BI Journée mondiale des vétérinaires

Le complexe des maladies infectieuses respiratoires canines - revue

© Françoise Bussiéras

Tarek BOUZOURAA

L'auteur de cet article déclare collaborer avec les laboratoires Hill's, Boehringer Ingelheim, TVM, Vetoquinol, Mano Medical et MSD dans le cadre de publications scientifiques.

L'ancien terme « Toux de Chenil », actuellement Complexe des maladies Infectieuses Respiratoires Canines (CIRDC - Canine Infectious Respiratory Disease Complex) désigne un syndrome de trachéobronchite infectieuse chez le chien qui se manifeste par une toux forte et qui peut se compliquer d'une dyspnée et d'un jetage nasal.
Le CIRDC est fréquent en clientèle. Cette atteinte peut devenir problématique à gérer, puisque des formes compliquées sont rapportées et que la contagiosité des agents incriminés peut être à l'origine d'une importante morbidité chez les populations à risque.
Dès la suspicion, le clinicien doit rapidement intervenir pour réduire la dissémination des agents infectieux.
Il peut également prévenir le risque infectieux en diminuant la symptomatologie des formes cliniques et en réduisant l'excrétion via l'immunité offerte par la couverture vaccinale.
Cet article détaille les caractéristiques épidémio-cliniques du CIRDC, son diagnostic, sa prise en charge avec une emphase sur les moyens prophylactiques en évolution constante et les nouvelles méthodes d'immunisation contre Bordetella bronchiseptica.

ÉTIOLOGIE ET EXPRESSION CLINIQUE DU CIRDC

Agents étiologiques du CIRDC

Ce syndrome est causé par des agents bactériens ou viraux. Il existe des agents dits « primaires » tels que le virus du CPiV et l'adénovirus canin de type 2 (CAV-2) 1-13. L'infection bactérienne à Bordetella bronchiseptica demeure très fréquente, en tant que facteur aggravant.

D'autres agents viraux peuvent secondairement participer aux signes cliniques, comme l'Herpesvirus canin (CHV), le virus de la maladie de Carré (CDV), plus rarement certains réovirus (1, 2 et 3), pneumovirus (CnPnV), Influenza canin (CIV), coronavirus dits « pantropiques » (groupe 1), bocavirus et hépacivirus canins. D'autres bactéries sont également rapportées, en tant qu'agents secondaires (Pasteurella multocida, Pseudomonas aeruginosa, Mycoplasma sp. ou Mycoplasma cynos1-7,14.

Une forme plus importante (fibrino-suppurative) est documentée suite à une infection par Streptococcus equi subsp. zooepidemicus au sein d'une population précise (chiens de course) 1-3.

Les coronavirus canins à tropisme respiratoire (CRCoV, groupe 2) ont également été envisagés comme cofacteurs de la maladie, bien que peu d'études de terrain ne confirment actuellement leur intervention dans le syndrome 8-10. Une seule étude menée auprès de
61 chiens malades a permis de dépister un portage du CRCoV dans 9,8 % des cas contre 37,7 % de positifs au CPiV et 78,7 % à
Bordetella bronchiseptica 13.

Lorsqu'un seul agent est impliqué, l'infection reste le plus souvent banale (asymptomatique, rhinite ou trachéo-bronchite discrète et isolée). Les formes les plus graves résultent d'infections concomitantes ou successives par plusieurs agents. Le tableau 1 résume l'implication des différents agents du CIRDC chez le chien 1-13.

Fréquence et rôle des différents agents étiologiques

Sur le terrain, les chiens malades sont le plus souvent touchés par les agents « primaires » que sont Bordetella bronchiseptica, le CPiV et le CAV-2. Ils sont considérés comme des agents majeurs et les plus fréquents du CIRDC devant d'autres pathogènes dont la prévalence est probablement sous-estimée 1-4,11,13.

Les autres agents détaillés précédemment interviennent également, mais de manière plus rare chez les chiens malades. Il est cependant très difficile d'isoler certains agents tels que le CRCoV (faible survie dans l'air ambiant) et Mycoplasma cynos, de surcroît sur des échantillons polymicrobiens, ce qui réduit la pertinence des résultats présentés 1-4.

Concernant le CHV, les données de prévalence disponibles en Europe, indiquent une séropositivité variable, mais globalement forte (30 à 88 %) 1-4,7,11,13. L'infection au CHV est généralement asymptomatique du fait d'une immunité cellulaire efficace qui prévient la maladie, y compris chez les plus jeunes. Elle ne prévient cependant pas contre l'établissement d'un portage latent et d'une réactivation ultérieure, à la faveur d'une immunodépression ou d'une coinfection contribuant ainsi à l'expression clinique de la maladie. En effet, une étude menée chez des chiens porteurs asymptomatiques du CHV recevant de la prednisolone à dose immunosuppressive durant dix jours a confirmé une réexpression virale 3. Ces observations suggèrent l'intervention des facteurs intrinsèques (stress, corticoïdes). Les données indiquent également le rôle évident des conditions environnementales, dans la réactivation et la circulation virales (contact rapproché, promiscuité, insalubrité, surpopulation) 1-4.

Au sujet du CRCoV, en dépit de la pauvreté des données chez les malades, la fréquence du virus ne serait pas négligeable dans la population canine en Europe (entre 20 et 38 %) 8,9. Cet agent est un facteur infectieux favorisant l'expression du CIRDC, car il contribue à sensibiliser l'épithélium respiratoire aux autres agents infectieux via une ciliostase. Celle-ci facilite l'adhésion et la pénétration d'autres agents pathogènes dans l'appareil respiratoire. Sa contagiosité est de plus très importante, comme le souligne une étude sérologique révélant 100 % de positifs chez des chiens hébergés trois semaines dans un refuge contre 30 % lors de leur introduction avec des symptômes plus importants chez les chiens non-exposés au virus avant leur introduction. Ces observations suggèrent l'intérêt qui doit être porté à ce virus contre lequel il n'existe ni traitement, ni prévention spécifique 8,9.

Expression clinique du CIRDC

Les signes cliniques dominants sont une toux sèche d'apparition aiguë, des éternuements et un éventuel jetage nasal séro-muqueux. Dans ce contexte, la suspicion du CIRDC est renforcée si le malade est un chiot ou jeune adulte, en particulier s'il a été exposé dans une collectivité.

Le statut vaccinal ne permet pas d'exclure une suspicion de CIRDC compte tenu des associations de pathogènes et de l'émergence de nouveaux agents causaux. En effet, bien que la vaccination réduise la gravité de la maladie, elle ne protège pas contre tous les agents.

Les mono-infections chez des chiens adultes correctement vaccinés sont souvent auto-résolutives. Chez les plus jeunes, un abattement et une anorexie avec éventuel syndrome fébrile transitoire peuvent être constatés.

Dans les cas les plus importants, une détresse respiratoire, un jetage nasal muco-purulent, une toux devenant productive et un syndrome fébrile peuvent être constatés. Les complications évoquées suggèrent une surinfection bactérienne avec un possible sepsis 8-13. Des troubles ophtalmologiques et neurologiques apparaissent lors d'infection par le CDV 1-4.

L'encadré 1 résume la fréquence des signes cliniques et paracliniques lors du CIRDC chez le chien 1-4,14.

DÉMARCHE CLINIQUE LORS DU CIRDC

La prise en charge symptomatique

En considérant que la plupart des cas ont une étiologie virale et ne nécessitent pas d'antibiothérapie, une prise en charge symptomatique est raisonnable 15. Uniquement lors de toux sèche, incoercible et qui handicape le malade, une thérapie symptomatique antitussive peut être initiée durant une semaine à l'aide d'opioïdes tels que la codéine (Broncho-canis® 1 mg/kg BID* PO selon le RCP, pouvant être augmentée à 2 mg/kg TID* à QID*) ou l'éthymorphine (Broncho-sédatyl® 3 à 30 mg/kg BID PO) qui disposent d'une AMM vétérinaire. L'emploi en milieu hospitalier d'hydrocodone (Hycodan® 0,2 mg/kg TID à QID PO), du butorphanol (0,05 à 0,2 mg/kg toutes les 4 heures PO), de morphine (0,1 mg.kg IV ou IM toutes les 4 heures) ou de tramadol (2 mg/kg BID PO) est également possible, en cas d'indisponibilité des autres morphiniques pour respecter le principe de la cascade. Une corticothérapie à dose anti-inflammatoire (dexaméthasone 0,05 à 0,1 mg/kg SID IV ou IM) peut éventuellement être envisagés durant 3 à 5 jours 1-4,14. L'association d'un antitussif et d'un anti-inflammatoire permet une résolution rapide des signes dans l'extrême majorité des cas.

En présence d'un cas réfractaire ou d'une dégradation avec l'apparition d'un jetage nasal ou d'une toux productive, une antibiothérapie empirique pourra être initiée (signes d'une surinfection bactérienne). Il faut noter que l'association amoxicilline-acide clavulanique n'est pas indiquée en première intention, des souches résistantes de Bordetella bronchiseptica à cette association étant rapportées 1-4,14. Par ailleurs, les béta-lactamines ne sont pas actives contre les mycoplasmes qui ne possèdent pas de paroi. Les tétracyclines constituent ainsi les antibiotiques de choix en première intention (doxycycline : 10 mg/kg SID PO durant 7 à 10 jours), puisque cette famille présente l'avantage d'être active contre Bordetella bronchiseptica et les mycoplasmes.

Une démarche approfondie pour les cas réfractaires

En l'absence de réponse rapide aux antitussifs, anti-inflammatoires et antibiotiques, et en cas de dégradation générale et respiratoire (détresse respiratoire), des radiographies thoraciques peuvent devenir utiles, afin de préciser le type et l'étendue des lésions (cf. photos 2 à 5). Une opacification radiographique bronchique diffuse est rencontrée dans virtuellement 100 % des trachéo-bronchites infectieuses canines 1-4,14.

  

Cependant, cette anomalie n'est pas spécifique et l'intérêt de la radiographie thoracique s'explique principalement dans ce contexte par la nécessité de rechercher des lésions qui aggravent ou entretiennent la toux (foyers alvéolaires notamment).

Un bilan hématologique se justifie notamment en cas de syndrome fébrile. La présence d'une leucocytose neutrophilique peut également orienter le clinicien vers l'existence d'un syndrome de réponse inflammatoire systémique (si une hyperthermie et une polypnée sont également rencontrées).

Nous avons déjà documenté l'existence d'un score d'activité clinique lors d'infection par Bordetella bronchiseptica qui est résumé dans le tableau 2 1-4,14.

Dépistage étiologique

Tous les agents peuvent faire l'objet d'une recherche de préférence par biologie moléculaire à réaliser sur des supports variables résumés dans le tableau 3 1-4,14.

Cette démarche est utile en présence d'un épisode contagieux en collectivité, de manière à préciser l'agent en cause et à dépister chaque individu d'une population.

Il faut se rappeler que le CIRDC est une succession de plusieurs infections en synergie, par différents germes. Il faut donc tenir compte du stade évolutif dans le cadre de l'interprétation des résultats de recherche et caractérisation du ou des agents en cause. Par exemple, le CRCoV est en majorité détecté durant la première semaine de l'infection, suivi par le CPiV la seconde semaine et le CHV principalement détecté après trois à quatre semaines lors de formes souvent plus graves.

Cependant, la plupart des agents de CIRDC peuvent également être isolés par PCR chez des animaux sains, ou souffrant d'une maladie respiratoire différente 18. Ainsi, un résultat positif ne prouve pas la causalité et l'infection.

PRÉVENTION DU CIRDC : ENJEUX ET ÉVOLUTIONS

Aspects généraux de la vaccination

La vaccination contre le CIRDC est classée dans les valences circonstancielles dont la recommandation dépend du risque encouru par le chien.

La vaccination contre les agents primaires (Bordetella bronchiseptica, le CPiV et dans une moindre mesure le CAV-2) a pour but de réduire les signes cliniques de maladie et l'excrétion après l'infection.

Les vaccins vivants atténués sont administrés par voie sous-cutanée ou intramusculaire contre le CAV-2 et le CPiV. Pour Bordetella bronchiseptica, le vaccin injectable est inactivé 1-4,16-23.

Concernant le CHV, la vaccination a pour but d'éviter les conséquences cliniques sur les nouveaux nés d'une mère infectée durant la gestation. Il existe un vaccin inactivé contre le CHV (Eurican Herpes 205®), administré aux femelles en oestrus ou début de gestation puis six à sept semaines plus tard, avant la mise-bas 1-4,14.

Discussion sur la vaccination contre Bordetella bronchiseptica

La vaccination contre Bordetella bronchiseptica est commune en France, puisqu'il s'agit d'un des principaux pathogènes incriminés dans le CIRDC. L'immunisation s'effectue soit à l'aide de vaccins vivants atténués par voie intra-nasale (Nobivac KC® ou Versican Plus BBPi IN®) ou par voie orale (Versican Plus BB Oral®), soit avec un vaccin inactivé par voie injectable (Pneumodog®). Une publication évoque l'intérêt d'une double vaccination par voie injectable et intranasale contre Bordetella bronchiseptica en chenil. Les principales études disponibles ne sont cependant pas comparables puisqu'elles emploient des protocoles différents 16,17. L'une d'elle étudie l'immunisation suite à un épisode clinique 16,17. Des études complémentaires sont nécessaires pour statuer sur l'association de ces deux formulations vaccinales, compte tenu du peu de publications comparables sur la question.

Selon le vaccin utilisé, la vaccination par voie nasale peut débuter dès l'âge de trois semaines, comme indiqué dans les RCP concernés et confère une immunité rapide contre Bordetella bronchiseptica(en trois à cinq jours) pour une durée d'un an 20,21. La protection contre les autres agents s'installe plus tard. Ces éléments sont résumés dans le tableau de l'encadré 2.

La forme orale est également employée chez le chiot âgé de plus de huit semaines 21,22. La vaccination orale confère une immunité dès trois semaines, pour une durée totale d'un an. Cette voie d'immunisation n'appelle pas de seconde administration de primo-
vaccination.

Les vaccinations muqueuses (intra-nasale et orale) emploient des vaccins vivants atténués qui peuvent engendrer des effets indésirables tels qu'un jetage nasal et/ou oculaire, un épiphora et des éternuements 15,18-22. Ces signes sont le plus souvent rapidement résolutifs. Un chien recevant un vaccin vivant atténué excrètera pendant six semaines la bactérie, ce qui représente une contre-indication importante à l'emploi de ce type vaccinal si une personne ou un animal (chien / chat) immunodéprimé est en contact avec le chien. Le chien vacciné peut tout de même s'infecter et excréter Bordetella bronchiseptica durant plusieurs semaines 15,18-22

L'emploi d'un vaccin inactivé adjuvé par voie injectable est possible dès quatre à six semaines (selon le statut vaccinal de la mère) avec un protocole d'induction de la réponse immunitaire en deux injections espacées de deux à trois semaines et un rappel annuel.

Un nouveau vaccin inactivé injectable employant une sous-unité de Bordetella bronchiseptica (antigène de fimbriae) possède désormais une AMM (Nobivac Respira Bb®). Les informations du RCP indiquent que le vaccin confère une protection active contre Bordetella bronchiseptica afin de réduire les signes cliniques de maladie des voies respiratoires supérieures et l'excrétion bactérienne après l'infection. Cette formulation peut être employée chez la chienne gestante et peut être administrée à un chien initialement immunisé par le biais d'un vaccin vivant atténué (au titre de rappel annuel). L'immunité est active dès deux semaines, pour une durée de sept mois après primo-vaccination, tandis que l'étendue de l'immunité atteint un an après un rappel annuel. La primo-vaccination nécessite tout de même deux injections à quatre semaines d'intervalle 24. NDLR : Il peut aussi être utilisé en rappel annuel de Nobivac KC avec une seule injection 24.

Enfin, en France, tous les agents impliqués dans le CIRDC ne sont pas tous sujets à vaccination, ce qui implique qu'ils devront donc faire l'objet d'une prophylaxie sanitaire accrue en collectivité (dépistage sérologique en fin de quarantaine, restriction des déplacements, désinfection systématisée des locaux).

CONCLUSION

Le CIRDC implique plusieurs agents infectieux, qui agissent en synergie ou successivement sur l'arbre respiratoire. La population à risque correspond aux chiots et jeunes adultes, dont la vie en collectivité représente un des facteurs de risque les plus importants. Son diagnostic est souvent clinique, tandis que sa prise en charge est symptomatique et vise à éviter les complications. La prévention des formes graves du CIRDC est primordiale, surtout en collectivité. Elle repose essentiellement sur la vaccination, qui réduit significativement sa transmission et les signes cliniques sans pour autant les supprimer.

Article paru dans La Dépêche Technique n° 193

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