BI Journée mondiale des vétérinaires

Le complotisme

Les théories du complot pullulent et mettent en danger nos démocraties au travers d'élections contestées et contestables par les fausses informations circulant durant les campagnes.
Les experts et les gouvernants sont discrédités, les faits alternatifs emplissent les réseaux sociaux et les médias traditionnels, la post-vérité devient une attitude commune.
Les ouvrages traitant des théories du complot sont légion tant par les pourfendeurs de ces théories que par ceux qui les font circuler.

Le livre objet de cette chronique se situe dans le champ de la psychologie sociale et traite du complotisme, entrecroisement de mécanismes psychologiques, sociaux et culturels comme le sous-titre l'indique : « Cognition, Culture, Société ». Il ne traite pas du démontage des théories du complot mais s'occupe des modes de pensées des personnes qui ont des croyances complotistes.

Les théories du complot ont toujours existé et la littérature ou les discours politiques en sont emplis depuis l'antiquité, que les complots soient effectifs ou non. C'est seulement durant les années 1960 que les théories du complot commencent à être combattues et stigmatisées.

Étudier le complotisme n'est pas vouloir débusquer les erreurs, les absurdités ou les biais et démonter, argument après argument, les théories du complot qui se nourrissent d'ailleurs de toutes les contradictions qui leur sont opposées et de toutes les données fournies par tentative de transparence de la part des scientifiques, experts ou agences. Quand une théorie du complot tombe en désuétude ou est déboulonnée, elle mute ou est remplacée par une autre.

Le complotisme n'a jamais déjoué aucun complot réel depuis qu'il existe et n'est donc pas opérationnel pour le but exprimé. Il est là pour dire qu'il existe des zones d'ombre et, qu'en conséquence, « on nous cache des choses », « comme par hasard ». L'état d'esprit des complotistes est une défiance face à une malveillance ressentie de groupes de personnes ou d'entités maléfiques, au travers d'interprétations hâtives ou intuitionnistes. Le complotisme ne repose pas sur une grande connaissance des dossiers ou des faits mais s'insinue dans les interstices de la vie ou des évènements qui deviennent des secrets inavouables. Il est une idéologie reflet des imaginaires collectifs des sociétés qui utilise la propagande, la rumeur, la désinformation, la calomnie ou le fantasme.

Les études montrent que l'attitude complotiste n'est pas en corrélation avec le bien-être ou la santé psychologique et physique. Aussi cette idéologie n'est pas performante pour donner une vision du monde diminuant l'anxiété, la peur du présent ou de l'avenir et augmentant la coopération. Le complotisme permet néanmoins de présenter une attitude victimaire mais aussi de passer pour un héros qui combat de grandes forces et peut, à court-terme, apporter du bien-être.

Les théories du complot sont très attirantes et sont une source imaginaire puissante pour la littérature ou le cinéma.

La croyance en une théorie du complot augmente la probabilité de croire à d'autres théories du complot et s'il ne convient pas de psychiatriser les complotistes, ces derniers présentent des traits de personnalité plus orientés vers la paranoïa, la schizotypie, le narcissisme et le manichéisme.

Les complotistes adhèrent aux théories du complot en toute connaissance de cause et par choix : il s'agit d'être contre, contre les autorités, les experts, les médias, les groupes considérés comme dominants et la posture de victime permet tous les opportunismes ou les prises d'intérêt (exemple du processus identitaire serbe lors de la guerre des Balkans qui permettait de présenter le front international comme un complot juif international)

Au total, « le complotisme est une structure psychosociale complexe qui conduit à l'amalgame de thèses et d'idées disparates et dont la particularité principale semble être la réduction causale à une source intentionnelle cachée, efficiente et lointaine » et « puisque tout peut être ramené à une origine unique, il n'y a plus rien à expliquer ».

Le complotisme alimente l'extrémisme, le ressentiment et accentue les divisions dans la société, favorisant le populisme et les dérives autoritaires des démocraties.

En termes scientifiques ou médicaux, il subjectivise toute connaissance, mettant au même niveau tout type d'information ou d'intuition. Insinuer ou asséner devient la récente tendance du complotisme.

Pour lutter contre le complotisme, les méthodes sont nombreuses mais aucune n'a fait la preuve de son efficacité constante.

L'éducation, la construction d'un esprit critique, la vulgarisation, la compréhension et la main tendue, l'argumentation pied à pied par le fact-checking ou le debunker, la dérision, sont des outils multiples pour contrer le complotisme.

Néanmoins, il existe un effet boomerang où les groupes de complotistes se radicalisent et l'énergie à déployer pour les anti-complotistes est très importante. L'impunité des complotistes est totale. Quid de leurs responsabilités individuelle et collective ?

Sebastien Dieguez est un neuroscientifique qui étudie les bases neurologiques de l'identité et la psychologie du complotisme à Fribourg en Suisse.

Sylvain Delouvée dirige des recherches sur les croyances collectives et la pensée sociale à Rennes.

Sont-ils aux mains des puissants et complices du complot mondial visant à asservir les peuples ? Espérons qu'ils n'auront pas à s'en justifier face à vous, lecteurs ! Continuons donc la recherche scientifique sur ce domaine passionnant et .... Intrigant.

Article paru dans La Dépêche Technique n° 205

Envoyer à un ami

Mot de passe oublié

Reçevoir ses identifiants