BI Journée mondiale des vétérinaires

Le management et la hiérarchie

Valérie DELTEIL, Anne-Sophie D'OLEAC, Thierry CHAMBON, Joelle FINEZ LETENEUR, Sébastien BERTIN

Cet article est issu d'un travail en atelier qui s'est déroulé lors des Universités de Printemps du SNVEL le 8 avril 2022. Les participants de l'atelier se sont intéressés au sujet avec des problématiques personnelles très différentes :
- une vétérinaire ayant vendu sa clientèle à un groupe pour se décharger du management lors de sa pratique libérale, sans avoir été satisfaite de cette solution et exerçant à présent à mi-temps en missions externes auprès d'un groupe pharmaceutique et à un deuxième mi-temps en médecine solidaire ;
- un vétérinaire responsable d'une équipe de 110 personnes dans le secteur de la pharmacie ;
- deux vétérinaires installés en clientèle libérale (ayant également, de la création à l'association, l'expérience d'organisations professionnelles variées).

MÉTHODOLOGIE DE L'ATELIER  

Nous avons travaillé à partir de quelques postulats théoriques, en les confrontant ensuite à nos vécus individuels pour en extraire quelques réflexions et principes généraux qu'il nous a paru pertinent de garder en mémoire afin de les utiliser dans notre exercice quotidien.

LES POSTULATS THÉORIQUES

LE MANAGEMENT SELON LE CLASSIQUE DIAGRAMME DE LIKERT (ET SES VARIANTES)

Le diagramme de Likert classant les différents types de management date de fin des années 60, il est encore enseigné en Écoles de Management (cf. fig. 1).

L 'axe vertical des ordonnées, classe du bas vers le haut le niveau d'implication du manager, l'axe horizontal classe de gauche à droite le management centré sur objectifs et les résultats vers le management centré sur la relation et l'équipe.

Il y a quatre types de management selon Likert : le directif, le persuasif, le délégatif et le collaboratif.

- Manager directif

Il est basé sur une organisation hiérarchisée, très orientée sur les résultats ; les collaborateurs sont contrôlés, sanctionnés ou récompensés suivant leurs performances.

-Avantages : rapidité, efficacité même si les collaborateurs sont peu autonomes.

-Inconvénients : il laisse peu de place aux initiatives, peut être source de conflits et de démotivation (risque d'absence de sens perçu par les collaborateurs).

- Management persuasif : management « paternaliste »

Le manager cherche à influencer, il est attentif aux freins, à la motivation des collaborateurs, explique avec bienveillance, encadre, valorise les résultats et fidélise les équipes.

-Avantages : utile quand le manager est véritablement l'expert reconnu du sujet (plus que ses collaborateurs). Il est très axé sur les résultats.

-Inconvénients : le manager reste en fait le seul décisionnaire. La prise d'initiative et d'autonomie des collaborateurs peut être freinée.

- Management délégatif

Le manager définit les objectifs, les méthodes de contrôle, il se place en retrait mais fixe les objectifs à atteindre.

-Avantages : le manager laisse beaucoup d'autonomie aux équipes. Cela favorise l'innovation, la responsabilisation.

-Inconvénients : le manager doit aider les collaborateurs par la fourniture d'outils, d'informations, mais cela impose dans les faits beaucoup de pression aux équipes.

- Management collaboratif

Le manager est plutôt un animateur très présent pour encadrer et motiver les collaborateurs, attentif à la cohésion du groupe qui prend en charge les projets et fait preuve d'autonomie.

-Avantages : il permet d'impliquer les collaborateurs dans la prise de décisions, il participe au bien être des équipes, à leur engagement et favorise l'éclosion d'innovation et de créativité.

-Inconvénients : cela peut engendrer un manque de rendement dans la gestion des projets et une lenteur dans l'obtention des résultats.

LES CONCEPTS ÉMERGENTS DE MANAGEMENT

- Flat Management

Il s'oppose à l'organisation pyramidale hiérarchisée classique. L'objectif est de définir les activités comme des projets avec un chef de projet « pilote » tout en donnant à chaque collaborateur les moyens d'organiser son travail comme il le souhaite. Il y a nécessité d'établir un cadre défini au préalable. Les relations entre l'exécutif et les exécutants de l'entreprise sont plus directes, facilitées.

-Avantages : il favorise l'initiative personnelle, la créativité, l'implication des collaborateurs et développe le sentiment d'appartenance à l'entreprise. Le salarié devient responsable.

En fluidifiant le travail, en limitant les chaines de décision et en se concentrant plus efficacement sur les objectifs, cela limite le coût global du management.

-Inconvénients : il faut des collaborateurs ayant une forte appétence pour ce profil et des compétences.

- Servant leadership

C'est un modèle alternatif au modèle hiérarchique datant des années 70, repris et expérimenté dans les nouveaux modèles de « management agile » des années 2000.

Le manager est au service de son entreprise, elle-même au service de ses clients.

-Avantages : Le servant leader délaisse son égo et son intérêt personnel pour permettre la montée en puissance du collectif, en faisant confiance aux salariés.

-Inconvénients : c'est un modèle très exigeant en termes d'organisation, de qualités humaines (empathique, prévoyant, anticipateur, inspirant) pour le manager (plus proche d'un coach).

Il risque de faire passer les objectifs opérationnels au second plan pour conserver la qualité de la relation ; il peut être fatigant émotionnellement et contraignant en cas de situation de choix difficile.

Ce modèle est diversement décliné suivant différentes postures de servant leader (challenger, entraineur, créateur, etc.).

LA HIÉRARCHIE ET LA NOTION DE RESPONSABILITÉ

Le concept de hiérarchie se définit par un lien de subordination. Le mot hiérarchie est devenu presque un gros mot dans l'évolution sociétale actuelle.

La notion de hiérarchie est cependant à mettre en parallèle avec la notion de responsabilité (médicale, pénale).

DÉFINIR SON STYLE DE MANAGEMENT

Tenter de définir son propre style de management implique très vite de devoir être lucide sur l'analyse objective de son positionnement : un manager qui se définit lui-même comme collaboratif peut, en réalité, être perçu comme un manager directif par ses collaborateurs.

Cette différence de perception peut être corrigée grâce à une analyse et une écoute des retours des collaborateurs (audit, enquête, ou questionnaire). L'analyse doit être fondée sur un choix de critères objectifs : le turn-over, le taux d'absentéisme, la perte de résultats...

Mais le contexte doit être pris en compte de façon à ne pas entraîner de culpabilité non productive. Par exemple, en temps de pénurie importante de vétérinaires sur le marché de l'emploi, il peut être difficile de recruter des collaborateurs ayant le profil désiré, que ce soit en motivation, en compétences ou en expérience nécessaire à une délégation optimale.

Le management directif peut s'avérer alors comme le plus rapidement efficace, notamment quand il est couplé à une expérience éprouvée du manager ...

BILAN DES REFLEXIONS DE L'ATELIER

Nos réflexions mettent rapidement en évidence que le style de management doit être non seulement adapté mais aussi très adaptable :
- suivant les personnalités en présence des managers et managés,
- suivant leurs motivations, leurs implications respectives,
- suivant le délai possible pour l'obtention de résultats (situation médicale urgente ou projet construit),
- suivant les contextes : chacun doit trouver son propre style !

Cette adaptabilité nécessaire rend la pratique d'un management fluide particulièrement difficile. Il importe donc de poser un objectif clair vers lequel chacun veut aller : nous nous accordons tous sur le fait que nous souhaitons obtenir au sein de notre entreprise (ou des entreprises coachées) des résultats performants grâce à une organisation fluide, efficace, permettant le bien-être au travail et l'épanouissement de tous les membres de l'équipe.

Notre discussion nous amène alors à considérer qu'en réalité, nous n'avons pas tous exactement la même problématique :
- pour l'un, l'objectif premier, la valeur essentielle est le bien-être animal (normal à priori puisque nous sommes vétérinaires !),
- pour l'autre, cette valeur essentielle sera le bien-être de son équipe (permettant de fidéliser l'équipe, d'améliorer l'efficacité des soins, etc.),
- pour un autre encore, la valeur essentielle sera le service à l'entreprise, considérant que si cette valeur prime sur les autres, le service au client propriétaire de l'animal, à l'animal, aux collaborateurs sera de fait rendu dès que le tryptique (entreprise, propriétaire, animal) est pris en compte.

A chacun donc de définir ses valeurs et sa vision comme un cadre préalable que toute son équipe s'engage à accepter pour appartenir à cette entreprise.

Hiérarchiquement parlant, notre exercice a ceci de particulier que les associés, les collaborateurs libéraux, les salariés ont le même diplôme, ce qui complique l'exercice habituel de la hiérarchie. En réalité, seuls les salariés ont clairement un lien de subordination statutaire à respecter. Mais entre associés, Il est essentiel que le cadre soit défini, que le pacte d'associés existe et soit clair.

Dans le contexte actuel de rachat par des capitaux extérieurs aux dirigeants actuels effectifs des cliniques, cette notion de hiérarchie, de clarté sur les valeurs et la vision revendiquées au sein des entreprises va se poser dans un climat opérationnel inédit et mettre en évidence l'importance d'une co-construction réelle avec chacune des équipes si l'on veut une adhésion performante.

En cas d'associés à diplôme égal, peut-on déléguer entièrement la compétence managériale ? Qui est le responsable final en cas d'erreur ou de faute ? Traditionnellement dans nos structures vétérinaires, c'est le vétérinaire titulaire détenant les capitaux qui a cette responsabilité, et c'est ce qui légitime son pouvoir hiérarchique.

La délégation n'est qu'illusion lorsque le vétérinaire titulaire est visiblement (aux yeux des clients, de l'administration, des organisations professionnelles etc.) le référent responsable.

Notre réflexion collective nous invite à considérer la pertinence de la définition même du management :
- ensemble de techniques (d'où l'intérêt de connaissances théoriques pour se situer et comprendre comment et pourquoi on agit),
- pour organiser des ressources qui sont mises en oeuvre pour administrer une organisation (l'adaptabilité nécessaire nous incite à envisager le management comme un art, créatif, évolutif),

Cet art consiste à diriger les hommes afin d'obtenir une ou des performances satisfaisantes (à chacun de définir ses propres performances : financière, qualité des soins aux animaux, bien être de son équipe, qualité du rapport vie professionnelle, vie privée, etc.).

Pour terminer sur une note théorique complémentaire, le modèle de Tuckman définit de façon dynamique les étapes rythmant la vie et les évolutions d'une équipe de manière chronologique (création, tensions, normalisation des relations, performance, séparation ...).

Nul doute donc, qu'en dépit d'absence de formation initiale sur ces sujets spécifiques, les vétérinaires, habitués à travailler sur du vivant, à prévenir et à soigner, ne puissent avoir de sérieuses appétences en management !

Article paru dans La Dépêche Technique n° 198

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