La transition énergétique n'aura pas lieu
Samedi 14 Décembre 2024 Lecture 52272Thierry Jourdan
Lorsqu'il est question de la planète, de l'humanité et de son futur, le terme de transition énergétique survient, laissant à penser qu'une ou des énergies non fossiles pourraient supplanter les énergies utilisées depuis l'ère industrielle afin de permettre une baisse considérable des émissions de gaz à effet de serre.
Jean-Baptiste Fressoz explique que les transitions n'existent pas, qu'elles sont une construction mathématique basée sur des pourcentages relatifs des énergies alors même que chacune des énergies fossiles ou non ne cessent d'augmenter, et ce, dans des proportions gigantesques.
Jean-Baptiste Fressoz est un historien des sciences, des techniques et de l'environnement. Après avoir été maître de conférence à l'Imperial College de Londres, il est maintenant chercheur au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), enseignant à l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales) et à l'École des ponts et chaussées.
Le bois n'a cessé d'être de plus en plus utilisé et aujourd'hui sert à chauffer ou à cuisiner. Lorsque le charbon est apparu comme source d'énergie, le bois a servi aux étais, et pour le pétrole à la construction de derricks ou à la tonnellerie de transport. Le chemin de fer ne mérite pas son nom car en dehors de la locomotive, des essieux et des rails, tout est en bois, des traverses aux wagons, au transport par des futs ou tonneaux, par les infrastructures environnant le rail. Les premières tours de verre et d'acier étaient en réalité pour moitié constituées de bois. Des dérivés de la houille (la créosote) permirent de rendre le bois imputrescible mais étaient aussi très toxiques pour les humains et l'environnement.
Le charbon n'a jamais été autant utilisé que lors des récentes convulsions géostratégiques mais de manière structurelle, les centrales à charbon ne cessent d'être mises en service. La Chine ou l'Inde comptent bien en utiliser pour des dizaines d'années et l'Australie est prête à sacrifier sa barrière de corail pour acheminer son charbon grâce à des ports construits ex nihilo vers l'Inde. L'augmentation du tonnage d'acier s'accompagne d'une augmentation des besoins en charbon. Si la voiture roule au pétrole, sa construction s'est faite au charbon et les routes sont bétonnées. L'extraction à ciel ouvert du charbon demande du pétrole au travers des camions et bulldozers et les exportations de pétrole demandent des bateaux utilisant le charbon. À La date d'aujourd'hui de gigantesques parcs d'éoliennes off-shore sont destinés à fournir de l'électricité aux plateformes pétrolières. Nous le constatons : à chaque nouvelle énergie, des synergies se mettent en place avec les autres énergies et augmentent les consommations de matières premières. Pour les logements, il suffira de prononcer les mots brique, contreplaqué et placoplâtre. Ce dernier permettait de couler le béton pour les autoroutes et infrastructures routières. Bois et pétrole s'entremêlent pour les emballages destinés à notre consommation courante entre cartons et films plastiques ainsi que palettes. Le pétrole a permis les déforestations brutales par la mécanisation, au profit d'essences qui poussent vite et partent plus facilement en fumée. Parlons aussi du charbon de bois qui a besoin du pétrole pour être acheminé en sacs des forêts vers les villes.
La transition énergétique n'existe donc pas ! Ce terme était utilisé pour des raisons politiques ou économiques afin de dire aux populations ou aux décideurs que les crises énergétiques pouvaient être surmontées, pour exercer un lobbying en faveur du nucléaire ou de l'hydrogène, pour raconter de belles histoires du futur ou pour favoriser l'attentisme en décrétant que les nouvelles énergies règleront tous les problèmes climatiques ou environnementaux.
Si l'efficacité énergétique des objets est meilleure, le nombre de métaux et terres rares ou d'ingrédients pour les confectionner ne cesse d'augmenter et, en conséquence, le recyclage en devient de moins en moins aisé.
La transition est donc une belle histoire narrant des futurs complexes à base de voitures électriques ou d'avions à hydrogène oblitérant des solutions simples immédiates : l'abondance matérielle sans carbone n'existe pas. Les énergies sans carbone sont nécessaires à condition que les énergies fossiles disparaissent. Ce n'est pas ce que le passé et le présent montrent.