identité, ou encore les valeurs esthétiques et spirituelles liées à la réintroduction des vautours.

La première contrainte envisagée dans le rapport est constituée des potentielles attaques sur les animaux d'élevage affaiblis (évaluées comme secondaires, voir encadré 1).

D'autres contraintes ont été répertoriées, comme la souillure de points d'eau (que les vautours utilisent pour se laver), la détérioration de deux impluviums, l'implantation de colonies de vautours sur des sites convoités pour l'escalade et des consommations rapides de bétail victimes d'une prédation, rendant impossible l'expertise. Dans tous les cas, des solutions techniques ou financières ont été trouvées pour compenser les activités des vautours auprès des populations qui s'estiment lésées.

CONCLUSION

La demande de reconnexion à la nature est en forte croissance avec un fort plébiscite du grand public en faveur des réintroductions d'espèces sauvages, c'est un des leviers de la transition écologique. L'étude Efese a permis de mettre au point une méthodologie pour identifier des pistes d'actions pour une mise en valeur écologique, économique, sociale et culturelle des espèces dans les territoires (confer Kervinio, 2021), indispensable pour l'adhésion des populations locales aux réintroductions.

C'est d'autant plus important que les retours d'expériences et les évaluations scientifiques démontrent de plus en plus systématiquement que la protection de la biodiversité s'accompagne toujours de bénéfices associés en freinant les impacts négatifs dus à la disparition des services écosystémiques comme le stockage du carbone, la régulation des pathogènes, l'épuration de l'air, du sol ou de l'eau ou encore la régulation des évènements climatiques extrêmes.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Yann Kervinio, Quentin Martinez et Gilles Rayé, Mettre en valeur les espèces sauvages et leurs fonctions écologiques sur les territoires. Recommandations à partir du cas de la réintroduction des vautours dans les parcs naturels régionaux du Vercors et des baronnies provençales. Rapport Efese, avril 2021. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Efese%20%20Recommandations%20%C3%A0%20partir%20du%20cas%20de%20la%20r%C3%A9introduction%20des%20vautours.pdf

Bagnolini C. (2006) : la réintroduction pionnière des vautours en France. Les actes du BRG. 6 : 299-302.

Poudré L., Constantin P., Cugnasse J.M. et Garde L. (2017) : plan national d'actions. Vautour fauve et activités d'élevage. 2016-2025.Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. 131. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/PNA_Vautour-fauve_2016-2025.pdf

Sarrazin F, Barbault R. Reintroduction (1996): challenges and lessons for basic ecology. Trends Ecol Evol.; 11: 474-478 https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0169534796200928

Arpin Isabelle, « Une vie sauvage sans frontières ? Le cas de la contamination des bouquetins du Bargy », Zilsel, 2020/2 (N° 7), p. 179-198. DOI : 10.3917/zil.007.0179. https://www.cairn.info/revue-zilsel-2020-2-page-179.htm

Morales-Reyes Z., Sánchez-Zapata J.A., Sebastián-González E,. Botella F., Carrete M., Moleón M. (2017): scavenging efficiency and red fox abundance in Mediterranean mountains with and without vultures [Internet]. Acta Oecologica. pp. 81-88. doi:10.1016/j.actao.2016.12.012.

Moleón M, Sánchez-Zapata JA, Selva N, Donázar JA, Owen-Smith N. Inter-specific interactions linking predation and scavenging in terrestrial vertebrate assemblages. Biol Rev Camb Philos Soc. 2014; 89: 1042-1054.

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